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“J’ai besoin d’avoir les doigts sales, de me sentir comme un artisan”

“J’ai besoin d’avoir les doigts sales, de me sentir comme un artisan”

MA VIE EN BD — Il clôt sa trilogie italienne avec “Maltempo”, chronique sensible des rêves musicaux d’un adolescent. Souvenirs de lecture, premières planches, influences… Alfred répond à notre questionnaire BD.

Dans le sud de l’Italie, Mimmo brûle de jouer du rock’n’roll… la trame de « Maltempo », d’Alfred. Éd. Delcourt

Par Laurence Le Saux

Publié le 26 novembre 2023 à 12h30

jel continue de creuser une veine italienne lumineuse et nostalgique. Alfred, Fauve d’or à Angoulême pour Comme avant, signe dans Mauvais temps (éd. Delcourt) une chronique musicale et adolescente. On y suit les efforts du jeune Mimmo, dans le sud de l’Italie, pour réaliser son rêve : jouer du rock’n’roll… « En observant ma fille de 15 ans, je me suis mis à noter des choses sur le passage de l’enfance à l’adolescenceexplique-t-il. C’est un terreau qui m’intrigue et que je creuse dans mes carnets depuis quelque temps. J’ai aussi retrouvé des bouts de chansons que j’écrivais en italien quand j’avais son âge, ça a donné l’étincelle de départ. » L’auteur de cet album délicat et lumineux revient sur son rapport à la bande dessinée.

Pourquoi la bande dessinée, et depuis quand ?
J’ai grandi en suivant mes parents, comédiens, dans des théâtres. J’ai commencé par dessiner ce qu’ils jouaient sur scène, depuis les coulisses. Les décors et les costumes étaient épurés, alors je représentais le château et la foule qui étaient évoqués dans la pièce. J’ai ainsi fait de la BD vers 5-6 ans, sans même m’en rendre compte. Et connu le plaisir de m’approprier des univers et de les plier à ma volonté. Pour moi, l’enfant réservé et mutique, c’était le seul territoire où je trouvais un espace de sérénité, au milieu d’une troupe de comédiens bruyants et charismatiques.

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Quels livres ont marqué votre enfance ?
En bons soixante-huitards, mes parents avaient beaucoup de BD, et de magazines du type Pilote, Métal Hurlant, (À suivre)… Ma grand-mère m’achetait Gadget Pif tous les mercredis. Mais les deux séries qui m’ont marqué sont Tintin, d’Hergé, et Philémon, de Fred : d’un côté une ligne très claire et maîtrisée, de l’autre de l’improvisation et de la fantaisie. J’ai la sensation d’être une espèce de synthèse de ces deux influences aujourd’hui. J’ai été particulièrement marqué par Avant le A, de Fred, que j’ai le plus relu. Il y a plusieurs niveaux de lecture, on sent bien que c’est un adulte qui l’a fait, mais son vocabulaire est tellement en lien avec l’enfance ! Fred y joue comme un gamin, et ça me fascine encore aujourd’hui.

Si vous deviez citer un album mythique ?
Le Petit Cirquede Fred toujours. Je le relis depuis mes 10 ans chaque année. Ça me reconnecte avec une partie de mon moi enfant. J’aime ces histoires courtes qui racontent les pérégrinations d’une famille de bohémiens, et les rencontres qu’elle fait. C’est une déambulation où l’auteur s’autorise à être drôle, poétique, cruel par moments. Le dessin, en noir, blanc et gris, est un peu rugueux. Mais quelle magie et quelle mélancolie !

La couverture du « Petit Cirque », de Fred.

La couverture du « Petit Cirque », de Fred. Éd Dargaud

Quelle couverture d’album vous a le plus marqué ?
C’est plus classique : Le Lotus bleu, des Aventures de Tintin. Je l’avais en poster dans ma chambre, je me souviens m’être usé les yeux à regarder le dragon. Plus tard, j’ai été impressionné par celle d’Ici même, de Tardi et Forest, très théâtrale : on y voit le personnage principal au téléphone, entouré d’un cadre noir. C’est une image spectaculaire, a priori pas vendeuse pour une couverture, mais qui imprègne la rétine et suscite la curiosité.

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Votre première expérience en bande dessinée ?
À 14 ans, en créant avec rage des fanzines. J’allais dans des librairies et festivals pour vendre mes cinquante exemplaires. Je n’étais pas très heureux à l’école, et je sentais que j’étais ainsi en train d’apprendre un bout de mon métier rêvé.

Une planche de « Maltempo », d’Alfred.

Une planche de « Maltempo », d’Alfred. Éd. Delcourt

Quels rapports entretenez-vous avec le crayon et le clavier ?
J’ai besoin d’avoir les doigts sales, de me sentir comme un artisan. Une bonne journée, c’est quand j’ai l’impression d’avoir mis les mains dedans. Je n’ai donc pas de tablette, et j’utilise l’ordinateur seulement pour une mise en couleurs très légère. Je travaille avec des fusains, des encres, des gouaches, des aquarelles…

Face à la planche, quelle est votre plus grande difficulté ?
De trouver par où la commencer, afin que la suite vienne de façon fluide. Je recommence et jette assez régulièrement, quand je n’ai pas trouvé la bonne énergie.

Que liriez-vous en cas d’insomnie ?
Je fais partie de ceux qui en ont, et j’ai tendance à revenir alors à des choses que je connais bien. Je sais que mon attention ne sera pas maximale, que mon état sera un peu flou, alors je cherche juste le plaisir de me replonger dans certaines séquences. Dernièrement j’ai (re)lu Ulysse, de Jean Harambat, à 3 heures du matin.

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Rêvez-vous de bande dessinée ?
Comme je travaille en semi-improvisation, je cogite souvent le soir, je réfléchis à ce que je vais raconter le lendemain. Donc je rêve de ce qui coince dans mes pages, ou de ce que je dois faire ensuite. Je peux aussi m’apercevoir, dans un cauchemar, que je viens de faire soixante pages ratées, qu’il faut mettre à la poubelle !

Une planche de « Maltempo », d’Alfred.

Une planche de « Maltempo », d’Alfred. Éd. Delcourt

Quel est votre meilleur souvenir de festival BD ?
L’année [2014, ndlr] où j’ai reçu le Fauve d’or pour Comme avantsur la scène du théâtre d’Angoulême, au milieu de décors qui rendaient hommage à Fred, récemment décédé. Ce fut une émotion très forte.

Le pire ?
À Angoulême toujours, au début des années 2000. Je dormais dans la chambre que des copains m’avaient prêtée et, alors que je voulais y entrer, la clé s’était cassée dans la serrure. Il pleuvait, il était 2h du matin, et j’avais dû dormir sous un abribus. On en rit après, mais sur le moment la sensation de ne pas être à ma place m’avait été renvoyée avec une violence dingue.

Aimez-vous dédicacer ?
Je n’ai pas envie de me contenter de venir vendre des livres dans les librairies. Alors je propose (de manière un peu ferme !) d’offrir une performance dessinée avant la dédicace. Cela donne ensuite envie aux gens de parler, de raconter ce qu’ils ont ressenti. Cela crée un vrai moment de rencontre. Et ça devient un plaisir pour moi.

  La couverture de  « Maltempo », d’Alfred.

La couverture de « Maltempo », d’Alfred. Éd. Delcourt

Mauvais tempspar Alfred. éd. Delcourt, 180 p., 23,95 €.

2023-11-26 14:30:11
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