Il y a 25 ans, Christine Angot faisait exploser la bombe littéraire “L’Inceste” où elle décrivait comment elle avait été violée à plusieurs reprises par son père dès l’âge de 13 ans. Le livre, publié l’année même de la mort de son père, a ouvert la voie à une discussion sur l’inceste et les abus sexuels. Des thèmes qui occupent la majeure partie de la longue écriture d’Angot, qu’elle décrit elle-même comme un acte performatif – en plus de décrire des événements, elle participe également activement aux discussions à leur sujet.
Après une vingtaine de livres, elle utilise pour la première fois la caméra argentique comme une arme dans sa lutte pour briser la culture du silence autour de ce sujet tabou. Lorsque DN la rencontre à l’occasion de la première mondiale au festival du film de Berlin, elle interrompt l’interview au milieu de la première question.
– Excusez-moi, mais je ne peux pas réfléchir quand je n’ai pas un stylo à la main, dit la réalisatrice Christine Angot, assise dans la salle de conférence “Ekorren” de l’hôtel Scandic de la Potsdamer Platz à Berlin.
Elle commence à fouiller dans son sac à main et déniche un stylo à encre avant de raconter comment elle a eu cette idée il y a trois ans, alors qu’elle s’apprêtait à retourner sur la « scène de crime » pour une tournée nationale de lancement du livre « Le voyage dans l’ est” (“Le voyage en Orient”).
– Durant les dernières décennies, j’avais refusé de retourner à Strasbourg. Et j’ai compris que je ne pourrais pas y aller seule, qu’il fallait que j’apporte une caméra, raconte Christine Angot, qui a engagé la chef opérateur Caroline Champetier (“Les moteurs sacrés”, “Les Dieux et les hommes”) qui devient à la fois témoin et soutien moral .
Christine Angot devant la maison de sa belle-mère à Strasbourg dans le film “Une famille”. Photo de : Nour Films
Soutenue par Champetier, Angot décide de se confronter à sa belle-mère qui refuse de l’accepter depuis qu’elle a publié le livre “L’Inceste”. Le film commence avec Angot hésitant un peu avant de sonner à la porte de la maison de la belle-mère. Lorsqu’elle ouvre la porte à contrecœur, Angot commence son « invasion de domicile » et crée un tumulte en mettant agressivement sa belle-mère contre le mur : Pourquoi elle et sa famille n’ont-ils jamais pris contact avec elle ? Pourquoi n’ont-ils jamais voulu en savoir plus sur ce qui s’était passé ?
– Je voulais qu’il y ait une preuve visuelle. Je voulais aussi savoir quelle histoire elle se raconte, à quoi ressemble son visage lorsqu’elle prononce ces mots. Je voulais capturer une scène réelle, où rien n’était écrit d’avance, où il n’y avait ni scénario ni projet de reconstitution. Seule la présence et pas d’imagination – en littérature, seules les images intérieures créées par le lecteur existent, dit Christine Angot qui, dans le film, oscille entre la fureur et la réflexion, l’hésitation, le silence.
Comment se développe “Une famille” à une sorte d’examen personnel de sa propre famille et de leur vision des actes de violence sexuelle qui ont laissé des traces profondes dans son âme. Cela continue, entre autres, avec son ex-mari, sa fille et sa mère qui pleurent devant la caméra quand le sujet tabou revient.
– Comme on le voit dans le film, ma mère est tellement accablée par la culpabilité qu’elle ne peut même pas en parler. Mais même les membres de la famille qui vivent dans le déni sont liés au traumatisme. L’inceste n’est pas seulement l’affaire de la victime, mais l’affaire de tous, dit-elle.
Christine Angot med sin dotter i ”Une famille”.
Foto: Nour films
Elle montre également des vidéos de l’album visuel de famille – des photos de la naissance de sa fille aux photos de vacances ensoleillées avec la famille de son père, qu’elle commente avec sa voix laconique de narratrice : “Les viols ont eu lieu le week-end et pendant les vacances.”
– L’inceste est un crime qui relève d’une sorte de pouvoir social perverti car le but est d’humilier quelqu’un. Dire à sa fille : “Ecoute, je t’embrasse sur la bouche si je veux.” Mais mon père vivait dans le déni total, dans une sorte d’état d’évasion.
Christine Angot à l’occasion de la première mondiale de “Une famille” au festival de Berlin en février. Photo : Nicolas Wenno
Après la première mondiale à Berlin le film est sorti dans les salles françaises depuis un peu plus d’un mois. “Étourdissant et marquant”, “choc documentaire” et “témoignage poignant mais nécessaire”, telles sont les critiques de cinéma françaises.
Il y a quatre ans, une enquête avait été présentée qui montrait que 6,7 millions de Français avaient été exposés à l’inceste mais que le problème était passé sous le tapis. Un an plus tard, #MeTooInceste était à la mode sur Twitter alors que de nombreuses personnalités culturelles célèbres étaient accusées d’inceste ou d’abus sexuels. Quelques autres personnes du monde culturel nous ont raconté avoir vécu des choses similaires. Angot salue l’initiative, mais veut aller plus loin.
– On peut certainement dire que ça a changé et qu’on peut “en parler”, dit-elle en mettant un guillemet en l’air.
– Mais le scénario est déjà écrit – “Je suis partant”. Moi avec » – ok, super, super ! Mais quand il s’agit de détails, de mots, alors c’est un tout autre cinq, dit Angot.
Cela a aussi pris beaucoup de temps Il est temps pour elle d’appeler un chat un chat. Juste avant le tournant du millénaire, elle avait fini d’écrire un livre initialement intitulé “No Man’s Land”.
– Soudain, j’ai senti quelque chose frotter en moi et j’ai appelé mon éditeur : “Je suis désolé, mais je dois changer le titre en ‘Inceste’.” Ce n’était pas quelque chose que je voulais, qui veut écrire un livre avec ce titre ? » demande-t-elle rhétoriquement et répond elle-même.
– Pas moi! Mais il faut appeler un chat un chat. C’est un devoir d’en parler. Je veux briser le cercle vicieux, je ne veux pas que ma propre histoire se répète dans les générations futures.
Christine Angot a écrit le scénario des Labyrinthes d’amour de Claire Denis avec Vincent Lindon et Juliette Binoche. Photo de : Triart
Christine Angot
Né 1959 à Châteauroux, France. Romancier, dramaturge, scénariste et réalisateur. Dans son roman le plus connu “L’inceste” (1999), elle décrit comment elle est victime d’abus sexuels de la part de son père.
Était assigné Prix Sade för ”Une semaine de vacances” (2012) och Prix Médicis för sin roman ”Le voyage dans l’est” (2021).
En coopération avec la réalisatrice Claire Denis, elle a écrit les scénarios de films tels que “Laissez entrer le soleil” (2017) avec Juliette Binoche et Xavier Beauvois, ainsi que “Le labyrinthe de Kärlekens” (2022) avec Juliette Binoche et Vincent Lindon, basé sur sur son propre roman « Un tournant de la vie » (2018).
”Une famille” n’a actuellement pas de distributeur suédois et ne peut pas non plus être diffusé en Suède.
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Helena Lindblad : Les accusations d’inceste ébranlent le monde culturel français
2024-05-03 10:35:18
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