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Heine, Flaubert & Co. : Quand la littérature avait encore sa place

by Nouvelles
Heine, Flaubert & Co. : Quand la littérature avait encore sa place

2024-04-02 16:49:30

DLa « propre chambre » dont parlait Virginia Woolf était tout sauf un lieu naturel, et pas seulement pour les femmes qui écrivaient. Les hommes de la tradition européenne de la sensibilité, du romantisme et de la modernité ont également dû recourir de plus en plus à des lieux imaginaires, car l’espace public réservé à la poésie s’était réduit, voire pas du tout, à des refuges, des asiles, des séjours éphémères et temporaires. Une existence biographiquement souvent précaire a fait de la nécessité une vertu et s’est retrouvée dans des cachettes d’une intimité menacée, entourée d’un néant aride d’à peine plus de quatre murs.

Les lieux imaginaires revendiqués par la littérature font partie d’une œuvre qui se confond indéniablement avec son auteur. Ils ont tantôt un décor, un nom ou un plan commun avec des lieux d’écriture réels ; tantôt ce sont des lieux purement imaginaires, dont l’imagination permet aux poètes d’abord d’écrire et cela signifie d’avancer en eux-mêmes.

Franz Kafka à sa fiancée Felice Bauer en janvier 1913 : « J’ai souvent pensé que le meilleur mode de vie pour moi serait de vivre dans la pièce la plus intérieure d’une grande cave fermée à clé avec du matériel pour écrire et une lampe. La nourriture m’était apportée et toujours déposée derrière la porte la plus éloignée de la cave, loin de ma chambre. Le parcours autour des aliments, en robe de chambre, à travers toutes les voûtes des caves, serait ma seule promenade. Ensuite, je retournais lentement à table, je mangeais lentement et prudemment, et je commençais tout de suite à répondre ! Qu’est-ce que j’écrirais alors ! De quelles profondeurs je le sortirais alors !

Ce sont ces mythes d’origine « monstrueux » (Elias Canetti) sur l’écriture que Gerhard R. Kaiser rassemble dans la littérature française et allemande de la fin du XVIIIe à la fin du XXe siècle et les exprime avec insistance.

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Le cours commence comme un commentaire sur la pandémie dans le camp de quarantaine de Rousseau à Messine – un isolement qu’il a ensuite volontairement subi sur son “île Robinson” de Saint-Pierre au lac de Bienne, tandis que son émule allemand Jean Paul se contentait d’un “petit nid”. “. dans lequel il a amené le monde à la fenêtre dans des métaphores semblables à celles d’une toile. Heinrich Heine, malade, appelait le lieu d’écriture horizontal de ses dernières années à Paris une « crypte à matelas », tandis que Gottfried Keller s’imaginait dans une « cellule de prison » au milieu du tumulte berlinois pour achever son Henri vert. Antoine, dans un « ermitage du désert », comme il l’avait vécu lors de son voyage en Égypte, tandis que Nietzsche célébrait l’avènement de Zarathoustra dans le prétendu « royaume de glace et de roche » de l’Engadine.

Proust a déclaré que la chambre d’hôtel où il a retrouvé le temps perdu était une tour d’ivoire, Brecht a déclaré que sa maison de Svendborg était une salle d’évasion « à quatre portes », Sartre a déclaré que le bureau de la bibliothèque de son enfance était une chaire de prêtre, Thomas Bernhard – la boucle se referme ici – la chambre mortuaire dans laquelle on l’isolait enfant atteint d’une maladie pulmonaire, devenant un point de fuite qui conduisit à la folie de la vie solitaire et de l’écriture de projets.

Des quartiers inattendus

Au niveau d’une histoire littéraire qui se concentre sur les lieux imaginés de la genèse de l’écriture, des quartiers inattendus surgissent : le fait que Hölderlin qualifie sa « chanson » d’« asile », qui parle de « « destructibilité » comme condition de possibilité d’existence poétique, » devient une indication de sa modernité, qui se reflète dans l’imagination d’Hofmannsthal du poète en tant que réfugié des escaliers :

« Le poète est donc là où il ne semble pas être là, et il se trouve toujours dans un endroit différent de celui où il est censé être. C’est étrange qu’il habite dans la Maison du Temps, sous les escaliers, où tout le monde doit le croiser et où personne ne fait attention à lui. (…) on lui ordonne de ne pas se révéler et il vit donc méconnu sous les escaliers de sa propre maison. » Le flophouse de Robert Walser, où le poète tire de la poésie d’une tache de moisissure, est une expression de l’itinérance dans un monde qui. .. Le poète est privé de sa place car il n’y a plus de place pour le poétique.

Avec plus de quarante domiciles différents à Paris, Charles Baudelaire est un témoin incontournable d’une littérature qui écrit sa place parmi les stars depuis l’angle mort. Dans son poème « Paysage », il s’imagine sous le grenier « aussi près du ciel que les astrologues » comme un poète répétitif des églogues de Virgile. La réflexion du comparatiste de Weimar se termine par le regard mélancolique de Walter Benjamin sur la salle d’écriture et de mort de Goethe, qui nous donne un riche matériau de réflexion et de réflexion sur les espaces qui rendent la poésie possible à une époque de pauvreté.

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Face à « un monde de chiffres, de mesurables et d’efficacité devenu plus avancé grâce à la numérisation et à la virtualisation, qui ne laisse l’individu fonctionner que comme un petit rouage dans une machine ingérable », Gerhard R. Kaiser plaide pour « l’unicité et l’inimitable mots » « de brefs regards sur l’ensemble de notre existence (…) qui ne sont possibles ni pour la raison pratique quotidienne ni pour la raison instrumentale ».

Gerhard R. Kaiser : Cave grenier ermitage. Lieux imaginaires de poésie. Et aussi une histoire littéraire. Göttingen : Wallstein 2024, 351 pages, 34 €.



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