(Ottawa) GC Strategies, la société de consulting impliquée dans le scandale financier entourant l’application ArriveCAN, a également décroché des contrats de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour le développement de trois autres applications entre 2020 et 2022, selon des informations obtenues par La Presse. La société ne réalise pas le travail elle-même, mais sous-traite ensuite à d’autres personnes en prenant une commission.
La valeur totale de ces contrats attribués à la société, qui compte seulement deux employés, s’élevait à 8,3 millions de dollars. Les derniers paiements ont été effectués en juin 2023, a précisé l’ASFC, sans mentionner s’il y a eu des dépassements de coûts.
« C’est très préoccupant », a réagi Mark Weber, président national du Syndicat des douanes et de l’immigration, en apprenant l’existence de deux des trois applications pour lesquelles GC Strategies a été mandatée. Il a souligné la capacité interne de l’ASFC à réaliser ces travaux et a exprimé des réserves sur le recours systématique à des contractuels.
Une vérification des contrats accordés par l’ASFC ces dernières années a été lancée à la suite du rapport accablant de la vérificatrice générale sur les dépassements de coûts de l’application ArriveCAN. Les résultats de cette vérification seront publiés sur le site web de l’ASFC à l’été 2024.
Ces révélations surviennent alors que les associés de GC Strategies, Kristian Firth et Darren Anthony, sont convoqués devant le comité des opérations gouvernementales cette semaine par vidéoconférence.
Le sergent d’armes ne sera pas nécessaire pour les contraindre à comparaître, contrairement à ce qui avait été demandé par les élus.
«Nous travaillons activement à corriger les lacunes dans notre documentation, nos processus et nos contrôles en matière de passation de marchés », a déclaré Erin O’Gorman, présidente de l’ASFC, dans une déclaration à La Presse.
Sous-traitants
Les trois autres applications développées par GC Strategies ne sont pas aussi largement utilisées que ArriveCAN pendant la pandémie de COVID-19. Une est encore en phase de conception et une autre est en phase de test. L’ASFC a fait appel à GC Strategies pour fournir des consultants en informatique afin de les développer.
- GC Strategies a notamment reçu 6,7 millions de dollars pour la conception du Système d’inspection du commerce électronique à faible valeur, actuellement en phase de test à Hamilton et à Vancouver en vue d’un déploiement national dans un an.
- La société a également obtenu 1,2 million de dollars pour l’acquisition d’appareils portables de nouvelle génération dotés d’une application pour aider les agents des services frontaliers à évaluer les risques des voyageurs et des véhicules, distribués depuis 2017 notamment dans les autocars de touristes à Niagara Falls.
- Enfin, GC Strategies a signé un contrat de 442 000 $ pour la conception de JeMePrésente, une application encore à l’état de développement permettant aux nouveaux arrivants de se conformer à distance aux conditions de la Loi sur l’immigration et ainsi éviter la détention en confirmant leur identité et leur emplacement via leur téléphone portable.
L’ASFC n’a pas confirmé si GC Strategies a eu recours à des sous-traitants pour le développement de ces trois applications, renvoyant la question au ministère des Services publics et de l’Approvisionnement (SPAC).
« Le Canada n’a pas de relation contractuelle avec les sous-traitants. Le contractant principal est responsable de la performance et des obligations contractuelles des sous-traitants », a répondu le Ministère, refusant de divulguer les noms des sous-traitants pour des raisons de confidentialité.
Ces révélations soulèvent des questions sur la gestion de l’ASFC et du gouvernement envers GC Strategies, a commenté Pierre Paul-Hus, lieutenant québécois des conservateurs.
Pour Julie Vignola, députée du Bloc québécois, ces nouvelles informations confirment la nécessité d’une enquête indépendante et de mesures pour encadrer l’ASFC.
Il y a eu un abandon de ce que devrait être le fonctionnariat, c’est-à-dire des équipes d’experts chevronnés qui sont des leaders dans leur spécialité.
Julie Vignola, députée du Bloc québécois
L’ASFC a déclaré travailler activement à réduire sa dépendance aux sous-traitants en informatique. Depuis juin 2023, elle affirme avoir réduit le nombre de consultants en TI de 25 % et prévoit un nouveau recul de 25 % « au cours de l’année prochaine ». Les consultants ne seront utilisés que lorsque des lacunes techniques seront identifiées et pour former les employés afin de réduire à long terme la dépendance aux ressources contractuelles, a précisé Guillaume Bérubé, porte-parole de l’ASFC.
Le contrôleur général a révélé que GC Strategies et son prédécesseur, Coredal Systems Consulting, ont obtenu près de 108 millions de dollars de contrats depuis 2011.
Suite aux controverses entourant les dépassements de coûts d’ArriveCAN, le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a suspendu la cote de sécurité de GC Strategies, la privant ainsi de tout accès aux processus d’approvisionnement. Cette suspension a également touché Dalian Enterprises Inc. et sa coentreprise avec Coradix Technology Consulting pour des contrats réservés aux Autochtones.
Avec la collaboration de William Leclerc
L’histoire jusqu’ici
La vérificatrice générale, Karen Hogan, a révélé le mois dernier de nombreuses irrégularités dans les contrats de l’Agence des services frontaliers pour le développement de l’application ArriveCAN utilisée à la frontière pour appliquer les mesures sanitaires pendant la pandémie.
Le coût initial de l’application était de 80 000 $, mais il a grimpé à 59,5 millions de dollars.
GC Strategies, avec seulement deux associés, a obtenu une part importante de ce montant, soit 19,1 millions de dollars. Ils sont appelés à témoigner devant le comité parlementaire pour la troisième fois cette semaine.
On apprend désormais que GC Strategies a également obtenu des millions de dollars de l’ASFC pour le développement de trois autres applications.