UNvouons-le, après son hilarant Testosterror, satire épileptique et survitaminée du masculinisme contemporain, c’est un terrain sur lequel on n’attendait pas forcément Luz. Le chroniqueur acide de la nouvelle scène musicale des années 2000 – ce qui lui a valu la rancune tenace de certaines figures bien connues de la chanson française –, le trublion de Charlie Hebdo, devenu un symbole mondial de la liberté d’expression après sa couverture du « numéro d’après » (« Tout est pardonné »), accède, avec Deux Filles nues, BD époustouflante, à une maturité artistique nouvelle.
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Les filles nues en question composent un tableau, œuvre du peintre expressionniste allemand Otto Mueller. Nous en suivons les pérégrinations, depuis le premier coup de pinceau donné en 1919 par Otto, amoureux fou de la culture tzigane, jusqu’à son arrivée au musée Ludwig de Cologne, où il est encore visible aujourd’hui.
Entre-temps, la peinture va traverser plusieurs décennies de bruit et de fureur que le dessin rond et généreux de Luz, traité avec de splendides couleurs directes pour l’occasion, traduit… par le point de vue de l’œuvre elle-même.
Car c’est bien par les « yeux » du tableau, avec force cadrages audacieux et acrobatiques, que nous suivons d’abord la vie de bohème de l’intransigeant Mueller, puis le profil de ses différents propriétaires : le sensible et jovial avocat Ismar Littmann, poussé au suicide par les premières répressions antisémites, les dignitaires et idéologues nazis (on croise Hitler et Goebbels), qui l’érigent en emblème de l’art « dégénéré » exécré au cours de la fameuse exposition de Munich en 1937, et Josef Haubrich, qui fera don de sa collection à la ville de Cologne. Avant la restitution bouleversante du tableau à Ruth, la fille de Littmann, avec une ferme invitation à nous interroger sur le destin des œuvres arrachées à leur propriétaire d’origine mais aussi sur la nature, aussi essentielle que dérisoire, de l’art. Car si la toile a survécu, combien de condamnés a-t-elle vu défiler en silence, elle qui, avec ses semblables, n’a rien à opposer à la folie des hommes sinon sa fragile beauté ?
À Découvrir
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Parmi les membres du jury, si Coco a goûté « le rythme très sonore » de Luz, Albert Algoud a souligné combien « la vision de l’expressionnisme du dessinateur rejoint brillamment son propre trait », tandis que Catherine Meurisse était admirative de son propos, « à la fois elliptique et parfaitement documenté ».Deux Filles nues, un acte de résistance lucide, désespéré et joyeux, en des temps où le renoncement guette.
« Deux Filles nues », De Luz (Albin Michel, 192 p., 24,90 €).
Les finalistes du prix Wolinski 2024
« La Chiâle », de Claire Braud (Dupuis, 216 p., 29,95 €).
« Bizarre, gluant, nourrissant. » C’est ainsi que Jul a qualifié cet étrange et fascinant objet. Dans La Chiâle, Claire Braud relate sa dépression par l’intermédiaire de son double, Carilé, à l’aide d’un joyeux foutoir entre rêve et réalité où l’on passe, littéralement, du coq à l’âne : les déchirures familiales entre son père et son frère sont traitées « en mode chats sur fond de Japon fin de siècle » ; les attentats du 13 Novembre questionnent la provinciale Carilé dans sa relation d’amour-haine à Paris ; et on visite, incrédule, un salon « de la sécurité intérieure des États » où Carilé fait l’hôtesse, entre deux chars d’assaut et une simulation de carnage. Mais c’est surtout avec un voyage au Sri Lanka, sur les traces d’un massacre d’État commis sur une plage idyllique, que le récit prend une ampleur qui a conquis les membres du jury. Claire Braud offre alors aux rescapés de cet enfer, avec une puissance évocatrice salutaire, une humanité et une voix qui résonnent au plus profond de ses pages. R. B.
“L’intranquille, M. Pessoa” (Dargaud, 136 p., 25 €).
Simao, un jeune journaliste, doit écrire la nécro de Pessoa dont la mort est prochaine. Ignorant tout de l’écrivain mais n’osant pas l’aborder, il va le suivre dans Lisbonne. Une filature jalonnée de rencontres surprenantes et de flash-back éclairants sur la jeunesse de Pessoa. L’enquête se mue bientôt en dérive urbaine dans cette ville dont les mystères, la beauté mélancolique et les couleurs crépusculaires sont en harmonie avec les arcanes de l’imaginaire de cet intranquille personnage. Tant sur le plan scénaristique qu’artistique, la magnifique prouesse de Nicolas Barral est d’avoir fait de cette mission banalement journalistique une aventure passionnante où fiction et réalité se télescopent de troublante façon. Et c’est une très belle idée que de confronter Pessoa avec certains de ses nombreux pseudos, ses « hétéronymes » venus lui reprocher, alors qu’il va mourir, une « usurpation d’identité ». Pas besoin d’avoir lu une seule ligne de Pessoa pour plonger dans cette histoire qui, sans didactisme pesant, constitue la plus belle incitation qui soit à découvrir un auteur inclassable pour lequel « la littérature est la preuve que la vie ne suffit pas ». Albert Algoud
« Le Cas David Zimmerman », de Lucas et d’Arthur Harari (Sarbacane, 360 p., 35 €).
C’est une réunion qui faisait fantasmer les amateurs des deux frères, des artistes aussi virtuoses qu’atypiques. Celle de Lucas, dessinateur surdoué et cérébral (L’Aimant, La Dernière Rose de l’été), et d’Arthur, cinéaste (Onoda), scénariste (Anatomie d’une chute) et acteur (Le Procès Goldman) célébré et multiprimé. Le résultat dépasse toutes les espérances avec ce monumental Cas David Zimmerman, où les deux complices ont poussé la collaboration jusqu’à la quasi-gémellité. Charles Berberian a été abasourdi par « la maîtrise de cette construction à tiroirs », où ledit David Zimmerman se réveille dans la peau de la jeune femme avec qui il a passé la nuit, alors que son propre corps a disparu, habité par cette mystérieuse amante d’un soir. Du moins le croit-il, car c’est le début d’une vertigineuse et inquiétante enquête, où le dessin tout en virtuosité géométrique de Lucas Harari, baigné de teintes et de trames bleutées, se hisse à la hauteur de grands maîtres américains comme Charles Burns ou Dan Clowes. Un sommet de « beau-bizarre » dont la conclusion vous laissera sans voix. R. B.
« Les Nourritures extraterrestres », de Stephen Vuillemin (Theogle Graphic, 144 p., 26 €).
« Je crois que nous tenons le Xavier Bouyssou de la cuvée 2024 ! » s’est exclamé Bastien Vivès devant ces Nourritures extraterrestres, en référence à l’ovni de la sélection 2023 qui s’était frayé un chemin parmi les finalistes du prix Wolinski. Il faut dire que l’ouvrage de Stephen Vuillemin, qui n’a qu’un très lointain rapport avec André Gide malgré le clin d’œil à « l’inquiéteur » en chef de la littérature française, n’a laissé personne indifférent au sein du jury. Stephen Vuillemin a conçu ses histoires courtes et cauchemardesques comme des « pauses récréatives » (!) sur Instagram pendant qu’il réalisait son premier court-métrage d’animation. Ses planches, à l’inventivité graphique aussi variée que sans limites, regorgent de créatures monstrueuses ou ectoplasmiques, qui lorgnent vers le surréalisme débridé de l’infernal trio de Panique (Topor, Arrabal et Jodorowsky). Mention spéciale aux épouvantables recettes proposées par Vuillemin, dont cette « caille en cotte de mailles comestible » faite… en anus de porc qu’une mère déguste sans sourciller pour montrer à sa bobo de fille qu’elle aussi a des « goûts raffinés ». Bon appétit ! R. B.
« Madeleine, résistante », tome 3. « Les Nouilles à la tomate », de Dominique Bertail, J.-D. Morvan et Madeleine Riffaud (Dupuis, 128 p., 23,50 €).
Troisième tome de cette histoire vraie, racontée par celle qui l’a vécue, Madeleine Riffaud, qui est décédée le 6 novembre dernier. Dernière image de l’album : un banquet improvisé entre la poste et la mairie du XIXe arrondissement. On est au mois d’août 1944, Paris est libéré. Madeleine demande à son voisin : « On est le combien, déjà ? » On est le 23, c’est son anniversaire. Madeleine a 20 ans. Cela veut dire qu’elle s’est engagée à 17 ans, et qu’elle a tout vécu : la clandestinité, la mort des proches, les armes, le combat, l’évasion, les salauds. Elle a tué et on l’a torturée. Les nazis ont fait pire encore, ils ont torturé devant elle d’autres partisans en l’obligeant à regarder.
Elle n’a jamais craqué, jamais parlé. Son récit, qui pourrait figurer un roman d’aventures ou un scénario, presque trop riche en rebondissements pour qu’on y croie, est, hélas ou tant mieux, car elle a survécu, la stricte vérité, vérifiée, authentifiée et formidablement mise en image par Bertail et Morvan. À recommander dès 7 ans, et bien au-delà de 77 ans. Jacques Dupont
Avec les compliments du jury
Albert Algoud
Charles Berberian
Ugo Bienvenu
Romain Brethes (Le Point)
Coco
Philippe Druillet
Jacques Dupont (Le Point)
Juillet
Catherine Meurisse
Christophe Ono-dit-Biot (Le Point)
Bastien Vivès
Natacha Wolinski
2024-12-04 11:00:00
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