2024-11-22 18:54:00
Boualem Sansal et Kamel Daoud sont deux écrivains algériens qui critiquent l’islamisme et le régime de leur pays d’origine. Tous deux paient le prix fort pour cela. Non seulement ils sont diffamés, mais Sansal a été arrêté par les services secrets et a depuis disparu.
Avez-vous peur ? », telle était notre dernière question lors de notre dernier entretien avec l’écrivain algérien Boualem Sansal, en novembre 2023. “Bien sûr que j’ai peur”, fut sa réponse spontanée. Sansal a obtenu la nationalité française cette année. Mais même si la situation dans son pays s’est aggravée, il ne veut pas s’exiler et souhaite rester à Boumerdès, une ville située à environ 50 kilomètres à l’ouest d’Alger.
Critique avisé et infatigable de l’islam, Sansal, 75 ans, reçoit des menaces de mort depuis des années. Au moment de l’entretien, il avait déclaré avec une forme d’humour noir qu’il avait plus peur des islamistes français que des islamistes algériens. Égorger un Français sous protection personnelle attire plus l’attention que tuer un pauvre musulman en Afrique.
Sansal savait qu’il figurait également sur la liste noire des services secrets algériens, la DGSI. Il a été arrêté samedi à son retour de Paris. Depuis, il n’a donné aucun signe de vie. Son éditeur français Gallimard est « très préoccupé » par le fait que Sansal ne soit plus joignable depuis son arrestation. Les autorités algériennes n’ont pas dévoilé les raisons de son arrestation.
Dans ses romans, Sansal a décrit la montée du fondamentalisme islamiste en Algérie et son règne sanglant de 1992 à 2002, une période officiellement tenue sous silence mais que les auteurs et les critiques dissidents appellent la décennie noire.
Par ailleurs, lors de son voyage en France en octobre, Sansal a également commenté le conflit frontalier entre le Maroc et l’Algérie dans une interview accordée à une chaîne YouTube française et a pris la position marocaine. “Lorsque la France a colonisé l’Algérie et que le Maroc était sous son protectorat, elle a décidé de tracer une ligne aveugle et d’enfermer tout l’est du Maroc à l’Algérie”, a déclaré Sansal. Les autorités algériennes pourraient interpréter cela comme une « atteinte à l’intégrité du territoire ».
“J’espère sincèrement que mon ami Boualem sera bientôt de retour parmi nous”, écrit son confrère Kamel Daoud dans une tribune au quotidien français “Le Figaro« . Daoud y dresse le portrait d’une nouvelle Algérie, « l’Algérie nouvelle », divisée entre des lâches qui restent silencieux face à la terreur du régime et d’autres qui sont traduits en justice ou fuient. “Sansal est mon ami et je ne comprends pas son insouciance”, écrit Daoud, mais l’heure n’est pas aux accusations. « L’exil ne signifie pas seulement quitter un lieu, mais ne plus jamais pouvoir y retourner », note Daoud, fier de cette formule, « mais cacher le prix effroyable » qu’il paie pour cela.
Les livres de Daoud sont interdits en Algérie. Mais on dit que son roman « Houris » passe de main en main comme une copie pirate. L’homme de 54 ans vit en exil à Paris depuis l’année dernière. Il y a deux semaines, il a reçu le prestigieux prix Goncourt pour « Houris ».
En Algérie, Daoud est sous le feu croisé des critiques depuis son exil au plus tard. Il a souvent été critiqué pour sa position pro-française et pour ne pas avoir critiqué la guerre menée par Israël contre la population de Gaza. De tels tons pouvaient également être entendus chez les journalistes arabes à Paris. Mais depuis la remise du prix, Daoud est victime d’une « campagne de diffamation brutale orchestrée par certains médias », comme l’a déclaré son éditeur français dans un communiqué public.
Le jour de l’arrestation de Sansal, Daoud a été qualifié d’« aboyeur » et de « menteur pathologique » dans l’émission algérienne « Hebdo show Algérie » sur la chaîne de télévision publique AL24, et le Prix Goncourt de « plagiat de prix ». Le même jour, le Salon international du livre d’Alger (SILA) fermait ses portes, où la désinvitation de Daoud et de son éditeur français Gallimard laissait un vide notable : la plus grande star manquait à l’événement le plus important de la vie culturelle algérienne.
Deux accusations criminelles contre Kamel Daoud
Mercredi, il a été annoncé que deux accusations criminelles avaient été déposées contre Daoud. Saâda Arbane, 31 ans, accuse l’auteur d’avoir utilisé son récit dans « Houris ». Daoud y décrit la vie d’une jeune femme dont les parents ont été tués dans un attentat islamiste alors qu’elle avait cinq ans. La fille a également été égorgée à ce moment-là, mais elle a survécu, sans cordes vocales, muette, dans une famille d’accueil. Comme la protagoniste du roman, elle dirigeait un salon de coiffure à Oran et luttait contre sa grossesse.
En 2015, Arbane a été soignée par une psychiatre qui est aujourd’hui l’épouse de Daoud. Le couple lui aurait demandé à plusieurs reprises l’autorisation d’utiliser le récit de sa vie et elle aurait refusé à chaque fois.
Toutefois, des critiques en Algérie ont souligné que l’avocate d’Arbane, Fatima Benbraham, est une partisane du régime. L’avocat a déposé une deuxième plainte contre Daoud au nom de « l’Association des victimes du terrorisme ». Avec son roman, il a violé la loi de « réconciliation nationale », a déclaré Benbraham lors d’une conférence de presse jeudi à Alger, en référence à la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » adoptée en 2005. A cette époque, les terroristes étaient assurés de leur retour dans la société civile et les victimes acceptaient de ne pas poursuivre légalement les auteurs.
« La décennie noire n’a pas encore été traitée historiquement, il n’y a pas de récit perceptible par tout le monde », c’est ainsi que l’historienne Karima Dirèche analyse la situation en Algérie dans le quotidien français « La Croix » et ajoute : « La seule Le récit est celui de l’État, dans lequel les événements sont réduits au terme de tragédie nationale, ce qui est une tentative de les présenter comme fatidiques sans établir de contexte ni nommer les responsables.
Un libraire algérien regrette aussi dans « La Croix » que personne ne parle du « choc esthétique » du roman. Mais il est évidemment encore trop tôt pour accepter la phase noire de l’histoire contemporaine, au cours de laquelle 150 000 à 200 000 personnes ont été assassinées et beaucoup ont disparu.
Daoud, quant à lui, critique les « écrivains » parisiens qui confondent le prix de la liberté avec la carte d’un restaurant et insultent des écrivains comme lui venus « de l’enfer ». « Ils ne nous diffament pas par colère, écrit-il, mais pire encore, ils nous tuent par imprudence. »
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