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Grand format. Houthis et pirates : quand le port du Havre subit la guerre à Gaza

Grand format. Houthis et pirates : quand le port du Havre subit la guerre à Gaza

Par Victor Massias
Publié le

8 Avr 24 à 6:46

D’un côté, des missiles, des lance-roquettes, des drones, des otages… De l’autre, les prix qui enflent un peu partout. L’effet papillon a ceci de captivant que le quotidien des Français peut être atteint par les agissements d’anonymes dans une région du monde que tout le monde ne saurait pointer sur une carte.

Depuis novembre 2023, quelques jours après l’attaque du Hamas, des navires ayant un lien avec Israël sont pris pour cible en mer Rouge. Les responsables sont les Houthisdes rebelles yéménites appuyés par l’Iran qui tirent parti de la situation pour cibler Israël, appuyés par un discours de soutien à la population palestinienne de la bande de Gaza.

En même temps, dans l’océan Indien, les pirates somaliens qui s’étaient fait discrets ces dernières années semblent avoir repris du service, profitant notamment d’une attention internationale focalisée sur les Houthis.

Les quatre principaux points d’attention de la piraterie mondiale. (©Infographie VM)

« Ça a un impact manifeste »

Bien que non corrélées, ces deux menaces bouleversent le trafic maritime mondial. En visant certains bateaux qui transitent en mer Rouge et par le détroit de Bab-el-Mandeb, ils perturbent ces points de passages stratégiques, situés à proximité du canal de Suez.

Sur le port du Havre (Seine-Maritime), les entreprises de transit le ressentent bien. « Ça a un impact manifesteconfie Yannick Theard, directeur de Sogena Transit. En ce moment, nous sommes confrontés chaque semaine à ce problème. »

La famille pirate

Pour comprendre le lien de cause à effet, commençons par jeter les cache-oeil, les jambes de bois et les crochets par-dessus bord. Aujourd’hui, les pirates n’ont plus grand-chose à voir avec Barbe Noire, Jack Sparrow ou Victor MacBernik. Et puis, tous n’en sont pas forcément. Il faudrait déjà savoir ce que c’est, un pirate.

La définition de la piraterie

La Convention de Montego Bay sur le droit de la mer datant du 10 décembre 1982 (article 101) définit la piraterie comme « un acte de violence commis à des fins privées en haute mer par un navire ou un aéronef contre un autre navire ou un autre aéronef ».

Le dernier rapport du Centre MICA (Coopération et sensibilisation en matière d’information maritime) précise que « les actes commis dans les eaux territoriales d’un État ne peuvent être qualifiés de pirateriepuisqu’ils se produisent dans une zone relevant de la souveraineté d’un État, seul compétent pour les réprimer ». On parle alors de « brigandage ».

Le canal de Suez est un axe très important du trafic maritime mondial. (©Infographie VM)

Les Houthis ne sont pas des pirates

Concernant les Houthis, contrairement à ce qui peut être écrit ici et là, la qualification de la menace est toute autre.

Les objectifs ne sont pas les mêmes. Ils sont presque opposés. La motivation principale des pirates est l’appât du gain. Les Houthis, à l’inverse, recherchent un impact politique, stratégique, médiatique et symbolique maximum en mer Rouge, ciblant principalement les intérêts israéliens, et par extension, certains de leurs alliés.

Louis BorerSenior-analyste en sûreté maritime à la RiskIntelligence, au Danemark

« Ils poursuivent des objectifs politiques, embraye Clara Loïzzo, géographe. Au sein du Yémen, les attaques leur permettent d’affirmer leur légitimité et leur donnent plus de poids dans les négociations en cours avec l’Arabie Saoudite. Ils n’y ont pas forcément d’intérêt économique. »

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Speed-boat et « armement conséquent »

Leur type d’attaque est donc différent… et leurs moyens aussi. Dans l’océan Indien, les pirates semblent disposer des mêmes capacités que pendant leur âge d’or, entre 2008 et 2012. D’après Louis Borer, « ils peuvent utiliser des bateaux-mères, à partir desquels sont lancés leurs speed-boat. Les pirates disposent de bonnes compétences en navigation et d’un armement conséquent ».

Le but est de viser la passerelle pour forcer le bateau à s’arrêter. Ensuite, ils montent grâce à une grande échelle, cherchent à prendre l’équipage en otage et, dans certains cas, tentent d’amener le navire dans les eaux territoriales somaliennesoù les embarcations étrangères ne peuvent pénétrer sans avoir demandé l’autorisation préalable au pays d’Afrique de l’Est.

Drones et missiles pour les Houthis

Les Houthis restent la principale menace. Ils veulent perturber le commerce et surtout cibler les intérêts israéliens.

Les Houthis et les pirates opèrent dans des zones différentes. (©Infographie VM)

Notamment aidés par la technologie iranienneles insurgés utilisent des moyens beaucoup plus sophistiqués. Leurs armes privilégiées, ce sont les drones, qui peuvent être navals ou aériens, mais aussi des missiles antinavires.

En décembre dernier, ils ont publié une vidéo montrant le détournement du navire marchand Galaxy leader, qu’ils ont attaqué grâce à un assaut héliporté « démontrant une capacité de discrimination de la cible et opérationnelle avancée », d’après Louis Borer.

Grace à un site comme MarineTraffic, les pirates et les Houthis peuvent localiser tous les bateaux en temps réel. (©Capture d’écran MarineTraffic)

Un détour de 6 400 kilomètres !

Pendant ce temps, à des milliers de kilomètres de cette zone de guerre, des agents d’import-export se retrouvent face à un certain nombre de problèmes.

S’ils désirent éviter les Houthis et les pirates, les navires doivent prendre un sacré détour. Ils n’ont pas d’autre choix que de contourner l’Afrique en passant par le Cap de Bonne Espérance, ce qui représente un trajet supplémentaire de 6 400 kilomètres !

Cela implique un ou plusieurs transbordements de plus de la part des compagnies maritimes. Lorsque le navire arrive au Havre, les conteneurs qu’on a dédouanés ne sont plus dessus. Le dédouanement de marchandises est généré automatiquement alors qu’elles ne sont pas présentées en douanes. Ça peut créer quelques difficultés parce qu’il faut rectifier toutes ces déclarations, les annuler, donc c’est une charge de travail supplémentaire.

Yannick ThéardDirecteur de Sogena Transit

« Humainement, les équipes subissent la pression, l’urgence, le stress de répondre à l’heure et de trouver des solutions pour le client », complète Nikolas Nammour, doctorant et chercheur dans les risques géopolitiques qui impactent le transit international.

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Deux semaines de voyage en plus

Également, le ” temps de transport “ (délai de transport) est rallongé de deux semaines en moyenne. Selon Nikolas Nammour, basé sur Kiel Trade Indicator, une diminution de 60% des navires passant par le canal de Suez a été enregistrée en décembre dernier à cause des Houthis, soit 200 000 conteneurs. En janvier, plus aucun.

Et ces retards ne pénalisent pas seulement la France ou l’Europe, mais tout le marché mondial. « Une fois déchargés, les conteneurs qui viennent d’Asie en Europe sont utilisés pour exporter de la marchandise ailleurs, par exemple aux États-Unis, poursuit Nikolas Nammour. Le délai de 15 jours impacte donc également le marché entre l’Europe et les États-Unis. Et vice-versa, puisqu’aux États-Unis, ils attendent le conteneur vide pour pouvoir exporter. »

Le détour par le cap de Bonne Espérance dure deux semaines en moyenne. (©Infographie VM)

Avec tout ça, les sociétés de transit ne sont pas au bout de leurs peines. Les compagnies maritimes leur facturent des surcoûts liés aux détours et aux risques de guerre.

« Si je me retrouve avec cinq conteneurs, ça fait beaucoup pour le client qui va les recevoir, parce qu’on arrive à environ 2 000 euros supplémentaires », explique un agent d’exploitation.

Interrogés par 76 actuellementni la CMA-CGM, ni Maersk, ni MSC n’ont accepté de nous répondre.

« Des conséquences économiques importantes »

Retards, surcoûts liés au carburant, aux assurances de l’armateur qui augmentent… On entend d’ici grincer les dents des clients. « Ça peut avoir des conséquences économiques importantes si les importateurs n’ont pas leur produit dans les temps, note Cathy Fouache, directrice de l’agence Fauveder du Havre. On peut avoir une rupture de chaîne de production. »

Par exemple, si Renault attend des pièces détachées pour ses voitures mais que le navire censé les livrer est bloqué en mer, l’entreprise peut se retrouver dans l’obligation d’arrêter sa chaîne.

Au bout du compte, les prix peuvent doubler, voire tripler, que ce soit à l’import ou à l’export.

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Mais comme souvent, quand les compagnies maritimes s’enrhument, c’est le consommateur qui tousse. Nikolas Nammour explique :

Ces surcoûts, la compagnie maritime les facture au transitaire, qui les répercute sur le client, qui augmente ses prix pour les gens. Si tu importes 1 000 chaussures dans un conteneur, l’impact est de quelques centimes, mais si tu importes deux turbines, ça revient beaucoup plus cher.

Passer par les airs, c’est cher

Maintenant que le problème est bien identifié, quelles sont les solutions, puisque les Houthis ne baisseront pas leurs armes tant que la guerre continuera à Gaza ? Il y a un certain nom.

Parmi elles, on citera notamment la voie aérienne. Si le client est pressé et prêt à mettre la main à la poche, sa marchandise en provenance d’Asie peut être déchargée au port de Jebel Ali, à Dubaï, puis envoyée par avion.

« Ça évite le détour, certes, mais en avion, ce sont le poids et la taille qui comptent, donc les prix peuvent être multipliés par au moins 10 ou 20 ! », calcule Nikolas Nammour.

L’évolution des actes de piraterie et de brigandage dans le monde depuis 2008. (©Infographie VM / Source : MICA Center)

Sinon, certains armateurs ont réagi en mettant plus de bateaux en service. Cela a pu faire baisser l’addition de 20 %.

Les États-Unis utilisent la force

Et nos gouvernements, ils regardent la situation évoluer en croisant les bras ? Bien-sûr que non, puisque les Houthis touchent à leur porte-monnaie !

Les États-Unis ont mis en place des opérations. Avec l’aide des Britanniques, ils cherchent à sécuriser le passage du détroit de Bab-el-Mandeb, n’hésitant pas à bombarder des positions houthistes au Yémen.

Cette attitude a conduit plusieurs pays occidentaux à se désolidariser par crainte d’un risque d’escalade dans la région. L’Union Européenne, par exemple, a déployé sa propre force d’intervention de façon à s’autonomiser vis-à-vis des États-Unis.

Clara LoizzoGéographe

Les Européens préfèrent éviter la contre-offensive et réaliser, comme évoqué plus tôt, des opérations d’escorte en déployant des navires de guerre. Le problème, c’est que ça coûte bonbon.

« Et puis, une zone aussi immense (océan Indien et mer Rouge) est très dure à surveiller, rappelle Louis Borer. Elle fait une fois et demie l’Europe et il y a peu de moyens nautiques ou aériens qui patrouillent. »

Autant partir avec un arc à la chasse au papillon.

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2024-04-08 07:46:25
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