Emmanuelle Robert dissémine des cadavres dans le Léman entre l’île de Peilz et Lausanne. Avec “Dormez en Peilz”, ce roman chorale, dense, aussi sombre que les eaux vertes bleues du lac, l’écrivaine vaudoise impose son rythme et nous force à retenir notre souffle.
En tant qu’amoureuse des romans policiers, “ces contes morbides pour adultes”, Emmanuelle Robert s’impose doucement dans le petit monde du polar romand comme une écrivaine qui compte. Son précédent ouvrage, “Malatraix” (2021), avait déjà ravi les lecteurs du cru.
Face à la beauté des paysages du Chablais, de la Riviera, de Lavaux et de Lausanne, il est impossible de rester insensible. Pourtant, Emmanuelle Robert choisit d’y abandonner quelques cadavres en contrepoint à la magnificence des lieux. Le pourrissement des corps sur une colline rocheuse au-dessus de Villeneuve fait écho à la noyade d’un kayakiste coincé sous un filet de plomb recouvert de moules quagga, ou à un plongeur empalé alors qu’il visitait l’épave de l’Hirondelle au large de la Becque. Pour gérer tous ces morts, il faut une équipe efficace que l’auteure invente avec audace, imaginant même une police “Riviera-Chablais”.
“J’ai un passé de journaliste et j’ai travaillé pour l’Agence Télégraphique Suisse (ATS), donc la précision et la vérification étaient une seconde nature pour moi. Mais pour mes romans, j’essaie de laisser autant de place que possible à l’imagination, afin que le lecteur puisse se faire son propre film”, déclare Emmanuelle Robert.
Mais elle ne se débarrasse pas pour autant de tous ses réflexes journalistiques. Emmanuelle Robert, tout en se permettant une grande part d’inventivité, ancre néanmoins son récit dans quelques réalités liées au travail de policier, de gendarme ou de la brigade du lac.
Quant au sport, tant dans “Malatraix” que dans “Dormez en Peilz”, elle en parle en tant que spécialiste. L’ultratrail ou la plongée n’ont aucun secret pour elle. “Ces sports font ressortir des facettes de nos personnalités et des émotions fortes. Ils permettent donc de les faire émerger dans l’histoire”, explique-t-elle.
Dans ce récit chorale, les personnages se croisent entre passé et présent. Déjà présents pour la plupart dans le précédent roman, ils évoluent avec leurs failles. D’autres personnages hauts en couleur viennent compléter le casting. Tous ont leur personnalité, leurs secrets, leur langage. Emmanuelle Robert leur donne un parler vaudois, neuchâtelois, ils sonnent “vrai”.
Et ils se connaissent tous. La région est petite, les interactions inévitables. L’auteure, véritable “chenoille”, glisse également quelques animaux à poils ou à écailles à vertu exutoire, dont Pétole, un chat obèse.
“Dormez en Peilz” déroule ses intrigues opaques et oppressantes sous la ligne de flottaison tandis que les bateaux de la CGN “tututent” les trains en surface. Le monde aquatique des plongeuses et plongeurs du Léman s’éclaire cependant lorsque l’enquête se résout. Il faut du souffle pour embarquer dans ce polar lacustre. Heureusement, Emmanuelle Robert n’en manque pas.
Catherine Fattebert/aq
Emmanuelle Robert, “Dormez en Peilz”, ed. Slatkine.
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