2024-05-29 11:15:36
AGI – La perfection de l’incomplétude. Franz Kafka n’était pas assez juif, il n’était pas assez allemand, il n’était pas assez tchèque. Tout comme il n’était pas tout à fait certain de sa grandeur, dont il avait peut-être eu l’intuition. Il décède rongé par la tuberculose le 3 juin 1924, un mois avant son 41e anniversaire, au cours d’un parcours de vie aussi inachevé que son art, ce qui ne l’empêche pas d’entrer dans l’Olympe de la littérature et de la culture universelle. Kafka est indubitable, son style est kafkaïen et rien d’autre, tandis que les adeptes kafkaïens sont comme les habitants de Lilliput devant le géant Gulliver, apparu de nulle part dans l’empire pendant une courte période Austria felix, dont Robert Musil dans L’Homme Sans Qualités’ avait vu tous les symptômes de la décadence, en le rebaptisant Kakanien : une assonance avec la prononciation kaka de la formule KK (Kaiserlich-Koniglich, ou impérial-royal), qui ouvrait ou clôturait tout acte bureaucratique, mais qui, dans un langage enfantin, ne ne diffère pas beaucoup de l’italien.
Une famille juive dans la ville magique de Prague
A Prague, terre de magie et d’ésotérisme, patrie du Golem et berceau de la cabale juive, il incombait au fils d’un bourgeois d’incarner l’enveloppe suffocante d’une bureaucratie et d’un pouvoir protéiforme qu’au cœur de l’Europe tentait en vain de maintenir différents peuples freinant ensemble sa force centrifuge vers les États nationaux. Franz est né dans la vieille ville le 13 juillet 1883, fils aîné d’une famille ashkénaze dans les veines de laquelle coule le sang du commerce, de la part de son père Hermann qui travaillait à petite échelle et de sa mère Julie Lowy parce qu’elle était originaire de une famille riche. Les frères Georg et Heinrich n’avaient pas plus de 15 et 6 mois, tandis que les sœurs Gabriele (Elli), Valerie (Valli) et Ottilie (Ottla) destinées à leur survivre furent assassinées dans les camps de concentration nazis pendant la Shoah entre 1942 et 1943. Sa langue maternelle et sa formation sont l’allemand, il parle le tchèque mais ne le maîtrise pas et ne l’utilisera pas dans son travail. Au cours de son expérience universitaire, il est passé du droit à la chimie, puis aux études allemandes, pour reprendre ses études de droit qu’il a complétées, comme le souhaitait son père, abandonnant la pratique juridique au tribunal pour un poste chez Assicurazioni Generali. Ce fut son métier de 1906 à 1922, date à laquelle il put prendre sa retraite pour des raisons de santé.
Des polices d’assurance aux lettres
Il écrit pour projeter l’esprit au-delà du bureau, au-delà de la fenêtre, au-delà de la routine quotidienne. Il publie pour la première fois en 1908 dans la revue Hyperion et se fiance pour la première fois en 1914 avec Felice Bauer, qu’il rencontre à Berlin. D’aucune de ces deux expériences n’est née la pierre angulaire de son existence : il n’a pas créé d’entreprise d’édition et ne s’est pas marié. Inconstant dans sa linéarité non seulement intellectuelle, le souffle du génie ne fait pas bouger les voiles du succès, et non pas à cause de la brièveté de son existence, mais le conduit au port des grands de la littérature de tous les temps. On peut aimer Kafka ou ne pas le supporter, mais il est impossible de rester indifférent à ses pensées. Craignant la fin, à cause d’une maladie qu’il ne pardonnait pas à l’époque, il réduisit en cendres ce qu’il avait écrit et demanda à son ami Max Broad, qu’il avait rencontré en 1902, de faire un feu de joie de tout le reste après sa mort. Précisément parce qu’il était son ami et reconnaissait sa grandeur, Broad n’a pas voulu respecter ses dernières volontés, et jamais le choix de l’infidélité n’a été aussi éthique.
Les chefs-d’œuvre inédits et inachevés
En un peu plus de vingt ans d’écriture, très peu de choses ont été transformées en livre : le marché de l’édition a accueilli quelques histoires, dont “Métamorphose”, toujours dans les magazines, mais pas de romans, comme les chefs-d’œuvre “Le Procès”, “Amerika”. , ‘Le château’. Il n’en a terminé aucun, comme si l’absence de fin était en soi une fin ouverte. C’était un homme de son temps et un homme intemporel, d’un classicisme hors des schémas, des courants et des cages critiques. Personne n’a étudié l’homme contemporain et le monde contemporain qui le contient comme lui. Un monde qui est passé de la calèche à l’automobile et de l’automobile à l’avion ; de l’artisanat à la technologie ; de la Belle Epoque aux désastres de la Première Guerre mondiale ; de l’opérette de Franz Lehar à la dodécaphonie d’Arnold Schoenberg, tous deux juifs ; de la médecine du corps à celle de l’âme avec la psychanalyse de Sigmund Freud, également juif.
Cosmopolitisme et passions
Kafka utilise la langue allemande, mais les lettres sentimentales sont en tchèque ; Le yiddish, qui était également parlé dans la famille, ne le fascine que plus tard et constitue un amour fort. La charnelle l’éclaire de passions, mais la physique l’attire et l’agace. Il ne sait pas ce qu’il veut ou ne sait pas comment faire un pas décisif en avant. Il a évité un emploi dans l’usine familiale d’amiante à Prague en restant associé mais en laissant son beau-frère Karl Hermann s’en occuper, il n’a pas eu l’occasion de s’attacher aux lieux dans lesquels il vivait car la famille, dans son ascension sociale, des maisons en constante évolution : du ghetto sombre à la Prague magique, pleine de vie et d’opportunités. Kafka est sombre et sombre, avec un vernis extérieur d’humour et de jovialité, d’autant qu’il est capable de mettre en lumière les aspects les plus cachés de l’homme, parce qu’il essaie de s’éclairer. Il remplit des politiques et écrit avec une fièvre créatrice qui l’exprime pleinement.
“Tout ce que j’ai écrit doit être brûlé et non lu”
Prague, des royaumes Caput oubliés des gloires de Bohême et du Saint Empire romain germanique, est depuis 1918 la capitale d’une république née de la désintégration de la créature multinationale des Habsbourg condamnée à l’extinction. C’est la ville cosmopolite où l’art se répand comme le parfum des cafés et pâtisseries branchés, les bulles de champagne et la mousse de bière. C’est la ville de la musique et du silence, des couleurs et de l’obscurité, de la foule et de l’intimité, des grands immeubles et des micro-espaces comme dans la rue des alchimistes. Kafka est quant à lui un véritable cosmopolite, il parle plusieurs langues, il regarde au-delà des barrières, des nations comme créatures des peuples et de la bureaucratie comme marâtre gardienne de l’individu. Cela va également au-delà du mythe et de la légende, du symbolisme et de la métaphore. Cela va même au-delà de la modernité. L’expression de l’amour est l’épître, même devant la femme, car elle se traduit par charnel, elle est l’idéalisation de la passion. Il passe de Felice Bauer à Grete Bloch, de Julie Wohryzek à Milena Jesenská, puis à la juive polonaise Dora Diamant autour de laquelle il réalise son rêve utopique et féerique d’émigrer en Palestine pour ouvrir un restaurant, où il sert au comptoir. et elle spignatta dans la cuisine. En pensant cela, comme un enfant dessinant une petite Arcadie sans savoir ce que c’est, il se retrouve au sanatorium Kierling, près de Vienne. La vie qu’il tentait de comprendre et d’expliquer lui échappait. Il avait imaginé des choses incroyables mais dans l’intimité domestique il n’avait pas dépassé ce désir bourgeois. Il demande à Max Broad de ne pas laisser survivre des œuvres publiées et inédites : « Ma dernière demande : tout ce que je laisse derrière moi (…) les journaux, les manuscrits, les lettres (les miennes et celles des autres), les brouillons, etc., doivent être brûlés. » et ne pas lire ‘. Broad n’a pas été le seul à trahir sa parole de rester fidèle à l’esprit, car même les femmes de sa vie n’ont pas du tout détruit ses écrits : Milena a gardé les journaux, les autres la correspondance. Cet héritage n’a pas entièrement surmonté la guerre et la persécution nazie, mais la pensée et l’œuvre ont été sauvées de la cupio dissolvi de Kafka. C’était la métamorphose parfaite.
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