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Jane Birkin, la « pin-up » sans courbes qui a conquis le cinéma d’auteur | Culture

Jane Birkin, la « pin-up » sans courbes qui a conquis le cinéma d’auteur |  Culture

2023-07-18 06:15:00

Jane Birkin était actrice avant d’être chanteuse. Lorsqu’en 1969, année érotique, elle scandalise la moitié du monde avec son orgasme musical aux côtés de Serge Gainsbourg, l’interprète franco-britannique, décédé dimanche à Paris, connaît déjà une carrière naissante au cinéma. Malgré son éducation de noblesse à Marylebone à Londres, elle avait joué dans deux films sur fond de révolution sexuelle : un personnage éphémère dans Le talent… et comment l’obtenir (1965), de Richard Lester, et un autre un peu moins discret dans Exploser (1966), de Michelangelo Antonioni, où elle incarna un modèle débutant dans la célèbre scène de trio dans l’atelier du photographe, qui déclencha la première d’une interminable série de controverses dans sa carrière.

Il y avait plein de filles comme elle à Swinging London. “J’ai juste eu la chance d’arriver à Paris en premier”, a-t-elle déclaré. La France frappe à sa porte en 1968, alors que le réalisateur Pierre Grimblat cherche une jeune Anglaise pour jouer, dans le film Slogan, à l’amant de passage d’un cinéaste marié en vacances en Italie. Sa co-vedette n’est autre que Gainsbourg, avec qui il entame une relation qui durera 12 ans. Il a suivi La piscine (1969), de Jacques Deray, où il observe les jeux de séduction (et de destruction) entre trois adultes ; parmi eux, Alain Delon et Romy Schneider. Tout au long des années 1970, Birkin devient le visage d’une transgression ludique, d’un délit souriant, dans le cadre d’une nation « veuve de De Gaulle », comme dirait Pompidou en annonçant sa mort à la télévision, qui dépasse la gueule de bois de Mai 68 et embarque sur la voie du néolibéralisme giscardien.

Jane Birkin et David Hemmings, dans ‘Blow-up’ (1966), de Michelangelo Antonioni.COLLECTION EVERETT (PRESSE À CORDON)

Birkin n’avait pas de talent particulier, si ce n’est celui d’incarner la modernité. La même chose s’est produite avec les actrices nouvelle vague comme Jean Seberg ou Anna Karina, eux aussi étrangers et quelque peu androgynes. “Tu es à moitié un garçon”, lui ont dit Birkin par ses camarades de classe au pensionnat de l’île de Wight où la fille d’un amiral de la Royal Navy et Judy Campbell, actrice et ancienne muse de Noël Coward, l’ont envoyée étudier. Dans ce contexte, Birkin a enchaîné les rôles de “ravissante idiote», selon ses propres mots, en fille sans cervelle mais charmante, dans des comédies populaires qui connurent de grands succès, comme La la moutarde me monte au nez (1974), réalisé par Claude Zidi, connu pour ses collaborations avec Louis de Funès. Birkin avait une présence extraterrestre. Elle imprègne ses films d’une délicate étrangeté, d’une sombre mélancolie, avec sa voix de sifflet inimitable et une fragilité assumée, qu’elle brandit comme si elle était une force. “Je suis une femme assez dure, la fragile c’était Gainsbourg”, nous confiait-elle dans cette interview en 2017.

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Dans sa carrière cinématographique, éclectique comme peu d’autres, il a été guidé par sa curiosité, par un désir primaire, sans aucune stratégie pour sa carrière. Il a tenté sa chance avec Roger Vadim dans un raté don Juan lesbienne avec Brigitte Bardot en 1973 puis avec Je t’aime moi non plus (1976), réalisé par Gainsbourg, où elle incarne une serveuse qui tombe amoureuse d’un camionneur gay, le warholien Joe Dallesandro. Il a été suivi d’un petit rôle dans mort sur le nil (1978), aux côtés de Bette Davis, Mia Farrow et Maggie Smith, une de ses rares incursions dans le cinéma commercial en anglais.

Jane Birkin y Michel Piccoli, en 'La bella mentirosa' (1991), de Jacques Rivette.
Jane Birkin y Michel Piccoli, en ‘La bella mentirosa’ (1991), de Jacques Rivette.United Archives / Alamy

Sa transition vers le cinéma d’auteur français s’opère dans les années 80, suite à sa rencontre avec Jacques Doillon, pour qui il finit par quitter Gainsbourg. Le réalisateur a décelé un potentiel dramatique dans cette icône sexuelle qui est apparue nue dans Son, monument de la presse érotique, qu’il a voulu “boutonner jusqu’au cou” pour lui faire explorer d’autres registres. S’est passé dans la fille prodigue (1981), la rencontre bergmanienne entre une femme et son père violent ; dans le pirate (1984), massacré par la presse à Cannes (mais qui fut la première de ses trois nominations aux César), et dans Comédie (1987), leur dernier film ensemble avant leur séparation.

Jacques Doillon a décelé un potentiel dramatique dans cette icône sexuelle apparue nue dans la presse érotique, qu’il a voulu “boutonner jusqu’au cou” pour lui faire explorer d’autres registres

Reconvertie en actrice prestigieuse, elle a gagné le respect des plus grands cinéastes. roulé la fable Soigne ta droite (1987) avec Jean-Luc Godard, inspiré de Dostoïevski ; le fantastique documentaire Jane B. par Agnès V. (1988) avec Agnès Varda ; Papa Nostalgie (1990), une autre histoire père-fils réalisée par Bertrand Tavernier, ou la belle menteuse (1991) avec Jacques Rivette, devenue l’épouse d’un peintre picassien avec le visage de Michel Piccoli, l’un de ses meilleurs rôles. Le théâtre a aussi frappé à sa porte : Patrice Chéreau lui a fait jouer Marivaux dans les années quatre-vingt. Vingt ans plus tard, il ose Électre à Paris et aussi avec la Reine Gertrude de Hamlet au Royaume-Uni. Son seul long métrage sorti en salles en tant que réalisatrice, l’autofiction Des boites (2006), met en scène sa vie de famille. À son un autre soi Géraldine Chaplin l’a joué. Et sa fille cadette, une toute jeune Adèle Exarchopoulos.

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Le documentaire 'Jane pour Charlotte' (2021), de Charlotte Gainsbourg.
Le documentaire ‘Jane pour Charlotte’ (2021), de Charlotte Gainsbourg.

Birkin a commencé comme un afficher sans rondeurs, comme elle le disait elle-même, mais elle a fini par devenir une actrice dotée d’une certaine paternité, ce club sélect limité à une poignée d’interprètes toujours reconnaissables sous le masque : la personne et le personnage se confondent. Cela arrive à Catherine Deneuve, à Isabelle Huppert, à Juliette Binoche. Et c’est aussi arrivé à Birkin, toujours en surface, avec un talent inné pour esquiver l’adversité avec un humour tragique et une pointe innée de flegme. Elle était la vedette d’une “comédie triste” sensationnelle, un terme de sa propre fabrication. Patronne des étrangers résidant en France, de ces exilés volontaires qui se soumettent à une assimilation sans demi-mesure — la seule admise dans le pays d’accueil —, elle était connue pour sa façon particulière d’utiliser le français, à l’accent immuable bien qu’elle ait été dans le pays depuis plus de cinq décennies. Il a mal conjugué sa langue d’adoption, il a choisi les mauvais articles par système (en anglais presque rien n’a de genre) et foisonnait d’expressions en désuétude, au point de nous rendre méfiants s’il ne le faisait pas exprès, avec pour mission de garder intactes son immense capital de sympathie. L’écrivain Olivier Rolin, qui était aussi son compagnon, l’appelait « la langue birkin créole ».

Elle était connue pour sa façon particulière d’utiliser le français, avec un accent immuable malgré sa présence dans le pays depuis plus de cinq décennies. L’écrivain Olivier Rolin, qui était son associé, l’appelait “la langue birkin créole”.

Son testament au cinéma sera jane par charlotte (2021), un documentaire réalisé par sa fille, Charlotte Gainsbourg, un dialogue profond entre une mère et une fille séparées par une étrange pudeur. Affaiblie par ses problèmes de santé, mais encore assez forte pour travailler dans son jardin, le film a trouvé un Birkin se reposant chez elle dans le Finistère breton, en face de la plage où son père a passé la fin de la Seconde Guerre mondiale à secourir des soldats du côté allié. Ou visiter, pour la première fois depuis 30 ans, la maison du quartier parisien de Saint-Germain où il a vécu avec Gainsbourg, dans la mythique rue de Verneuil. “Cela ressemble à Pompéi”, s’exclame Birkin dans le documentaire. Charlotte garde cette demeure aux murs sombres telle que son père l’a laissée. Et il envisage de l’ouvrir au public en tant que maison-musée avant la fin de l’année. Ce mausolée pour Gainsbourg sera désormais aussi un peu un Birkin. On dit déjà que les enfants de divorcés veulent toujours réunir leurs parents.

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Jane Birkin dans sept films

exploser
Son rôle était petit : le scénario se contente d’appeler son personnage, un mannequin inexpérimenté à Swinging London, « la blonde » et elle apparaît dans une seule séquence de sexe à trois, dans laquelle certains observent aujourd’hui une agression sexuelle. Mais il a lancé sa carrière lorsque Michelangelo Antonioni a remporté la Palme d’or à Cannes. Apple TV.
la piscine
Un couple profite de ses vacances à Saint-Tropez, jusqu’à ce qu’elle décide d’inviter un vieil amant et sa fille de 18 ans, le rôle de Birkin, à assister à un festin de jalousie, de méfiance et de cruauté entre adultes. Au milieu de la révolution sexuelle, ce fut un énorme succès au box-office qui érotisa l’identité de Birkin en tant qu’actrice, à laquelle il lui fallut une décennie pour s’échapper. Pas filmé.
je t'aime
Une serveuse est attirée par un camionneur, incarné par le warholien Joe Dallesandro, malgré le fait qu’il soit gay. Mais son aspect androgyne rendra l’histoire d’amour entre eux pas tout à fait impossible. Sexuel, scatologique et provocateur, le premier film de Gainsbourg n’a pas très bien vieilli, mais c’est un joyau thrash pour les finalistes. Pas filmé.
La miel
Autre curiosité : la seule incursion de Birkin dans le cinéma espagnol, réalisée par Pedro Masó, avec un scénario de Rafael Azcona et une co-vedette nommée José Luis López Vázquez. L’acteur a joué Agustín, un professeur d’école, et l’actrice, la mère d’un de ses élèves, qu’il soupçonne d’être une prostituée. Pas filmé.
le pirate
Autre triangle, figure récurrente dans la filmographie de Birkin : son deuxième film avec Jacques Doillon fait de Birkin la victime d’une relation amoureuse à trois avec son mari et une femme dont elle tombe follement amoureuse. C’était sa première nomination au César de la meilleure actrice, sur un total de trois (certainement son chiffre magique). Pas filmé.
beau menteur
Un rôle discret mais mémorable : celui de l’épouse désintéressée d’un peintre fasciné par une jeune femme dont elle fait son modèle. C’est sa meilleure collaboration avec Jacques Rivette, un film sur le processus de création, l’autoritarisme de l’artiste et la maturité féminine, qui s’inspire d’un court roman de Balzac. Sur Amazon Prime Vidéo.
jane x charlotte
Le documentaire, premier film de Charlotte Gainsbourg en tant que réalisatrice et dernier film dans lequel Birkin apparaît, est un portrait de l’actrice, avec qui sa fille noue un dialogue pour surmonter la distance qui les sépare depuis qu’elle est enfant. Témoignage d’une vie consacrée au cinéma, à la musique et à sa famille, il s’achève sur une déclaration d’amour émouvante du réalisateur. Pas filmé.

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