Enquête ethnographique sur la santé cardio-vasculaire en milieu rural au Bénin

Enquête ethnographique sur la santé cardio-vasculaire en milieu rural au Bénin

Au Bénin, les maladies cardiovasculaires sont devenues un problème de santé publique majeur au cours des dernières décennies, tant en milieu urbain que rural. En milieu rural, l’accès inégal aux soins, l’éloignement de la médecine moderne, la prévalence de l’automédication et le recours à la médecine traditionnelle sont au cœur de la vie des patients et de leurs familles. Dans le petit village de Tanvè, une étude épidémiologique de cohorte appelée Étude sur la santé de Tanvè (TAHES) a documenté l’état de santé cardiovasculaire de la population de 2015 à 2021 grâce à une série d’enquêtes annuelles. Parallèlement à cette étude, nous avons mené une enquête ethnographique complémentaire entre 2019 et 2021. À travers une série d’études de cas, nous avons mis en évidence la cohabitation de différentes interprétations de la maladie et de multiples logiques de soin. Nous avons également montré comment le manque de politique de protection et d’aide sociale place la responsabilité des soins quotidiens des patients sur les familles, en particulier sur les femmes.

Les familles sont confrontées à la maladie et à son traitement sans soutien de l’État, et la taille et la disponibilité de la famille sont donc cruciales. Certaines familles disposent de ressources importantes, comme une grande maison, des enfants restés au village avec des revenus réguliers et la présence de filles et de belles-filles qui jouent un rôle déterminant dans les trajectoires thérapeutiques des malades. Cependant, toutes les familles n’ont pas de telles ressources. Par exemple, Honorine, dont le nom a été modifié, a trébuché sur le seuil de sa maison en avril 2018 et n’a plus jamais pu marcher seule depuis lors. Son mari a fait appel à des voisins pour l’aider à la porter à l’intérieur, mais elle n’a pas été emmenée dans un centre de santé. Sa jambe a commencé à gonfler, et son mari a alors consulté des devins qui ont affirmé que la chute et le gonflement étaient dus à des sorciers. Ils ont prescrit des cérémonies à effectuer et confectionné des talismans protecteurs. Un beau-fils a conseillé une pommade achetée en pharmacie et a engagé une masseuse du village pour masser la jambe d’Honorine jusqu’à ce que le gonflement disparaisse. Ce n’est que lors de l’enquête annuelle du projet TAHES, dix mois plus tard, que le diagnostic médical d’accident vasculaire cérébral a été posé.

La prise en charge des patients repose souvent sur les familles en l’absence de protection sociale et d’aide de l’État, ce qui met une pression supplémentaire sur leurs propres foyers. Certaines familles peuvent avoir des conflits internes, comme dans le cas d’Honorine où son beau-fils suggère que sa belle-mère a une part de responsabilité dans ce qui lui est arrivé, ce qui pourrait entraîner une mobilisation encore plus importante de sa femme pour s’occuper d’elle, privant ainsi leur propre foyer du travail domestique de celle-ci.

Dans ces situations, les interprétations de la maladie peuvent être influencées par des tensions sociales plus générales, telles que les obligations domestiques des femmes qui opposent souvent un mari et ses beaux-parents. Le sens de la maladie est rarement innocent et peut être discuté voire contesté. Les diagnostics médicaux sont connus, mais le caractère soudain des crises cardiovasculaires et l’invisibilité du problème sous-jacent favorisent souvent les soupçons de sorcellerie ou de transgression d’un interdit coutumier. La signification donnée à la maladie peut donc être influencée par des interprétations médicales mais également par d’autres représentations du mal, telles que la sorcellerie.

Le coût d’une prise en charge médicale peut également peser sur la décision des patients et de leur famille. L’automédication peut être motivée par des raisons économiques, tout comme le recours à des églises prophétiques où la prière pour la guérison ne nécessite pas de paiement immédiat. Dans certaines situations, les patients peuvent être amenés dans des centres de santé, mais l’anticipation du coût des soins peut dissuader de nombreux ménages. En fin de compte, dans un contexte de pluralisme thérapeutique et de précarité économique, les compromis de prise en charge négociés dans les heures, les jours et les semaines qui suivent une crise font souvent une place importante à l’automédication, aux conseils de l’entourage et au recours à des soignants socialement proches, en particulier les femmes. Le recours aux centres de santé ne semble donc pas nécessairement incontournable.
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