«Je voulais avoir une chance de vivre», le titre semble celui d’un roman. Mais les récits que rassemble ce livre, paru il y a peu aux Éditions de l’Atelier, sont authentiques. Ce sont ceux de Kaïnat, petite fille de 12 ans partie d’Afghanistan pour échapper à un grand-oncle taliban ; Youssouf, jeune Ivoirien qui connaîtra l’errance et la rue, du Mali jusqu’en France en passant par la Turquie, la Bulgarie…
Paroles rares et émouvantes de ceux qu’on a longtemps appelés les « mineurs isolés étrangers » (MIE), ces enfants et ados qui arrivent seuls en France, notamment en Ile-de-France, et censés y être accueillis et protégés sans restriction. La réalité est souvent plus difficile, et parfois génératrice de tensions.
Pour « rendre un visage à ces jeunes trop souvent réduits à un acronyme », la sociologue Noémie Paté et Jean-François Roger, directeur du pôle étranger au sein de l’association Habitat et Insertion, ont recueilli onze témoignages. «Une première en France», souligne Claude Roméo, ancien directeur de la protection des mineurs au sein de l’association France Terre d’asile, et ex-directeur de l’Enfance en Seine-Saint-Denis, qui a dirigé cet ouvrage. Il nous explique pourquoi, à ses yeux, le sujet est essentiel.
Comment est née l’idée de cetouvrage ?
CLAUDE ROMÉO. Dès 1988, j’ai vu arriver dans les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de Seine-Saint-Denis les premiers mineurs isolés étrangers du sud-est asiatique et de Chine, qui passaient par l’aéroport Charles-de-Gaulle.
Pendant 25 ans, j’ai observé l’arrivée d’enfants ayant traversé la moitié du monde. Nombreux étaient ceux qui parlaient en leur nom sans jamais leur donner la parole, d’où l’idée de cet ouvrage. C’est une première en France. Onze jeunes nous racontent l’histoire de leur vie. Je pense à Samim, jeune Afghan mandaté par les talibans pour commettre un attentat contre des militaires. Il a préféré quitter sa mère et sa famille, pour s’enfuir dans la nuit avec des passeurs, plutôt que d’aller tuer des innocents.
A-t-il été difficile de recueillir la parole de ces jeunes ?
Le traumatisme profond vécu durant leur parcours rendait ces jeunes méfiants. Cela a nécessité une mise en confiance, une prise en compte de leur culture, de leur langue. Certains craignaient des conséquences avec la police ou un risque d’expulsion. Il est forcément compliqué, avec toutes les émotions que cela soulève, de raconter un parcours aux mains de passeurs, de trafiquants qui n’hésitent à réduire certains à l’esclavage ou à la prostitution.
Leurs parcours sont très différents. Qu’ont-ils en commun ?
Comme le souligne Jacques Toubon (l’ex-Défenseur des droits)qui a rédigé la préface, ils ont en commun « la peur, mais aussi les rêves et l’espérance ». Ainsi que l’incompréhension et la déception qu’ils éprouvent face à la suspicion dont ils font l’objet. On oublie qu’il ne s’agit pas de migrants mais d’enfants, protégés par la Convention internationale des droits de l’enfant.
L’actualité montre que ces mineurs sombrent parfois dans la délinquance… Leur prise en charge est difficile. Les travailleurs sociaux de Bobigny ont récemment évoqué des menaces, des tensions…
Evitons l’amalgame entre certaines situations, médiatisées, et les 17 000 mineurs isolés reconnus comme tels en France. J’ai été choqué par les propos d’Eric Zemmour accusant les mineurs isolés d’être des voleurs et des violeurs, comme l’a rapporté votre journal.
Le véritable problème est celui de leur accueil. Sur les 42 000 qui se présentent, seuls 17 000 ont été reconnus mineurs. Certaines évaluations de l’âge s’effectuent encore à partir d’une radiographie de la main et du poignet, avec une marge d’erreur de 18 mois. La loi de 2016, qui prévoit que le doute doit bénéficier au jeune, n’est pas appliquée.
L’un des témoins du livre, Youssouf a été évalué mineur par une expertise médicale en Bulgarie, puis majeur lors d’un entretien à Paris, puis à nouveau mineur lors d’un entretien à Créteil, puis majeur lors d’une expertise médicale à Créteil, et enfin mineur lors d’une audience auprès d’un juge pour enfant !
Quelles en sont les conséquences ?
En refusant de les accueillir, les services concernés prennent la responsabilité de laisser ces jeunes dans la nature, proies faciles pour les trafiquants ou les proxénètes. Si un accueil «normal» était mis en place, conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant, nous aurions sans doute moins de problèmes. Le livre cite l’histoire de Benjamin, un jeune Camerounais arrivé en France à 15 ans, aujourd’hui en seconde année de la faculté de médecine. C’est un exemple d’intégration.
Je voulais une chance de vivre, Noémie Paté et Jean-François Roger, Editions de l’Atelier, 200 p., 16 euros.
2020-12-25 11:00:00
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