“Fanny n’aurait jamais dû mourir”

“Fanny n’aurait jamais dû mourir”

En juin 2016, Fanny Arnoult, jeune maman de 25 ans, est opérée à l’Hôpital privé d’Eure-et-Loir. Deux mois plus tard, elle meurt dans des conditions troubles. France 3 Centre-Val de Loire s’est plongée dans ce dossier sensible et révèle des dysfonctionnements autour de la prise en charge de la patiente.

Le 17 août 2016, la vie d’Isabelle Arnoult bascule. Sa fille aînée, Fanny, âgée de 25 ans, décède des suites de graves complications apparues après une opération pour soigner son obésité morbide, à la clinique Saint-François de Mainvilliers (aujourd’hui Hôpital privé d’Eure-et-Loir). Elle laisse deux jeunes enfants, de neuf mois et trois ans.

Sur la table de la salle à manger, Isabelle Arnoult ouvre une grande valise violette : “J’ai 70 kilos de papiers, nous sommes à 22 000 euros de procédures judiciaires et 3 490 euros de lettres recommandées, je ne sais plus quoi faire“.

Depuis cinq ans, elle tente de faire reconnaître la responsabilité des médecins et de la clinique dans la mort de sa fille : “Fanny n’aurait jamais dû mourir. Je veux me battre pour sa mémoire et mes petits-enfants.

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En décembre 2022, le tribunal judiciaire de Chartres a pourtant ordonné un non-lieu, reconnaissant un “aléa thérapeutique” et s’appuyant sur les rapports des experts médicaux, qui n’ont révélé “aucune faute, fussent-elles simples, imputable à l’un des médecins”. Une décision qui est loin de satisfaire la famille et l’avocat de Fanny Arnoult qui ont décidé de saisir un tribunal civil afin d’obtenir un dédommagement.

Même surprise pour l’ancienne présidente de l’Ordre des médecins d’Eure-et-Loir, qui a suivi ce dossier de près : “Je ne peux pas commenter une décision de justice. Mais je suis extrêmement étonnée, compte tenu du dossier que j’avais entre les mains.”

Indépendamment du volet judiciaire, notre enquête, qui s’appuie sur des témoignages et des documents, révèle en effet une succession de dysfonctionnements du corps médical.

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Questionné par France 3 Centre-Val de Loire, le groupe Elsan, propriétaire de la clinique, rappelle simplement que “le tribunal de Chartres a rendu le 19 novembre 2020 une ordonnance de non-lieu à poursuivre contre quiconque“.

Agent de stérilisation à la clinique Saint-François, Fanny Arnoult s’adresse à ses collègues pour tenter de soigner son obésité morbide. Le chirurgien de l’établissement, Daniel Boudara, est à l’époque l’un des seuls médecins du département à proposer des opérations bariatriques, des pratiques médicales reconnues pour leur efficacité.

Reste que ces interventions sont risquées. Un protocole strict, publié en 2009, est d’ailleurs recommandé par la Haute autorité de santé (HAS).

En effet, l’organisme recommande que toutes opérations soient réalisées après “échec d’un traitement médical, nutritionnel, diététique et psychothérapeutique bien conduit“, pendant six à douze mois.

“Les patients doivent pouvoir prendre la mesure de cet acte chirurgical. C’est essentiel, car c’est une opération aux conséquences irréversibles”.

Professeur Bouillot, ancien chirurgien bariatrique à l’hôpital Ambroise Paré

Le docteur Boudara va faire le choix de ne pas suivre les recommandations de la HAS. En moins de trois mois, Fanny Arnoult obtient ses rendez-vous chez le psychologue, la nutritionniste, un cardiologue avant de se rendre au bloc. Une procédure trop rapide pour l’avocat chartrain de la famille, Maître Guillaume Fallourd : “C’est l’un des points les plus déconnant du dossier“, estime-t-il. “Son consentement n’était pas assez éclairé“.

Mais pour l’avocat du chirurgien, Maître Jean-Claude Boyer, les délais recommandés par la HAS ne prendrait pas toujours en compte la spécificité de chaque patient : “Les médecins font des arbitrages en fonction de l’état du patient. C’est ça la décision médicale, avec tout le poids de la responsabilité que les médecins ont.”

Pour la clinique également, il n’y a aucun problème : “Lindication opératoire était posée par le médecin et n’a jusqu’alors jamais été remise en cause par la justice”.

Les experts médicaux ont quant à eux tranché cette question, estimant que la prise en charge en amont de l’opération n’avait pas de “privilèges” avec les complications survenues après l’opération.

Trois jours après son opération, le 23 juillet 2016, Fanny Arnoult souffre de fortes douleurs à l’épaule et à l’estomac et se rend aux urgences de la clinique Saint-François. Ce soir-là, elle est accueillie par le docteur A. un médecin de garde. Malgré les risques de complication, il la renvoie chez elle le jour même.

Un acte qui exaspère un membre du Conseil de l’ordre des médecins d’Eure-et-Loir. Dans le cadre de la procédure de la commission disciplinaire nationale mise en place par l’Ordre à la suite du du décès de la patiente, il adresse un courrier lapidaire, en février 2022, au siège parisien du Conseil: “Le docteur A. reçoit une patiente en post-opératoire précoce et ne l’examine même pas !”, s’étrangle-t-il, et d’ajouter : “ Le docteur A. a eu un comportement qui déshonore la médecine“.

Le 24 juillet, les douleurs deviennent insupportables pour la jeune femme. Elle retourne à la clinique Saint-François pour être réopérée par le docteur Boudara.

Malgré cette seconde intervention, l’état de santé de Fanny Arnoult ne s’améliore pas. Le 16 août, elle se rend à nouveau aux urgences de la clinique. La patiente est alors placée dans une chambre d’hôpital classique : “On a refusé d’ouvrir le service de réanimation pour une seule personne“, expliquera auprès du conseil de l’Ordre des médecins, un professionnel de santé de l’établissement non cité par le conseil.

Pourtant, cette unité spécifique qui permet un suivi régulier des fonctions vitales aurait pu s’avérer utile à la suite d’une opération lourde comme celle qu’a subi Fanny Arnoult.

“Ce point a déjà été évoqué lors de la procédure judiciaire. La clinique n’a jamais été sanctionnée pour de tels faits”, balaie le groupe Elsan.

La nuit de la patiente va se révéler atroce. “J’ai entendu crier : “J’ai mal, j’ai mal”, racontera sa voisine de chambre à l’Ordre des Médecins pour le compte de la commission disciplinaire. “Un employé est venu et a dit : ‘Il y a du sang partout, où vous avez mal ?'”, se rappelle-t-elle.

Je n’en peux plus, laissez-moi mourir, je te demande juste de bien t’occuper de nos enfants, qu’ils ne manquent de rien et que maman les aimera tout le temps, même de là-haut.

SMS envoyé par Fanny Arnoult à son compagnon la nuit avant son décès

C’est au petit matin, le 17 août, qu’elle est transférée à l’hôpital d’Ambroise Paré à Boulogne-Billancourt où elle décédera en quelques heures.

Dans son ordonnance de non-lieu, la justice estime que le décès de Fanny Arnoult relève d’un “aléa thérapeutique” et qu’ “il n’existe pas davantage d’éléments permettant […] d’imputer un manquement à l’origine de la survenue des complications“.

France 3 Centre-Val de Loire est en mesure de révéler des documents qui témoignent, malgré tout, d’une désorganisation au sein de la clinique.

Juste après avoir opéré une seconde fois Fanny Arnoult, Daniel Boudara part en vacances durant tout le mois d’août. Une situation qui, a priori, n’a rien d’anormal, à condition que des mesures soient prises pour que les patients opérés disposent d’un suivi attentif.

D’ailleurs, dans le cadre de la commission disciplinaire, le chirurgien présente au Conseil de l’Ordre des médecins un tableau de garde indiquant la présence du docteur S, chirurgien viscéral, les 16 et 17 août. Or, celui-ci était en réalité absent.

Le docteur S. a d’ailleurs écrit un courrier à l’Ordre, que France 3 Centre-Val de Loire s’est procuré, indiquant être en congé entre les “dates du 6 au 16 août 2016.”, précisant que “M. le directeur [de la clinique] est au courant“.

Nous nous sommes procuré le tableau de garde originel de cette soirée. Et il ne fait aucun doute : aucun chirurgien n’était présent, dans l’établissement, la veille du décès de Fanny Arnoult.

Si le docteur Boudara soutient s’être assuré qu’en son absence, sa patiente serait pris en charges par des confrères présentant les garantis de compétences voulues […] ces allégations ne sont pas établies par des pièces du dossier.

Extrait de la décision du Conseil de l’Ordre des Médecins

D’où vient ce tableau inexact ? “Le document officiel de l’établissement a été transmis à la justice. S’il existe une version intermédiaire, il s’agit d’un document de travail des médecins”, indique le groupe Elsan qui assure que “la clinique s’est organisée pour répondre à la continuité des soins.”

De son côté, l’avocat du docteur Boudara, assure ne pas le savoir non plus : “Monsieur Boudara était destinataire de ce tableau, ce n’est pas lui qui l’a fait“.

Selon lui, le chirurgien n’avait de toute façon “aucun intérêt” à faire croire qu’il y avait un autre chirurgien cette nuit-là. “Tout le monde savait que Monsieur Boudara était le seul chirurgien bariatrique de la clinique et donc le seul à pouvoir assumer les suites opératoires des difficultés qui pouvaient se poser. Donc il était en permanence de garde par téléphone”.

Une garde téléphonique que critique également le Conseil de l’Ordre. L’organisme reproche au docteur d’avoir “géré toutes les situations à risques de sa patiente par téléphone, sans examen personnel de celle-ci“, alors qu’il était parti en congé.

Dans sa décision, l’Ordre indique également que le chirurgien n’a pas prévu de “surveillance médicale” avant le prochain rendez-vous de sa patiente, le 23 août. Cette légèreté a conduit le Conseil à condamner en appel le chirurgien Daniel Boudara à un an d’interdiction d’exercer sa profession en 2019.

Si l’avocat ne conteste pas la décision de l’Ordre des médecins, il regrette que le Conseil “ait voulu se prononcer à tout prix avant que l’enquête pénale se termine et sans avoir accès aux différentes expertises qui étaient en cours“.

Aucune faute pénale retenue contre le chirurgien

Car la justice a estimé quatre ans plus tard que si des “manquements aux règles de l’art ont pu ponctuellement être constatés […] Ceux-ci n’ont en tout état de cause pas eu de lien certain direct ou même indirect avec la survenance du décès de Fanny Arnoult.”

Des manquements aux règles de l’art qui ne sont pas si ponctuels. Dans le second volet de notre enquête, nous révélerons que le docteur Daniel Boudara a été condamné dans une procédure civile en 2018 pour des manquements dans la prise en charge d’une patiente décédée en 2012 à la clinique Saint-François.

Alertée dès 2013, l’Agence régionale de Santé n’a pas mené de rapport pour faire la lumière sur ces évènements. Des signaux inquiétants concernant les pratiques de son chirurgien aurait pu alerter la clinique en avril 2016. Des éléments que nous vous révéleront dans le prochain volet de notre enquête, le 14 mars prochain.

Avec Sanaa Hasnaoui

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