Inondations et effondrements en Côte d’Ivoire : chronique d’une anarchie urbaine et environnementale – Être sensible à son environnement

Inondations et effondrements en Côte d’Ivoire : chronique d’une anarchie urbaine et environnementale – Être sensible à son environnement

2024-06-17 16:45:03

Éboulements, glissements de terrains, accidents de la circulation, effondrements d’immeubles, mûrs fissurés, le mois de juin est devenu, par la force de son actualité dramatique, le mois rouge au pays de l’éléphant. Au-delà de la saison des pluies, cette situation met en évidence une anarchie urbaine, notamment à Abidjan.

Inondations et effondrement d’immeubles passent aujourd’hui pour des faits divers en Côte d’Ivoire. Chaque année, et particulièrement pendant la saison des pluies avec son pic en juin, les populations des grandes villes, surtout les Abidjanais, subissent les conséquences de l’anarchie qui caractérise le développement urbain des villes ivoiriennes. Les drames se succèdent dans les quartiers précaires comme dans les quartiers huppés.

Ces évènements révèlent en réalité une certaine anarchie urbaine avec son lot de déclinaisons. Si les scientifiques décrivent les évènements pluvieux extrêmes comme des symptômes du changement climatique provoqué par les activités humaines, en Côte d’Ivoire, comme on peut le constater cette année encore, il suffit de peu pour générer le pire.

La saison des pluies et ses faits divers dramatiques

C’est par l’effondrement d’un immeuble à la Riviera palmeraie, dans la commune de Cocody à Abidjan, que la saison pluvieuse a pointé son visage le plus sombre cette année.

Le 4 juin, la toile ivoirienne fait tourner la vidéo spectaculaire d’un immeuble effondré, devant le regard impuissant des riverains. “À qui le prochain tour”, peut-on lire sur leurs visages ?

Du côté de Yopougon, un Gbaka (minicar en Avec du miel) a été emporté ce jeudi 13 juin par les eaux, sur la voie reliant la plus grosse commune de Côte d’Ivoire à la commune d’Adjamé, alors qu’il transportait une trentaine de passagers.

Même scénario sur la route de Yamoussoukro ce vendredi 14 juin. La route Abidjan-Yamoussoukro, impraticable à cause du niveau de l’eau, des véhicules qui plongent dans des ravins, d’autres bloqués dans des caniveaux. Il s’agit d’une situation typique de constructions sans tenir compte des risques d’inondation.

De violents orages, sur des secteurs très urbanisés, caractérisés par une imperméabilisation des sols, vont forcément entrainer un ruissellement aux dépens de l’infiltration (car l’eau qui tombe sur la route goudronnée ne peut pas s’infiltrer). Les eaux vont donc se concentrer sur les voiries et générer des dommages.

L’année dernière, au mois de juillet, le avec partiel de la saison des pluies s’élevait à 30 décès dont 22 dans la seule ville d’Abidjan. Cette année, nous sommes bien partis pour battre un triste record. Touchons du bois !

Or, s’il y a inondations meurtrières, c’est qu’il y a des zones inondables habitées. S’il y a éboulement de terrain, c’est qu’il y a construction anarchique sur des terrains à risque.

La plaie des quartiers précaires et de l’étalement urbain

L’urbanisation incontrôlée produit toujours des dégâts incontrôlables. La nature ayant horreur du vide, si la puissance publique ne maîtrise pas l’espace (le foncier), celui-ci est occupé spontanément par des gens qui n’ont d’autre préoccupation que de se loger. Il se crée ainsi un processus d’artificialisation informelle des sols, avec des risques d’imperméabilisation là où il faudrait laisser l’eau s’infiltrer.

À Abidjan, les quartiers précaires poussent comme des petits pains, à la faveur de l’exode rural, conséquence de l’hyperconcentration des activités économiques et des mouvements de population au niveau sous-régional.

C’est dans les bas-fonds, sur des pentes raides, sous des fils à haute tension, qu’on retrouve ces baraques érigées sans droit ni titre foncier. En plus des risques sanitaires de ce type d’occupation, les répercussions environnementales sont lourdes.

© Iwaria

Cela dit, ces quartiers sont de véritables laboratoires d’observation des conditions sociales et des parcours résidentiels. La logique répressive de déguerpissementcomme nous le constatons souvent, ne saurait être la solution de long terme.

Quand tout le monde est aménageur et agent immobilier

À Abidjan, pas besoin de faire des études en aménagement du territoire, en urbanisme ou en architecture pour vendre une expertise en la matière. En effet, les dispositions légales en matière non seulement d’acquisition des terrains, mais aussi d’ingénierie de la construction ne sont pas accessibles à tout le monde et s’opposent à certaines habitudes commerciales informelles.

Géomètres, topographes, architectes et agents immobiliers improvisés pullulent la toile d’annonces aussi surprenantes les unes que les autres, en jouant de la faible connaissance et du faible niveau d’accès à l’information de leurs clients. C’est le secteur de la “marmaille” (vendeurs d’illusions en jargon ivoirien) !

© Iwaria

Il y a tout un anarchisme autour des pratiques d’attribution des terrains constructibles. Légalement, tout est organisé de façon à ce que l’autorité administrative soit le dernier rempart légal après l’étape villageoise. Mais dans les faits, cette voie légale, cristallisant les convoitises autour du fameux ACD et consacrant un processus faisant intervenir des autorités traditionnelles (délivrance d’une attestation villageoise), est à la base de nombreux conflits fonciers en zone urbaine.

Ainsi, il est assez coutumier de voir plusieurs personnes possédant une attestation pour la même parcelle. C’est aussi dans cette cacophonie des niveaux d’attribution de terrains que s’organise l’occupation de parcelles à risque et notamment de constructions dans des zones inondables et exposés à des glissements de terrain.

Par ailleurs, le recours aux professionnels de l’aménagement n’est pas toujours privilégié en raison du coût du foncier qui ne laisse souvent plus de marges de manœuvre pour la construction et surtout de l’appréhension selon laquelle cela reviendrait plus chère.

Planifier, cartographier, informer

Beaucoup décriée, mais jamais résolue, l’absence de planification urbaine endeuille chaque année les populations ivoiriennes. Le pire, c’est qu’il s’agit là d’une situation qui risque d’empirer si rien n’est fait d’ici aux prochaines décennies.

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© Sodexam (2020)

En 2100, l’Afrique devrait abriter 40 % de la population mondiale et cette projection concerne davantage la Côte d’Ivoire. Les processus d’urbanisation galopante sont déjà observables, plaçant la ville littorale d’Abidjan en position de nœud central des dynamiques urbaines dans la sous-région.

Le tronçon Lagos-Abidjan devrait être la plus grande zone d’habitation continue et dense au monde d’ici à la fin du siècle. Il faut donc anticiper, planifier et adapter le développement urbain aux implications environnementales, sociales, économiques et administratives d’une telle poussée démographique en prenant en compte les conditions climatiques.

Pour rappel, nous sommes dans la zone du globe caractérisée par un climat chaud et humide. Nous sommes soumis à des gros événements météorologiques extrêmes exacerbés par le réchauffement climatique. De ce fait, le challenge des aménageurs (dont je fais partie) est de trouver des formes urbaines répondant à la fois aux questions de chaleur, d’humidité et globalement aux aléas climatiques.

Par exemple, face aux inondations et l’augmentation du niveau de la mer, il faudrait favoriser des formes urbaines qui facilitent l’absorption de l’eau en excès pendant les épisodes pluvieux et qui laissent place à des zones tampon qui vont permettre à l’eau de s’infiltrer en amont de la ville et non à l’intérieur.

De plus, il faut rendre la cartographie accessible à tous. En matière de prévention des risques d’inondation, il est quasiment impossible de se passer de clés de lecture spatialisées.

Pour prévenir les constructions dans des zones à risque, il est important que nous sachions où se trouvent ces zones. Et cela peut se faire par l’entremise de la vulgarisation des cartographies qui permettent de situer géographiquement notre terrain.

Nous venons de le voir, le sujet des inondations et des effondrements d’immeubles est fondamentalement un sujet d’aménagement urbain. Une urbanisation incontrôlée génère un désordre urbain qui occasionne malheureusement l’actualité que nous connaissons aujourd’hui, notamment des pertes en vies humaines. Pour peu, le pire arrive. Il est urgent d’agir structurellement pour résoudre définitivement ce problème. La vie est sacrée.

Lire aussi : Montée des eaux en Côte d’Ivoire, jusqu’à quand l’inaction ?

Yves-Landry Kouamé




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