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dix ans après l’attentat de “Charlie Hebdo”, le lent déclin de la caricature

by Nouvelles

2025-01-07 07:02:00

Une décennie après l’attentat contre Charlie Hebdo, la caricature poursuit son déclin, marqué pour les dessinateurs par une impression de décalage par rapport à la société et une forte précarisation. Plusieurs d’entre eux ont accepté de témoigner de l’évolution de leur métier.

“La fin d’un monde.” C’est ainsi que le spécialiste du 9e Art Yves Frémion décrit dans son livre De la caricature à Charlie Hebdo l’état du dessin politique en France après l’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdopendant lequel huit membres de la rédaction ont été tués dont les dessinateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski.

Dix ans après cet attentat, la caricature – un dessin d’actualité qui tourne en dérision une situation ou une personne – poursuit son lent déclin. Les deux projets de musée du dessin de presse prévus à Paris et à Bruxelles ne cessent d’être repoussés. Les espaces de publication se réduisent et les pressions politiques s’accroissent.

Le dessin satirique antireligieux, très populaire au 20e siècle, a disparu. Alors que le New York Times a cessé de publier en 2019 des caricaturesla dessinatrice Ann Telnaes vient de claquer la porte du Washington Postdénonçant le rejet d’une de ses caricatures montrant Jeff Bezos, le propriétaire du quotidien, offrir de l’argent à Trump.

Le public semble par ailleurs moins réceptif, en témoignent les multiples polémiques suscitées par des caricatures ces dernières années. En septembre dernier, des dessins de Félix dans Charlie Hebdo liant les consultations d’Emmanuel Macron pour trouver un nouveau Premier ministre ou la sortie du film L’Amour ouf au procès des violeurs de Mazan ont particulièrement choqué.

“On leur refuse leurs meilleurs dessins”

Malgré une impression de décalage voire de “ringardisation” du dessin de presse par rapport aux évolutions de la société, cet art a encore beaucoup à offrir, assure cependant le dessinateur de presse Aurel, collaborateur au Canard enchaîné. “Le dessin de presse est plus complexe que ce à quoi on le cantonne”, affirme-t-il à BFMTV.com.

De Fakir à Siné Mensuel en passant par des titres plus confidentiels comme La Lettre à Lulu ou Zéliumla presse satirique reste active en France. “C’est l’illustration de cette culture française de la caricature”, salue Aurel, en précisant que le dessin de presse se déploie aussi avec succès sous la forme du croquis d’audience.

Si les dessinateurs de presse résistent à l’autocensure, mesurer l’impact du 7 janvier sur les caricatures reste malgré tout difficile. “On ne peut juger que ce qui paraît”, souligne Yves Frémion. “Des dessinateurs aussi radicaux qu’un Reiser ou un Willem, j’en connais, mais ce n’est pas forcément ceux que la presse publie. Ils publient eux-mêmes des dessins plus radicaux sur des blogs ou des sites dédiés.”

“Ce qui paraît dans la presse est nettement moins fort. On leur refuse leurs meilleurs dessins”, assure le spécialiste. “Ils le disent tous: il y a des sujets qu’ils n’abordent plus dans la presse.”

“Je n’ai pas le sentiment de faire plus différemment qu’avant”, modère auprès de BFMTV.com Urbs. Collaborateur de Sud Ouest, il est l’un des 34 dessinateurs à avoir sa carte de presse en France. “Il n’y a pas eu de basculement suite aux attentats”, ajoute Aurel. “Par contre, la précarité ne cesse d’empirer depuis longtemps.”

“Ça m’a rendu plus inquiet”

Hors de France, la situation a empiré depuis l’attentat. Surtout dans les régimes autoritaires. “Ce qui s’est passé avec Charlie nous a choqués et nous a fait nous sentir encore plus vulnérables et encore plus seuls”, confie à BFMTV.com le dessinateur turc Ersin Karabulut, cofondateur de la revue satirique Uykusuz.

“L’attentat contre Charlie m’a juste rendu plus inquiet. Et plus attentif à ce que l’on dit”, poursuit ce dessinateur désormais installé en France, qui retrace son parcours dans la BD Journal inquiet d’Istanbuldont le deuxième tome vient de paraître. “Le 7 janvier 2015, j’ai compris que ce métier n’était pas facile à pratiquer où que ce soit”.

“Tuer une personne pour un dessin est comme une maladie. Et on a vu qu’elle se répandait”, déplore-t-il.

“Ça a été pour nous un grand choc de constater que les pays européens avaient eux aussi des problèmes de ce genre”, commente le dessinateur. “Après Charlie Hebdo, on a arrêté de rêver que l’on pourrait vivre de nos dessins en France.”

“Ça peut recommencer (les attentats)”, a assuré Coco sur France Inter en décembre dernier. “Bien souvent, on a voulu faire passer les victimes pour des coupables dans les dessins qu’on fait. Ça nous cible davantage. Il faut faire toujours très attention.” La rédaction de Charlie Hebdo travaille d’ailleurs dans un lieu secret ultra-sécurisé.

La pression des réseaux sociaux

L’explosion des réseaux sociaux depuis 2015 n’a pas aidé non plus le dessin de presse. “On touche un public que l’on ne devrait pas toucher”, estime Ersin Karabulut. “Quand vous travaillez dans un magazine, vous vous adressez à un public spécifique. Mais avec les réseaux sociaux, un autre public accède à votre dessin. Et cela peut être dangereux.”

“Quand les gens de LFI n’arrivent pas à lire un dessin de Coco, ou essayent de nous faire croire qu’ils n’arrivent pas à le lire juste pour plaire à leur électorat, c’est effrayant”, dénonce de son côté Urbs.

La dessinatrice avait notamment été attaquée pour une caricature sur la famine à Gaza publié dans Libération en mars 2024. Dans ce dessin, Coco montrait un homme affamé tentant de manger des rats. “T-t-t, pas avant le coucher du soleil!”, lui dit une femme en lui tapant sur la main. Intitulée “Ramadan à Gaza”, la caricature avait été jugée “tout bonnement immonde” sur X par la députée La France insoumise (LFI) Sarah Legrain.

“Je pense que ce sont des faux-culs”, dénonce encore Urbs, qui œuvre au sein du collectif Cartooning for Peace. “Tu ne me feras pas croire que tu es député politique sans avoir une culture de la presse. C’est une utilisation du dessin à des fins politiques. Et c’est dégueulasse parce que ça met en danger des collègues.”

Menacée de mort après son dessin, Coco concédait en décembre dernier dans Elle avoir écouté les avis suscités par sa caricature. “Les réactions à ce dessin (…) m’ont fait beaucoup réfléchir. Finalement, il en ressort quelque chose de plutôt positif.”

Crainte généralisée

Ces réactions de plus en plus virulentes témoigneraient d’une crainte généralisée des incidents que les caricatures pourraient provoquer, selon Urbs. “On a plus peur de la kalachnikov que du dessin politique. Les réactions aux caricatures sont souvent faites de peur et de lâcheté. Je pense que ça freine le public, mais pas les dessinateurs.”

Analyse partagée par Yves Frémion. “J’ai une théorie un peu radicale”, prévient-il. “Je pense que les frères Kouachi ont gagné.”

“Ils ont imposé non seulement à notre pays mais aussi à presque tous les pays du monde la trouille absolue du dessin politique et du dessin de presse”, estime-t-il. Et le spécialiste d’ajouter: “Les responsables de publication sont obligés aujourd’hui de penser à la sécurité des gens qui travaillent pour eux mais ils sont habités par une trouille absolue d’avoir des emmerdes. Pas seulement avec les intégristes mais aussi avec tous les groupes de pression qui s’expriment au travers d’Internet.”

Dans son ouvrage Charlie quand ça leur chantequi paraît ce mercredi, Aurel modère ces inquiétudes. Il raconte au contraire comment le dessin de presse est pris en étau entre “néo-réacs” et “wokes”, deux générations que tout oppose en termes d’humour. Une opposition qui permet au dessin de presse d’évoluer pour le meilleur selon lui.

Précarisation

S’il dénonce les idées rances des “néo-réacs”, il invite à écouter les “wokes”. Tout en “se méfiant des stéréotypes qui peuvent être maintenus dans le dessin de presse”, cette génération offre aux dessinateurs un nouveau cadre de réflexion pour devenir “de meilleurs humoristes politiques” et “de plus fins analystes de la société”, insiste Aurel.

“Ce n’est pas la première évolution du métier”, enchaîne-t-il. “On ne dessine plus les mêmes blagues qu’il y a 20 ans.”

“Et ce n’est pas juste la société qui a évolué”, complète-t-il. “Nous aussi on a évolué. On a pris conscience que certaines choses étaient débiles, grossières, balourdes. C’est normal et sain d’interroger nos références.”

Car l’avenir du dessin de presse et de la caricature se joue désormais moins sur les réseaux sociaux que dans les rédactions. “L’importance accordée au dessin de presse dans un journal est la responsabilité du rédacteur en chef. La question, c’est est-ce que les futurs rédacteurs en chef auront cette culture-là?”, s’interroge Urbs.

Alors que sa place dans les journaux se réduit de jour en jour, le dessin de presse est le grand oublié du virage numérique des rédactions – et des négociations syndicales au sein des médias. “La plupart des journaux font tout pour nous précariser”, dénonce Aurel dans son livre, en citant des tarifs de piges “de plus en plus faibles”.

Une situation qui rend compliqué la pratique du dessin de presse. “C’est un métier qui demande tellement d’investissement permanent que c’est compliqué de faire ça en dilettante”, souligne-t-il. “Avec des soutiens comme ça, les patrons de presse peuvent dormir tranquilles… et le dessin mourir en paix”, conclut-il dans son ouvrage.



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