Émeutes en France : Nuits de colère en banlieue : « Ce ne sont pas des émeutes, c’est une émeute » | International

Émeutes en France : Nuits de colère en banlieue : « Ce ne sont pas des émeutes, c’est une émeute » |  International

2023-07-02 12:21:48

Les sirènes hurlent de façon obsessionnelle, les gyrophares de la police clignotent au loin, il y a des restes d’un feu de joie au milieu de la rue, l’un des voisins venu jeter un coup d’œil demande à deux filles qui s’éloignent du lieu de l’émeute :

« Est-ce que Bagdad est là, les filles ?

Et ils — la tête et la bouche recouvertes d’un foulard sombre, on ne sait si pour se protéger des gaz ou par tradition — répondent :

-Ouais!

Ce n’est pas Bagdad : c’est le banlieue, la banlieue multiculturelle et déshéritée de Paris, au quatrième soir d’émeutes, après la mort, mardi, de Nahel (ou Naël), un jeune de 17 ans d’origine maghrébine, abattu par un policier. Il s’agit de Bondy, connue pour être la ville de Kyilian Mbappé, footballeur français d’origine camerounaise et algérienne, la superstar qui, quelques heures après qu’une vidéo de la mort de Nahel a commencé à circuler, a déclaré : “La France me fait mal”.

C’est la France en 2023, un pays qui vit une anomalie : un millier de détenus quelques nuits, des dizaines de policiers et gendarmes blessés et un président, Emmanuel Macron, qui cherche un moyen de contrôler la situation et a été contraint de suspendre une visite d’État en Allemagne. En moins d’une semaine les Français ont subi une double frayeur. D’abord à cause de la mort filmée d’un adolescent sans défense et des dérives policières. Plus tard, en raison des violences déchaînées contre les bâtiments officiels – commissariats, mairies, bibliothèques, écoles… – et des destructions et pillages de commerces. Après les funérailles de Nahel samedi, les autorités se préparaient à une cinquième nuit d’incendie et d’insomnie, concentrant leurs efforts sur des villes comme Marseille, Lyon et Grenoble.

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Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz à Bruxelles vendredi.DPA via Europa Press (DPA via Europa Press)

C’est l’histoire d’une nuit au banlieue. De Nanterre, la commune de Nahel au nord-ouest de Paris, à Montreuil au nord-est. Un parcours de 40 kilomètres traversant deux départements (Hauts-de-Seine et Seine-Saint-Denis). Un voyage à la recherche des origines de la colère qui se déchaîne ces jours-ci et dans lequel, plus d’une fois, on perçoit aussi la lassitude de certains contre ceux qui expriment leur colère par la destruction et le pillage. 57% des Français font confiance ou aiment la police, selon une enquête de l’institut Ifop publiée par le journal Le Figarocontre 32 % qui ressentent de l’hostilité ou de l’inquiétude. Le leader politique le plus apprécié pour sa réaction à la crise, selon le même sondage : Marine Le Pen, leader de l’extrême droite.

“Pour l’instant, tout est calme.

L’orateur est un agent des CRS, les Sociétés républicaines de sécurité, un corps de la police nationale française chargé du maintien de l’ordre. Lors de la révolte de 1968, qui a commencé précisément à l’Université de Nanterre, un slogan a été popularisé qui les vilipendait en disant : « CRS, SS ». Nous sommes vendredi, onze heures du soir, et à Nanterre, là où tout a commencé, il n’y a personne dans la rue à part des dizaines de camionnettes de CRS et quelques journalistes perdus. Les CRS sont presque aussi perdus. Ils viennent du nord de la France, ils ont été mobilisés dans l’opération pour réprimer le soulèvement des banlieues. Les deux dernières nuits, 45 000 policiers et gendarmes ont été déployés dans les zones à risque sur l’ensemble du territoire, en plus d’hélicoptères et de véhicules blindés.

Le calme devant la Préfecture des Hauts-de-Seine, une tour de 25 étages à quelques mètres de la place Nelson Mandela, celle-là même où se trouvait le poste où la Mercedes que conduisait Nahel s’est écrasée après avoir été abattue par le policier. Calme devant l’école Miriam Makeba, qui garde les vestiges d’un attentat de mardi : verre brisé dans le hall et odeur de brûlé. Le lendemain, Jean-Yves Sioubalak, président de l’association des parents d’élèves, s’est posté avec d’autres parents devant l’école et y a passé la nuit pour la protéger. Il dit que lorsqu’un groupe suspect s’approche, il essaie de les en dissuader. Et il leur dit :

“Vous n’avez pas besoin de brûler l’école. C’est ce qui permet à nos enfants d’apprendre. L’école est l’avenir.

Chemin de la Ville Pablo Picasso. Cité Pablo, comme on l’appelle à Nanterre, est le quartier où vécut Nahel, immanquable pour les tours circulaires de l’architecte Émile Aillaud, et où chaque nuit des jeunes affrontent la police en tirant des feux d’artifice avec des navettes. Un graffiti : « Justice pour Naël. Je n’oublie ni ne pardonne.” A proximité, une pancarte de la Mairie : « Nanterre, on fait la fête tout l’été ». Plus loin, une dizaine d’hommes entre 20 et 30 ans conseillent de faire demi-tour : « Ne vous aventurez pas. S’ils entrent, ils seront lapidés comme les policiers.

“Ce ne sont pas des sauvages !”, préviendra plus tard une femme près de la gare de Nanterre. “Ce n’est pas le zoo.”

Les premiers pétards retentissent, un drone survole le parc central de la ville, une colonne de fumée s’élève dans le Cité Pablo et, plus loin, les gratte-ciel du quartier de La Défense, lumineux dans le noir, semblent être le décor de la France prospère et monumentale qui sépare Paris de cette banlieue comme une frontière infranchissable. Les choses semblent parfois différentes d’un côté de l’ensemble et de l’autre.

“Ce que vous appelez des émeutes, j’appelle une révolte”, lance Sirine Sehil, avocate de 26 ans, petite-fille d’Algériens, “ici trois générations”, déplore-t-elle, “et ils disent même à moi et à mes frères et sœurs que nous ne sommes pas Français”. La conversation a lieu la veille à Nanterre, lors d’une marche à la mémoire de Nahel qui s’est terminée par des gaz lacrymogènes, des vitrines brisées et des locaux incendiés. L’avocate exprime une opinion répandue chez les jeunes : en France, la protestation pacifique ne sert à rien, seulement lorsqu’il y a des émeutes – seulement avec rébellion, dirait-elle – ceux qui protestent deviennent visibles et sont entendus.

“Les personnes qui appellent à des manifestations pacifiques ne seront jamais victimes de violences policières”, ajoute Sirine Sehil. “Nous n’appelons pas au calme, nous appelons à la justice et à la vérité. Nous ne demanderons pas justice en souriant, car si cela fonctionnait, nous le saurions déjà.

Sur l’autoroute qui ceinture Paris au nord, la radio rapporte que la tension a atteint Marseille convulsée, et que Mbappé et d’autres footballeurs de l’équipe nationale ont signé un communiqué dans lequel ils appellent au calme et déclarent : “La violence ne résout rien”. .”

Une femme s'approchait samedi d'un hommage impromptu dans une rue de Nanterre à l'adolescente Nahel.
Une femme s’approchait samedi d’un hommage impromptu dans une rue de Nanterre à l’adolescente Nahel.Sam Tarling (Getty Images)

pillages et feux de joie

Il semble, à cette heure de la nuit, que l’appel aboutisse, ou peut-être est-ce le déploiement de dizaines de milliers de policiers et gendarmes qui explique que cette nuit soit plus calme en région parisienne, la première depuis la mort de Nahel. Mais lorsque vous prenez la sortie Bondy de l’autoroute, il devient clair que ce n’est pas le cas. Il est une heure du matin. Une voiture de police est en feu, ils pillent un magasin appartenant à la chaîne de meubles et d’électroménager Conforama, qui en ce moment pénètre dans le centre-ville en voiture est contraint d’esquiver les feux de joie ou une poubelle en feu dans la rue principale.

« Je suis triste », avoue un homme sur le seuil de sa petite maison de ville à Bondy. Il s’appelle Patrick, il est transporteur à l’aéroport de Roissy, aujourd’hui il a 39 ans, il fait la fête entre amis dans le petit patio alors qu’à un peu plus d’un kilomètre de là, le tapage commence. “Qu’ils soient énervés, je comprends, mais jusqu’à un certain point.”

Comme d’autres personnes interrogées ce soir, Patrick appartient à ce qu’on appellerait une minorité, dans son cas, un Français à la peau noire, et comme beaucoup, notamment parmi les plus de 30 ans, il refuse la violence.

“Ils ont tué un enfant, d’accord, mais en Ukraine ils en tuent un millier chaque jour”, commente un Algérien de 72 ans qui passe devant la mairie. La façade, illuminée du rouge, blanc et bleu du drapeau national, la devise « Liberté, égalité, fraternité » sur la façade, et les pompiers tentant d’éteindre l’incendie de plusieurs véhicules électriques sur le parking municipal. L’homme se demande: “Pourquoi font-ils cela?”

“La violence a été banalisée”, constate l’essayiste Karim Bouhassoun, fils de la banlieue qui a réussi à étudier à la prestigieuse Sciences Po, essayiste et conseiller des collectivités locales, et auteur de ¿Que veut la banlieue? Manifeste pour en finir avec une injustice française (Que fait le banlieue? Manifeste pour mettre fin à une injustice française). « La gangrène du crime organisé alimente également les comportements ultraviolents. Ils savent s’organiser très vite pour être violents.

Bouhassoun ajoute : “Je pense que la violence de ces jeunes vient d’un sentiment d’humiliation : ils n’ont pas de travail, quand ils croisent la police, ils les regardent mal ou demandent leurs papiers à cause de leur apparence, ils vivent loin des centres urbains et, enfin, ils ont le sentiment d’être relégués et de ne pas faire partie de la communauté nationale. Vous aurez vu que, lorsqu’ils passent à l’action, ils s’attaquent aux symboles de la République : le drapeau, l’école, les mairies, les commissariats. J’analyse cela comme une forme de rejet par le père. Il n’y a pas d’autorité familiale assez forte pour leur imposer des limites. Il y a une énorme concentration de mères célibataires dans les quartiers qui brûlent. Souvent, les parents n’existent pas ou sont absents. L’Etat occupe cette place, mais de leur point de vue il les ignore. Ce qu’ils font, c’est dire à l’État : « Vous ne voulez rien savoir de nous et c’est pourquoi nous vous détruirons, en détruisant vos symboles ».

Vers le centre de Bondy marchent trois filles, cheveux découverts, habillées pour une fête. L’une d’elles, qui se déclare musulmane, explique qu’elle ne voit aucun problème à incendier des mairies ou des commissariats. “Par contre, ajoute-t-il, il n’est pas juste d’attaquer des appartements ou des voitures, car les gens les ont achetés à la sueur de leur front”.

A 500 mètres du pillage, des dizaines de garçons courent pour échapper aux gaz lacrymogènes, et un homme d’une quarantaine d’années sourit : “On ne va pas avoir que des Mbappés à Bondy !” Elle s’appelle Nordine et, comme d’autres de son âge, elle est sortie ce soir pour assister aux émeutes. Lui, comme ses amis, avait plus ou moins le même âge en 2005 que ceux qui courent maintenant. C’était l’année du grand soulèvement des banlieue et la référence que chacun prend en compte, des régies du pouvoir à l’Élysée aux habitants des banlieues. Nordine et ses amis discutent des différences :

—Maintenant, ils sont plus jeunes, ils ont des réseaux sociaux.

—Ils rivalisent entre les quartiers pour voir lequel est le plus fort.

— Nous avons écouté nos grands frères : ils n’écoutent même pas leurs parents.

Rouler dans les villes de la périphérie, c’est croiser de temps en temps un feu de joie, une voiture incendiée, ou un centre commercial pillé quelques heures auparavant et transformé en vidéo virale sur les réseaux sociaux. “Rentrez chez vous !”, crie une policière depuis sa voiture, via un haut-parleur, à des jeunes marchant dans un quartier désert de Rosny-sous-bois. Il est presque quatre heures et à Montreuil voisin une voiture a brûlé devant un immeuble. Une femme plus âgée sort dans la rue dans sa robe de chambre rouge et un parapluie. Il pleut.

“Je me suis levée pour faire pipi et ça sentait le brûlé”, raconte la femme. “Ma sœur habite en bas et j’avais peur que cela se soit passé chez elle.”

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