Insécurité alimentaire et profits record : un fléau sous les projecteurs

Insécurité alimentaire et profits record : un fléau sous les projecteurs
La séquence des événements est emblématique des sales temps que l’on traverse. Lundi, à la Chambre des communes, le premier dirigeant de Metro, Eric La Flèche, témoignait pour la seconde fois devant le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (AGRI), où l’on se penchait encore sur l’évolution du prix des denrées alimentaires au Canada.

C’est que la folie des prix de l’épicerie ne tarit pas, d’un océan à l’autre. Et alors que les gens rament, les grands épiciers, eux, ne cessent de voir leurs profits augmenter. Un récent vous signaler Centre pour les travaux futurs nous apprend que, pour 2023, les grands épiciers se partageront des profits nets de 6 milliards de dollars. Cela représente une augmentation de 8 % par rapport à l’année dernière, et environ le double des profits que l’on dégageait avant la pandémie.

Pendant ce temps, les chiffres sur l’insécurité alimentaire dépeignent une situation toujours plus catastrophique. Au Québec, selon le Bilan-Faim 2023, une personne sur dix aurait eu recours aux services d’une banque alimentaire dans la dernière année, une proportion jamais vue auparavant. De plus, le portrait des personnes qui recourent à l’aide alimentaire d’urgence change. De plus en plus de travailleurs, de personnes qui, en principe, appartiennent à la classe moyenne, sont contraints de se tourner vers ces services.

Au point où, selon un sondage de la firme Léger fait au début du mois de décembre, un Québécois sur trois aurait connu au moins un épisode d’insécurité alimentaire dans la dernière année. En 2020, c’était une personne sur cinq. C’était déjà trop, mais il faut tout de même s’arrêter un instant pour mesurer la signification d’une telle donnée et reconnaître le caractère alarmant d’une progression aussi fulgurante de la faim dans la province.

Ainsi, devant les parlementaires à Ottawa, Eric La Flèche s’est montré très préoccupé par l’impact de la hausse du prix des aliments. Il assurait que Metro faisait tout en son pouvoir pour offrir les meilleurs prix à ses clients — tout en maintenant que la hausse des prix est entièrement attribuable à la hausse des frais d’approvisionnement. On fait tout ce qu’on peut, disait La Flèche.

Les députés siégeant au comité n’étaient pas dupes. Le p.-d.g. de Metro s’est fait interroger tant sur la transparence des mécanismes de fixation des prix en magasin que sur les tendances oligopolistiques du marché et la contradiction apparente entre les « efforts » de contrôle des prix et les profits records dégagés par les grands épiciers.

La Flèche s’est défendu avec la constance d’un métronome : nos marges de profit n’augmentent pas, notre marché est rudement compétitif, les entreprises ont tous les incitatifs pour rivaliser sur les prix, nous sommes ouverts à collaborer avec les décideurs et nous comprenons que de plus en plus de gens comptent leurs sous pour remplir leur panier d’épicerie.

Le député néodémocrate Alexandre Boulerice, visiblement agacé par cette rhétorique de l’impuissance, a demandé sans détour au dirigeant de Metro s’il trouvait normal que sa rémunération annuelle totale — un peu plus de 5 millions de dollars avant primes — représente environ 155 fois le salaire d’un caissier chez Metro.

Léger malaise, question déviée et réponse tout entendue : vous savez, il s’agit d’une rémunération compétitive sur le marché des dirigeants d’entreprise, je n’y peux rien, résumait en gros Eric La Flèche. L’ensemble de son intervention pourrait au fond se résumer à cela : c’est le marché qui fixe les règles, nous ne sommes que des agents neutres qui composent avec des contraintes externes et immuables. Circulez, il n’y a rien à voir. Nous sommes de tout coeur avec les consommateurs en ces temps difficiles.

Puis, l’économiste et directeur du Center for Future Work, Jim Stanford, est venu mettre un peu d’ordre dans ce discours en présentant les conclusions de son rapport sur les profits des grands épiciers. Il a tout d’abord expliqué que le ralentissement actuel de l’inflation n’avait pas suffi à freiner la hausse du prix des aliments, qui, elle, se poursuit. Il a ensuite souligné que l’augmentation des bénéfices au stade de la vente des aliments avait contribué et contribuait toujours de manière mesurable à l’inflation des prix des denrées alimentaires en particulier, tout en intensifiant l’inflation généralisée.

Quant aux profits dégagés par les grands épiciers, sa conclusion était sans appel : « Les mathématiques élémentaires réfutent l’affirmation des p.-d.g. des supermarchés selon laquelle ils n’ont fait que répercuter la hausse du coût des intrants sur les consommateurs », a-t-il tranché.

Un secteur ne peut tout simplement pas doubler ses bénéfices en ne faisant que cela, expliquait-il, ajoutant que l’argument des faibles marges de profit — que La Flèche venait tout juste d’évoquer — était souvent mal compris par le grand public. Les faibles marges sur les articles vendus, spécifiait-il, ne disent pas tout de la rentabilité d’une entreprise. Cela ne représente pas sa capacité à dégager autrement des profits spectaculaires, des profits qui pourraient servir, déduit-on, à modérer la hausse des prix malgré les faibles marges, si on le souhaitait réellement.

Cet automne, dans un geste un peu théâtral, le ministre fédéral de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avait convoqué formellement les grands épiciers à une rencontre pour discuter des mesures à prendre pour contrer la hausse des prix des aliments. Au terme de cette rencontre, tous s’étaient engagés à faire de leur mieux pour offrir les meilleurs prix au consommateur. Les voeux pieux ne suffisent pas. Sans une intervention politique plus musclée, l’insécurité alimentaire continuera de croître au pays.

Chroniqueuse spécialisée dans les enjeux de justice environnementale, Aurélie Lanctôt est doctorante en droit à l’Université McGill.

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