Dans un dénouement saisissant, mais que les pressions croissantes semblaient rendre inéluctable, le président Joe Biden a mis fin à sa campagne pour la présidentielle, dimanche en début d’après-midi. Il a donné son appui à la vice-présidente Kamala Harris.
Fragilisé et soumis aux appels croissants des membres de son propre camp à passer le flambeau
en chute dans les sondages, largué par les donateurs, Joe Biden a fini par céder sa place, lançant sur le réseau X, plutôt que dans un cadre formel, cette bombe qui bouleverse radicalement la dynamique de la campagne électorale américaine.
Servir en tant que président a été le plus grand honneur de ma vie. Et même si c’était mon intention de chercher à me faire réélire, je crois qu’il est dans l’intérêt supérieur de mon parti et du pays que je me retire et que je me concentre uniquement sur l’accomplissement de mes fonctions de président pour le reste de mon mandat
a écrit le président Biden dans une lettre publiée sur son compte X.
Dans un message subséquent, il a mis tout son poids derrière la candidature de sa vice-présidente, Kamala Harris.
Ma toute première décision en tant que candidat du parti en 2020 a été de choisir Kamala Harris comme vice-présidente. Et c’est la meilleure décision que j’ai prise
a-t-il écrit.
Aujourd’hui, je veux offrir mon soutien total à Kamala pour qu’elle soit la candidate de notre parti cette année. Démocrates, il est temps de s’unir et de battre Trump. Faisons-le.
Depuis le débat, Mme Harris avait affiché sa loyauté à l’endroit de son patron en coulisses et dans toutes les activités de campagne.
Le président Joe Biden a annoncé qu’il renonçait à briguer la présidentielle de 2024.
À moins de quatre mois de l’élection, ce revirement est inédit : c’est la première fois qu’un président sortant se désiste de la course aussi tard dans le cycle électoral.
Ce dénouement s’inscrit dans une campagne sans précédent déjà marquée par des événements exceptionnels : la tentative d’assassinat contre Donald Trump ainsi que le procès criminel, premier procès intenté contre un candidat à la présidence, de surcroît un ancien président, qui s’est soldé par un verdict de culpabilité.
Joe Biden a indiqué qu’il s’adresserait à la nation américaine plus tard cette semaine pour expliquer davantage sa décision, annoncée 24 jours après un débat présidentiel catastrophique.
Le désistement de Joe Biden a pour conséquence de jeter l’éclairage sur l’âge de Donald Trump : dorénavant, c’est le candidat républicain, âgé de 78 ans, qui deviendra le candidat le plus âgé à briguer la présidentielle dans toute l’histoire américaine.
Selon CNN, le processus entourant cette décision, prise en collaboration avec sa famille et ses proches conseillers, a été mis en branle hier, mais Kamala Harris n’en aurait été informée qu’aujourd’hui.
M. Biden avait décidé de briguer un deuxième mandat après s’être présenté comme un président de transition qui serait un pont
vers la prochaine génération de leaders démocrates.
Les démocrates lancent des fleurs, les républicains réclament sa démission
Les réactions ont évidemment fusé après cette annonce.
Les démocrates, notamment ses alliés qui craignaient que Joe Biden les prive d’une majorité dans les deux Chambres, ont vanté son patriotisme
et son bilan, notamment son plan d’investissements massifs dans les infrastructures, la réduction des coûts des médicaments sous ordonnance, ses actions pour contrer les changements climatiques ainsi que le leadership qu’il a exercé sur la scène internationale après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Dans un texte publié sur le site Moyenl’ancien président Barack Obama a rendu hommage à son ancien second, insistant aussi sur sa profonde empathie et sa résilience durement acquise
.
Joe Biden a été un des présidents américains les plus importants, de même qu’un ami et un partenaire très cher pour moi. Aujourd’hui, on nous a également rappelé – une fois de plus – qu’il est un patriote de premier ordre.
L’ancienne présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi y est allée d’un message similaire, faisant l’éloge d’un Américain patriote qui a toujours fait passer notre pays en premier
. Sa vision, ses valeurs et son leadership font de lui un des présidents les plus importants de l’histoire des États-Unis.
Dieu a béni l’Amérique avec la grandeur et la bonté de Joe Biden
a-t-elle conclu.
Joe Biden n’a pas seulement été un grand président et un grand leader législatif, c’est aussi un être humain extraordinaire. Sa décision n’a évidemment pas été facile à prendre, mais il a une fois de plus donné la priorité à son pays, à son parti et à notre avenir
a écrit le leader de la majorité démocrate à la Chambre, Chuck Schumer, sur X.
L’Amérique est un meilleur endroit aujourd’hui parce que le président Joe Biden nous a menés avec intelligence, grâce et dignité. Nous lui en serons éternellement reconnaissants
a pour sa part déclaré le leader de la minorité démocrate à la Chambre, Hakeem Jeffries.
Les réactions étaient bien différentes chez les républicains, qui espéraient affronter un candidat qu’ils jugeaient plus faible.
Dans un message vitriolique publié sur son réseau Truth Social, le candidat républicain à la présidentielle et ancien président Donald Trump, que son équipe a présenté comme un rassembleur depuis la fusillade, a notamment écrit ceci : L’escroc Joe Biden n’était pas apte à se présenter à l’élection présidentielle et n’est certainement pas apte à servir – et il ne l’a jamais été.
Sur X, son colistier J.D. Vance a lancé un message que martèlera inlassablement le camp républicain au cours des prochains mois.
Si Joe Biden met fin à sa campagne de réélection, comment peut-il justifier le fait de rester président?
Le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, a accusé les démocrates d’avoir invalidé
les votes de plus de 14 millions d’électeurs qui ont voté pour Joe Biden lors des primaires. Il doit démissionner de [la présidence] immédiatement
a-t-il écrit sur X.
Quelques voix dissidentes se sont toutefois élevées chez les républicains, dont celle du sénateur de l’Utah Mitt Romney, candidat républicain à la présidence de 2012, qui a signalé qu’il ne votera pas pour Donald Trump.
Je suis un républicain traditionnel et [Joe Biden] est un démocrate traditionnel. De toute évidence, le président Biden et moi-même ne sommes pas toujours d’accord
a-t-il dit, énumérant cependant des points d’accord.
Après avoir travaillé avec lui ces dernières années, je respecte le président Biden. Sa décision de se retirer de la course est la bonne et dans l’intérêt supérieur du pays.
Harris entend « mériter » la nomination à l’investiture démocrate
La vice-présidente américaine Kamala Harris lors d’un rassemblement de campagne à Fayetteville, en Caroline du Nord.
Dans un communiqué, la vice-présidente de 59 ans s’est dite honorée d’avoir le soutien du président
. Mon intention est de mériter et de gagner cette nomination
a déclaré celle qui a déjà été procureure générale, puis sénatrice de la Californie.
« Il nous reste 107 jours avant le jour de l’élection. Ensemble, nous nous battrons. Et ensemble, nous gagnerons.
Sénateurs, représentants, gouverneurs, rivaux potentiels, démocrates influents, responsables du parti, délégations qui voteront à la convention nationale démocrate, donateurs : les appuis ont rapidement déferlé après l’annonce attendue, mais néanmoins fracassante du politicien de 81 ans.
Nous sommes honorés de nous joindre au président Biden pour appuyer Kamala Harris et nous ferons tout notre possible pour la soutenir
ont par exemple écrit l’ex-président Bill Clinton et sa femme Hillary, candidate malheureuse à la présidentielle de 2016.
Des élus vus comme des candidats potentiels d’une course à l’investiture démocrate, dont le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, et celui de la Pennsylvanie, Josh Shapiro, se sont aussi rangés derrière elle.
D’autres ténors du parti n’ont cependant pas fait allusion à l’appui que Joe Biden a accordé à sa vice-présidente.
J’ai une confiance extraordinaire dans le fait que les dirigeants de notre parti seront en mesure de mettre en œuvre un processus qui donnera lieu à l’émergence d’un candidat exceptionnel
a écrit Barack Obama.
Nancy Pelosi n’y a pas fait mention non plus. Selon le site Politiquelors d’une réunion avec des collègues il y a deux semaines, l’ancienne présidente de la Chambre des représentants a insisté sur la nécessité d’avoir un processus ouvert afin d’éviter l’apparence d’un couronnement de Kamala Harris advenant le désistement de Joe Biden.
Les délégués remportés par Joe Biden lors des primaires étaient engagés à voter pour lui, mais leur vote n’est pas automatiquement transféré à sa colistière.
La liste des candidats dont les noms comme remplaçants éventuels de Joe Biden ont été évoqués au cours des dernières semaines inclut plusieurs gouverneurs, dont Gretchen Whitmer (Michigan), Gavin Newsom (Californie), J.B. Pritzker (Illinois), Josh Shapiro (Pennsylvanie), Andy Beshear (Kentucky) et le secrétaire aux Transports, Pete Buttigieg.
Chronique d’un retrait annoncé
Le président Joe Biden lors du débat contre Donald Trump, le 27 juin 2024
Depuis le duel oratoire du 27 juin, le président démocrate avait manifesté une détermination sans faille à rester dans la course, maintenant qu’il était le meilleur candidat pour battre un rival qu’il qualifie de danger pour la démocratie
.
Son équipe de campagne avait pris l’initiative de ce débat – qui a eu lieu trois mois avant la date habituelle –, espérant changer la trajectoire d’une course relativement statique qui semblait favoriser son adversaire.
Cependant, sa performance catastrophique l’a modifiée au-delà de ce qu’anticipaient Joe Biden et son équipe, l’amenant 24 jours plus tard à jeter l’éponge.
Dès la première portion du duel oratoire de 90 minutes organisé par CNNle politicien de 81 ans, d’une voix enrouée et faible, a bafouillé, a quelques fois marmonné, a donné des réponses confuses, a peiné à terminer ses phrases, a perdu par moments le fil de ses idées et a échoué à dénoncer les nombreux mensonges de l’ancien président républicain.
Le chœur de ceux qui l’appelaient à renoncer à briguer un second mandat grossissait de plus en plus et une trentaine d’élus avaient publiquement relayé ce message.
La semaine dernière, des fuites vraisemblablement orchestrées ont indiqué que des poids lourds du Parti démocrate doutaient tous de sa capacité à remporter l’élection de novembre ou l’avaient même encouragé directement à mettre un terme à sa campagne.
Les sources des médias américains mentionnaient ainsi Barack Obama, Nancy Pelosi et Hakeem Jeffries ainsi que le leader de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer.
Selon un sondage AP-NORC publié mercredi dernier, 70 % des électeurs américains estimaient par ailleurs que Joe Biden devait se retirer et permettre à son parti de choisir un autre candidat. La proportion est à peine plus faible chez les démocrates : 65 % espéraient avoir la chance de voter pour un autre candidat démocrate.