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“Deux innocents”: un roman sur la confusion des sentiments et l’impossibilité de la tendresse dans un monde ultra-sexualisé.

“Deux innocents”: un roman sur la confusion des sentiments et l’impossibilité de la tendresse dans un monde ultra-sexualisé.

À partir de l’histoire vraie d’une enseignante d’un établissement spécialisé, accusée à tort d’attouchements inappropriés, Alice Ferney livre avec “Deux innocents” un roman magistral sur la confusion des sentiments et l’impossibilité de la tendresse dans un monde ultra-sexualisé.

“J’écris des romans pour aller chez les autres”, disait Romain Gary. Avec son nouveau roman “Deux innocents”, Alice Ferney fait sienne cette maxime. En romancière subtile et rigoureuse, elle cherche à pénétrer jusqu’au cœur d’une histoire vraie, arrivée à d’autres. Ces personnes deviennent ses personnages. L’autrice les observe sans tout savoir d’eux. Quant à la protagoniste: Alice Ferney sait presque tout ce que son personnage sent, fait et pense. Presque.

Claire Bodin est une enseignante lumineuse, généreuse, qui offre son cœur, son attention, sa bonté, sa tendresse affectueuse à des adolescents souffrant de handicaps mentaux – à qui cette chaleur est le plus souvent déniée. Les scènes en classe offrent des pages particulièrement remarquables, émouvantes et précises: les corps crispés, les langues pendantes, les mentons baissés qui se relèvent, les choix vestimentaires, la gaîté qui se répand, l’humour, la fierté parfois, la gentillesse.

Dans un monde qui refuse à ces jeunes la perspective du couple, Claire Bodin leur dit que tout le monde aspire à l’amour. Donne son numéro de portable. Dispense les marques d’affection qui feront du bien. Jusqu’à ce que l’un des élèves, Gabriel, semble tomber amoureux de son enseignante. Inconsciente des attentes qu’elle suscite? D’une “innocence coupable”?

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Claire Bodin est mise en cause, son comportement expansif et tactile est jugé inadéquat. Tant par la mère de Gabriel que par la directrice de l’école. Minée par la surveillance suspicieuse dont elle fait désormais l’objet, elle perd la grâce, s’éloigne de ses propres valeurs, s’effondre – et ses élèves avec elle – jusqu’à ce que survienne un drame irréparable. L’appareil judiciaire prend le pas sur l’humanité. La candeur de Claire Bodin, sa foi dans la primauté du cœur, la préparent mal à défendre sa cause. Gabriel est sorti du jeu. Reste un triangle de femmes (la directrice, la mère, l’enseignante), que ne rapproche nulle sororité. La fin est ouverte: il n’est même pas dit que l’institution de la justice, manifestement dépourvue de la finesse des sentiments, soit pour autant mauvaise.

Le portrait de Claire Bodin marie remarquablement les dimensions sociales et psychologiques, en ramenant les caractéristiques sociales à leur réalité intime. Ainsi le milieu simple de Claire s’incarne-t-il dans un manque de confiance en soi que le soupçon va dilater. Ses échanges en famille – elle se sent mère avant tout, auprès d’un mari attentif, amoureux et soutenant – disent son inscription catholique et l’aspiration comblée à un modèle traditionnel qui semble ici donner le meilleur.

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En épousant les pensées et les sentiments de Claire avant tout, “Deux innocents” prend le parti de ne pas questionner la culture du viol ou la pédocriminalité dans l’Eglise (#metoo ou l’affaire Barbarin sont explicitement mentionnés dans le texte), mais d’interroger les méfaits du soupçon: un poison collatéral qui ravage une innocente. (Encore que le lectorat aura toute latitude de se détacher de la version donnée, pour se demander s’il faut juger des actes par les intentions qui les meuvent ou par les conséquences qu’ils pourraient entraîner – sans que la responsabilité de Claire Bodin soit définitivement éclaircie par la justice.)

Sur ce choix, Alice Ferney insiste: c’est une histoire vraie qu’elle a voulu écrire en restant au plus près de ce qu’elle pouvait en comprendre à travers l’enseignante accusée, qu’elle connaît. Il ne s’agissait pas de fabriquer une histoire pour démontrer une thèse ni de remettre en cause la libération de la parole des victimes.

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Le livre affirme en revanche sa foi dans la capacité du roman à entrer dans la finesse du réel, loin des polarisations, loin des camps. Comme une étude qui remettrait l’humanité insoupçonnable d’une personne singulière au centre de l’attention, dans l’attention portée à l’écriture.

Le texte entre ainsi en dialogue, implicite ou explicite, avec d’autres romans (“Disgrâce” de Coetzee, ou “La Pitié dangereuse” de Zweig), et libère des vertus foncièrement littéraires. Il se termine même dans une saveur de roman catholique où le salut arrive, quand il arrive (pas pour tous), par l’épreuve et la bonté. Catholique, comme Claire Bodin. Pas comme Alice Ferney. Qui écrit ses romans pour aller chez les autres.

Francesco Biamonte/aq

“Deux innocents”, Alice Ferney, Actes Sud

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