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Francfort à Arlt | Profil

by Nouvelles
Francfort à Arlt |  Profil

2024-05-12 07:33:59

Cette semaine, je m’apprêtais à relire Le Paysage dans les nuages, les chroniques que Roberto Arlt a publiées dans le journal El Mundo entre 1937 et 1942, publiées par Fondo de Cultura. Je viens de terminer : c’est extraordinaire et plein de passages incontournables. Bien sûr, il avait des raisons évidentes de se méfier du livre, d’abord parce qu’il avait une bonne mémoire, ensuite parce que quiconque ayant lu d’autres articles journalistiques d’Arlt partageait son opinion. Arlt a-t-il été le plus grand chroniqueur du XXe siècle ? Je ne sais pas, et ce n’est pas très grave, je ne trouve pas approprié ce genre de grandiloquence (le plus grand, le plus important, le meilleur) mais, en revanche, j’ai le droit d’affirmer que, au-delà de sa place unique de romancier, l’histoire de la chronique latino-américaine serait différente sans Arlt.

Une grande partie de l’intérêt de Landscape in the Clouds est thématique. Récemment revenu d’un an en Espagne, Arlt écrit beaucoup sur la guerre civile espagnole et le début de la Seconde Guerre mondiale (bien qu’il écrit également sur les coutumes et les faits divers, certains à ne pas manquer comme l’Or Noir à Río Cuarto , sur la découverte du pétrole dans cette ville et ses prévisions futures : « Bars à pétrole avec orchestres. Procès autour de toutes les filles de vente terminés ». Mais pour en revenir au thème central, plusieurs chroniques sur la guerre ont une lucidité qui étonne. Il y en a surtout un, publié le 24 septembre 1937, intitulé « Buenos Aires, paradis sur terre », qui vaut le détour. La thèse qu’il défend est qu’en pleine guerre civile, l’Espagne, alors que le reste de l’Europe se dirige vers une guerre inévitable, Buenos Aires, inconscient de tout cela, devient « l’une des rares oasis de la planète ». Mais au-delà de cette affirmation (chargée d’ironie tragique), Arlt déverse un ensemble d’idées sur la réification du monde qui peuvent être lues, sans trop d’effort, en totale cohérence avec celles que, dans les mêmes années, des auteurs comme Walter Benjamin ou TW Adorno ou les autres penseurs de l’École de Francfort. Arlt écrit : « Il y a vingt ans, les armées combattaient. Aujourd’hui, tout naturellement, on annonce qu’une ville sera balayée de la surface de la Terre, avec tout ce qu’elle contient, vivant et mort. Grand et petit. Et la ville est balayée, et environ 24 heures plus tard, le journal télévisé passe dans tous les cinémas de la planète. » Et plus loin il ajoute : « L’homme d’Europe sait où il va dormir, mais il ne sait pas où il se réveillera. Et s’il se réveille. La mort, les mille formes techniques de la mort violente sont suspendues au-dessus de sa tête (…) L’épée qu’est la grenade, la bombe de zone monstre, le nuage de gaz, la pluie de poison, l’atmosphère des rideaux bactériologiques (. .. ) L’Europe travaille en trois temps à la préparation de son suicide. «Trois changements vertigineux et de plus en plus accélérés.» Il y a dans les chroniques, comme dans ses romans, une réflexion fatale sur le rapport entre technique et modernité, sur l’effacement des expériences intenses et leur remplacement par la chaîne de montage industrielle, notamment celle de la mort. Un Arlt Benjaminien, ou un Benjamin Arltien.



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