Des chars de Rome à NASCAR, regardez comme nous devenons idiots (1)

2024-08-23 10:00:40

Le Triomphe de Bacchus, de Velázquez.

Dans les temps anciens, ils le savaient déjà. Le grec Hippocratecomme le Romain Pline l’Anciendeux références médicales du monde antique, mettent en garde contre le saturnisme, très présent chez les métallurgistes. Ils appelaient cela une colique saturnine. Son symptôme le plus évident est la déconnexion progressive du cerveau, les oublis, les absences qui, dans les cas les plus graves, peuvent atteindre le coma. Malgré cela, il n’existait pas d’édulcorant plus populaire au monde. Empire romain. Sapa, un concentré de sucre au plomb, était utilisé pour adoucir le vin et les aliments. On peut le considérer comme le premier édulcorant industriel avec lequel une civilisation a commencé à s’empoisonner massivement. Tout au long du XXe siècle, nous avons répété leur erreur, mais dans ce cas-ci, en jetant du plomb dans l’air et en le respirant pendant pratiquement cent ans. Son effet le plus notable est de nous rendre moins intelligents.

Si nous remplissions aujourd’hui un sucrier d’acétate de plomb broyé, nous distinguerions à peine ses grains du sucre de canne raffiné. Il a un blanc moins intense et une douceur plus terne, mais personne sensé ne l’ajouterait au café. Car le plomb n’est pas seulement l’un des métaux les plus dangereux pour le corps humain. De plus, il s’accumule en permanence en nous. Nous n’expulsons que dix pour cent de ce que nous consommons, le reste reste pour toujours dans nos os et ne retourne dans l’environnement que lorsque nous sommes enterrés ou incinérés. La perte cognitive chez les enfants en développement exposés au plomb est très notable et durable, mais bien qu’elle se produise plus lentement chez les adultes, l’effet final est le même.

Les Romains ne connaissaient pas avec autant de précision l’état de santé du plomb, mais ils connaissaient la toxicité du plomb. Malgré cela, pendant des centaines d’années, ils ont utilisé Sapa sans discernement. Leur raison principale était gastronomique, il n’y avait pratiquement pas d’autre moyen d’avaler ce vin dégoûtant qu’ils produisaient. Fermenté dans de grands pots en argile stockés dans des grottes souterraines, il acquiert un goût permanent de moisissure et d’humidité. C’est à dire s’il n’avait pas été haché pendant la maturation, le transport ou le stockage, ce qui était très courant en raison de mauvaises méthodes de conservation. Le plus vinaigré était destiné à la consommation de l’armée, où les légionnaires ajoutaient du sel et le mélangeaient avec de l’eau, créant ainsi la posca, la boisson isotonique romaine. Ou, selon les mots d’un légionnaire, une autre façon d’avaler cette merde qu’il faut boire pour ne pas tomber malade. Parce que le vin dans la Rome antique était avant tout une question de survie.

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Sa teneur en alcool, ou l’alcalinité du vinaigre s’il était haché, était le désinfectant le plus courant pour l’eau du robinet. Cela leur a évité d’attraper le typhus, très courant, et les diarrhées causées par les différents micro-organismes qui prolifèrent dans l’eau. Ils ne savaient pas que l’eau bouillante le stériliserait. Et donc, obligés de boire de l’eau toujours mélangée à du vin, ils essayèrent par tous les moyens de faire en sorte que le résultat n’ait pas un goût d’enfer. Non seulement ceux qui le buvaient mais surtout les vignerons qui gagnaient de l’argent grâce à sa vente.

De nombreux aristocrates romains possédant de grands domaines tiraient d’importants revenus de leurs vignobles. Surtout s’ils obtenaient un bouillon cher et bon goût, au lieu du bouillon vinaigré bon marché vendu aux légions. Ce qui n’a pas été facile du tout. Parmi les nombreuses méthodes essayées pour l’améliorer, une a fini par s’imposer, qui consistait à faire bouillir le vin dans les nouvelles marmites en cuivre. Le problème traditionnel du vert-de-gris, un oxyde de cuivre, qui se formait à l’intérieur et du grattage pour l’enlever qui finissait par créer des trous, a été résolu en recouvrant l’intérieur d’une feuille de plomb. Il s’agissait de remplacer un poison par un autre, mais les Romains ne se distinguaient pas en tant que scientifiques et l’association de processus chimiques échappait donc à leur compréhension.

Ce qu’ils appréciaient, en grands observateurs qu’ils étaient, c’était que les aliments cuits dans ces marmites acquéraient une certaine douceur lorsque du vin était ajouté à la recette, comme condiment. Ce qui se passait, c’est que la réaction chimique de l’alcool bouillant dans un récipient en plomb délivrait de l’acétate, ou sucre de plomb, au liquide, le adoucissant. Ils commencèrent à faire bouillir le vin, vérifiant non seulement qu’il devenait plus sucré, mais que s’ils le réduisaient au minimum, il restait au fond de la marmite un sirop très sucré, la sapa. Sucre de plomb sous forme liquide qui devint rapidement l’édulcorant de vin le plus populaire de l’Empire. Du moins pour les riches, car c’était un produit remarquablement cher.

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Lorsque tout cela fut découvert, certains historiens spéculèrent que la triade des empereurs fous, Néron, Caligula et Pratiqueils auraient pu être empoisonnés par Sapa. Puisque le plomb provoque la folie, ce serait là son origine.

Il y a deux faits qui appuieraient cette théorie. La première, qu’ils étaient obligés de boire beaucoup de vin en raison de leur position sociale. Se régaler à la maison ou au palais était un moyen d’entretenir des relations, d’établir des alliances et de faire des affaires pour tout aristocrate romain. Les empereurs devaient également organiser avec eux leurs projets politiques. Donc, au fond, ils passaient leurs après-midi et leurs nuits à faire la fête, moins par souci de décadence, comme on les accuse, que par nécessité sociale et managériale.

Le deuxième fait qui viendrait étayer la théorie de l’empoisonnement au sapa est que ces trois empereurs vivaient à l’époque où la littérature du poète avait la plus grande influence. Virgile. Ses vers faisaient des aristocrates romains des consommateurs réguliers de vin pur, sans le mélanger avec de l’eau. Les impérialistes commençaient à voir l’idée absolue de vertu Romaine, tant louée par ses grands-parents républicains. Être ascète, se comporter bien et se livrer peu au vice était très bien, mais que diriez-vous de profiter un peu de la vie maintenant qu’ils étaient propriétaires du monde, en arrêtant de consommer le vin avec une telle foutue modération. Paraphrasant Virgile, plus ou moins.

Mais le grand poète a également laissé dans ses vers la lamentation typique de l’écrivain, se plaignant de ne pas avoir le temps d’écrire davantage sur l’agriculture, comme il l’aurait souhaité. Il l’a fait dans le Les géorgiensoù il rend compte du travail agricole et fait l’éloge de la vie rurale. Columèleauteur opportuniste, profite de cette lamentation pour vendre son propre traité agricole De re rusticaet la viticulture Des arbress’assurant qu’ils contenaient tout ce que Virgile ne pouvait pas écrire. On ne sait pas s’il s’agissait d’une technique de commercialisationou un excès d’ego pour se comparer au plus grand poète latin, mais la tactique a fonctionné, faisant de son traité un best-seller. Les aristocrates voulaient boire du vin, et aussi tirer davantage de profit de leurs vignobles, c’était donc déjà un volume gagnant dès le départ. La référence à Virgile ne faisait que l’encourager.

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Compte tenu, enfin, de ce « moment du vin » que vivait la première société impériale romaine, les historiens ont émis l’hypothèse que le comportement insensé des empereurs aurait pu être dû à un empoisonnement au plomb. Non seulement ils adoucissaient leur vin avec de la sapa, mais en ne le mélangeant pas avec de l’eau, ils en consommaient également une plus grande quantité. Mais les données scientifiques ont fini par effondrer sa théorie. Si un aristocrate de haut empire consommait, selon les documents conservés, environ deux litres de vin pur par jour, un empereur, pour s’empoisonner au plomb, aurait dû doubler cette dose. Et puis il serait sûrement mort d’un coma alcoolique bien avant que le plomb n’ait eu un effet sur son cerveau.

Il a fallu attendre 2009 pour disposer de données scientifiques objectives sur la quantité de plomb ingérée par un Romain moyen. Ceci a été réalisé grâce à l’analyse des squelettes de l’époque enterrés dans la ville de Rome, en les comparant avec ceux de personnes ayant vécu dans d’autres villes impériales du même siècle. Car rappelez-vous que le plomb reste présent dans nos os s’il n’a pas été éliminé dans la nature. Les données montraient non seulement qu’il n’y avait aucune différence entre les habitants des différentes parties de l’Empire. Mais ces os contenaient entre 41 et 47 % de plomb en moins que dans les squelettes des personnes décédées à la fin du XXe siècle. En d’autres termes, nous avons nous-mêmes presque deux fois plus de plomb dans notre corps qu’un ancien Romain. Nous devrions être bien plus fous qu’eux et que les trois empereurs historiquement décrits comme fous.

Au vu de la dérive actuelle du monde, c’est peut-être un jugement hâtif de dire que ce n’est pas le cas. Mais ce que nous ne pouvons pas faire, c’est attribuer le délire généralisé dans lequel nous vivons au saturnisme. Pas de manière scientifique. Ou plutôt, nous ne pouvions pas le faire, jusqu’à ce qu’en 2022, nous ayons, presque par hasard, une étude démontrant les effets qui se produisent lorsqu’on empoisonne l’ensemble de la population d’une ville moderne avec du plomb. Le lieu, Daytona, en Floride, aux États-Unis. L’empoisonneur, les courses NASCAR. L’histoire, dans le prochain épisode.

(Je vais continuer)



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