Selon une analyse de plus de 2 millions d’annonces dans le secteur des technologies par la société Datapeople, depuis 2019, les recruteurs ont multiplié par trois leur utilisation du titre de “lead” pour des emplois destinés à des jeunes actifs. En même temps, l’utilisation du mot “junior” dans les annonces a été réduite de moitié. L’année dernière, le Financial Times a noté qu’un des plus grands cabinets d’audit du monde avait promu des milliers de ses employés au poste de partenaire, sans leur accorder d’actions ni augmenter leur participation, et qu’une grande banque américaine comptait plus de dix mille vice-présidents. “Depuis quelques années, on constate une inflation dans les titres de poste. Les entreprises ont tendance à proposer à leurs employés des titres ronflants et imposants, sans que cela se répercute réellement sur les missions, les évolutions ou même sur le salaire”, déclare Marie-Astrid Carlier, directrice associée chez le spécialiste du recrutement Walters People. “Les entreprises font parfois preuve de beaucoup de créativité dans les titres…”
Se sentir valorisé
Comment expliquer cette tendance? L’utilisation de titres ronflants permet aux entreprises de paraître plus attrayantes aux yeux des candidats. “Les jeunes, en particulier, ont besoin de se sentir valorisés, d’avoir une belle carte de visite. On voit d’ailleurs que lorsqu’un collaborateur est renommé, son efficacité augmente car il se sent apprécié. Le nom du métier deviendrait un outil de fidélisation comme un autre dans un marché de l’emploi extrêmement compétitif où le moindre détail compte. Les nouveaux titres de poste pourraient également permettre aux entreprises de compenser des évolutions restreintes ou des conditions salariales insuffisantes”.
Ces titres imposants rendent également les entreprises plus attrayantes aux yeux des clients, en donnant plus de crédibilité à leurs équipes. “Et ça marche vraiment. Un consultant junior sera renommé associé car le terme junior risque de refroidir certains clients qui ont des idées préconçues.”
“Quand on parle de vice-président, le client s’attend à quelqu’un avec un certain bagage et certaines compétences.”
Mais cette pratique peut aussi poser problème et entraîner des dérives. “Si requalifier un junior en associé enlève la notion de débutant, cela n’ajoute en rien de l’expertise au collaborateur. De même, quand on parle de vice-président, le client s’attend à quelqu’un avec un certain bagage et certaines compétences. Or, si l’on parcourt le profil de ce collaborateur, on se rend compte qu’il y a un décalage entre ses compétences et son titre” souligne Marie-Astrid Carlier.
Un impact sur la carrière
Un titre ronflant peut également poser problème aux collaborateurs et avoir un impact négatif sur l’évolution de leur carrière. Datapeople indique ainsi que, utilisé à mauvais escient, le qualificatif “senior” pourrait réduire de 39% les candidatures qualifiées. Les candidats les moins expérimentés se jugeraient en effet trop peu armés pour la fonction même s’ils ont les compétences requises, tandis que les candidats les plus expérimentés seraient découragés par des missions en deçà de leur niveau. “Les candidats doivent être très attentifs à la description de la fonction, au salaire proposé et aux perspectives de développement” conseille Marie-Astrid Carlier, qui ajoute: “Un candidat à l’intitulé de poste bien supérieur à ses réelles compétences ne pourra pas valoriser sérieusement son parcours en entretien. Il risque aussi d’être en décalage le jour où il se relance sur le marché de l’emploi.”
Des ambitions nouvelles
Le boom des titres de poste se produit à un moment où les entreprises sont contraintes de faire des efforts importants pour s’aligner sur les attentes des jeunes, notamment, sans nécessairement avoir les moyens de passer par le biais du salaire. “Ces générations ont des ambitions nouvelles que les dirigeants peuvent parfois comprendre avec difficulté.” Une étude de JobSage menée en 2022 révèle d’ailleurs que 58% des salariés de cette génération s’attendent à être promus tous les 18 mois, contre 20% des baby-boomers… “L’inflation sur les intitulés de poste serait alors le témoignage d’une tentative d’adaptation du monde de l’entreprise à des attentes qu’il a encore parfois du mal à appréhender… quitte à tout tenter. Mais sans en faire trop sinon le titre n’a plus de valeur…”
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