Entretien avec le psychologue Michael Tomasello : Le garçon et le chimpanzé

Bien évidemment, Darwin continue d’être une référence incontournable dans les facultés de biologie. En pédagogie, Piaget et Vygotsky sont incontournables. Et dans les facultés de psychologie, beaucoup dépendra du paradigme qu’elles suivront, mais je suggère de suivre de près Michael Tomasello, que je voudrais présenter avec une formule simplificatrice mais qui peut néanmoins être assez opérationnelle : Tomasello = Vygotsky + Darwin. Son travail est une combinaison de psychologie culturelle et de théorie évolutionniste. Son approche est néo-vygotskienne, ce qui signifie que la socialisation et la culture sont fondamentales dans sa réflexion. dans son livre Ce qui nous rend humains (Dr Buk, 2023), souligne sa vision socioculturelle en affirmant qu’un poisson hérite non seulement de ses nageoires, mais aussi de l’eau dans laquelle il vit. En tout cas, cette idée est insuffisante pour condenser plusieurs décennies d’expériences avec des chimpanzés et des enfants, des recherches visant à décrypter les voies ontogènes qui conduisent au développement psychologique des personnes.

ANDRÉS LOMEÑA : Nous sommes différents des autres singes car nous avons développé une sorte de monde cognitif partagé où un morceau de bois peut être pour nous un bâton ou un outil en fonction de nos besoins. Les gestes et certaines abstractions mentales étaient cruciaux avant l’apparition du langage. Pouvez-vous nous expliquer à quoi ressemblait cette coopération ?

MICHAEL TOMASELLO : La première étape a été une sorte de coordination et de cognition coopérative, ce que j’appelle l’intentionnalité conjointe. Ce n’est que plus tard que sont arrivées la coordination et la cognition de groupe, ce que j’appelle l’intentionnalité collective. Les deux présupposent le type de capacités cognitives que possèdent les autres grands singes au niveau individuel, mais celles-ci permettent aux humains d’aligner leur esprit pour faire des choses que personne ne pourrait faire seul. La langue facilite ce type de coordination.

AL : Vous pensez qu’il est préférable d’analyser la communication non codée plutôt que le langage si l’on veut comprendre la communication humaine, n’est-ce pas ?

MT : Un geste de pointage signifie essentiellement : « Regardez là et vous comprendrez ce que je veux dire. » Comment peut-on comprendre cela ? Il s’agit d’une forme d’interprétation mentale basée sur notre compréhension commune de la situation. Ainsi, le geste et ce type de lecture des pensées viennent en premier et alors seulement il est possible de comprendre la référentielle du langage, en particulier des choses comme elle, lui et ceci, qui ne sont fondamentalement rien de plus que des gestes de pointage sans utiliser le doigt.

AL : Les frontières entre animaux humains et animaux non humains sont devenues floues, mais votre travail semble être une contribution fondamentale dans la direction opposée.

MT : D’un point de vue plus général, je conviens que la plupart des gens sous-estiment les animaux et pensent que nous sommes plus différents que nous ne le sommes réellement. Les animaux domestiques, notamment les chiens, constituent un cas particulier qui n’est pas sans intérêt car les gens ont tendance à croire que leurs chiens pensent de manière très humaine. Je pense que c’est parce que les chiens ont été domestiqués pour coopérer avec les humains et suivre leurs instructions, d’une manière qui les fait paraître très intelligents à nos yeux. Les chimpanzés, en revanche, bénéficient dans une large mesure des interactions sociales, mais celles-ci ne sont pas vraiment nécessaires à leur développement cognitif de la même manière que la culture et l’apprentissage humains sont nécessaires au développement cognitif humain.

AL : Votre hypothèse est que les enfants ne se considèrent comme membres d’un groupe social qu’à l’âge de trois ans environ, époque du sevrage.

MT : Ce n’est pas que pour l’individu, le processus de sevrage soit un événement cognitif important ; Au cours de l’évolution humaine, les enfants devaient être mieux préparés à être seuls au moment du sevrage, et dans l’organisation culturelle traditionnelle (avant les biberons et le lait maternisé), le sevrage se faisait au bout de trois ans environ. C’est donc l’âge approximatif auquel les bébés doivent se comprendre en tant que membres d’un groupe culturel et agir avec une certaine indépendance par rapport à leurs parents.

AL : On dit que pour Margaret Mead, le premier signe de civilisation était un fémur cassé puis guéri. Cela a-t-il un sens dans votre grand récit sur le développement humain ?

MT : Les chimpanzés font déjà preuve de certains mécanismes d’aide et d’altruisme. Je crois qu’une forme de moralité typiquement humaine est un sentiment de justice envers chacun, y compris envers soi-même, fondé sur un sentiment d’obligation.

AL : Nous continuerons à prêter attention à vos expériences.

MT : J’ai un nouveau livre dans lequel j’applique l’analyse du concept d’agentivité au développement cognitif humain et il sortira dans environ un an.

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Cette interview nous est envoyée Andrés Lomeña Cantos (@andresitors). Il a étudié le journalisme et s’est spécialisé en théorie littéraire et en littérature comparée. Il travaille comme professeur de philosophie dans une école secondaire et mène des recherches sur les mondes imaginaires des romans..

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