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Il faut comprendre les jeunes offensés en banlieue

Il faut comprendre les jeunes offensés en banlieue

Débat culturel

“On veut être aimé, sinon admiré, sinon craint, sinon détesté et méprisé. Vous voulez donner aux gens une sorte de sentiment”.

Ces mots, qui ont été enregistrés par Hjalmar Söderberg déjà au début du siècle dernier, jaillissent de la belle scène de Hörsalen et remplissent la salle à ras bord au milieu du Kulturting en cours par une douce nuit d’octobre 2022 à Norrköping. Ils sont exprimés par Saman Sokhanran, fondateur et directeur artistique du concours national The Best Poet of the Town, lorsqu’il parle de l’importance de la confiance et de commencer et de s’appuyer sur ce qui fonctionne bien au lieu de se concentrer sur ce qui ne fonctionne pas très bien dans le travailler avec les jeunes.

Des jeunes hommes et d’autres ont attaqué la police et se sont livrés au vandalisme lors des émeutes de Navestad à Pâques dernier.

Photo : Stefan Jerrevång

Il est difficile de penser à quelqu’un qui ne peut pas s’identifier à ces lignes, indépendamment de son origine. Mais ce soir, les mots célèbres sont porteurs d’une vérité sur la vie des jeunes de banlieue en situation de vulnérabilité, qui semblent le plus souvent se retrouver dans l’angle mort de la société majoritaire. Pour le reste de la soirée, je suis incapable de penser à autre chose qu’à la niaiserie inhospitalière du récit dans lequel la vie de ces jeunes gens est contrainte à maintes reprises.

indéfini

Quand Jens Lapidus, ancien avocat et auteur du tube “Fast Cash”, conclut que les fusillades en gang sont dues “aux hommes fragiles qui se sentent violés à vie par le moindre pet” (DN 22-10-23) Je sens quelque chose se briser dans ma poitrine. Je vois une simplification utilisée une fois de plus pour encadrer des milliers de jeunes dans un récit qui absout les privilégiés de toute responsabilité et de toute culpabilité mais plonge ceux qui sont déjà les plus vulnérables dans une obscurité abyssale.

Je ne pense pas que l’analyse d’une “masculinité toxique” soit fausse, mais ce n’est pas toute la vérité. Il est également vrai que l’adjectif “offensé”, à la fois comme qualité et comme condition, est désormais une injure politisée établie qui s’emploie aussi sous la forme de “flocon de neige” et qui trouve son origine dans l’extrême droite pour qualifier en termes péjoratifs tout les gens qui luttent contre l’oppression des structures de pouvoir. Pourquoi Lapidus a-t-il recours à ce choix de mots ?

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Hjalmar Söderberg et Pierre Bourdieu.

Photo : Inconnu/Bernard Lambert

L’anthropologue français Pierre Bourdieu parlait de différents types de capital : économique, social et symbolique. Il a comparé la vie sociale à des « jeux sociaux » où nous naviguons dans nos rôles et notre statut à l’aide de ces différentes formes de capital. L’absence d’une forme de capital peut être totalement ou partiellement compensée par une autre forme. Le psychologue social Philip Lalander l’a décrit dans son livre “Respect – culture de la rue, nouvelle ethnie et drogues” avec une rare clarté. La rue, la violence et la drogue deviennent une arène où les jeunes hommes chiliens vulnérables du Norrköping des années 80 et 90 peuvent gagner le respect et la reconnaissance. Une analyse similaire est faite par l’anthropologue Philippe Bourgois dans son étude sur les trafiquants de drogue d’East Harlem “In Search of Respect: Selling Crack in El Barrio”.

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La violence ne peut bien entendu pas s’expliquer uniquement par l’exclusion sociale. Mais cela ne peut pas non plus être expliqué par l’hypermasculinité toxique seule. Et en parlant de la thèse de l’hypermasculinité toxique, elle n’est en aucun cas limitée aux garçons de banlieue coriaces mais s’applique au plus haut degré aux “hommes blancs en colère” et à divers aspirants Breivik déchirés par la guerre.

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Haris Agic pense que l’analyse de Jens Lapidus sur la violence dans les banlieues est trop superficielle.

Photo : Privé/Anders Wiklund/TT

La vérité est qu’il y a beaucoup de choses dans le texte de Lapidus que je trouve sensées et stimulantes. Surtout, sa pensée que “ceux qui prétendent avoir une solution simple ont méconnu la complexité du problème”. Malheureusement, lui-même ne réussit pas à exceller sur ce point car, probablement saisi de désespoir face à toutes les violences liées aux gangs dont nous sommes témoins aujourd’hui, cède bien trop facilement à la promesse simpliste de la paix.

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Nous sommes nombreux à partager ce désespoir et à aspirer à la même promesse de paix. Mais nous ferions bien d’essayer d’éviter les simplifications. Difficile. Mais nécessaire. Et là où la science et le discours politique ne suffisent pas, alors peut-être pouvons-nous chercher la sagesse dans l’art. Et, pourquoi pas, amoureux ?! Parce qu’il est vrai que tout le monde veut être aimé ; le gars doux qui ne peut pas se battre, le pauvre gars avec des perspectives merdiques, le dur à cuire avec le pistolet dans sa poche ainsi que la sœur triste qui a perdu un frère. Nous voulons tous être aimés ! A défaut de ça…

Saman Sokhanran conclut les pensées de Hjalmar Söderberg : « L’âme tremble devant le vide et veut le contact à tout prix ».

À tout prix?

L’amour ne devrait jamais être aussi cher.

Haris Agic, anthropologue social et stratège en démocratie et inclusion à la municipalité de Norrköping

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