Jean-Marie Gustave Le Clézio est l’auteur d’une œuvre considérable, couronnée par le prix Nobel de littérature 2008. On lui doit L’Africain (Mercure de France, 2004), Désert (Gallimard, 1980), Ritournelle de la faim (Gallimard, 2008) ou Alma (Gallimard, 2017), des romans influencés par les nombreux voyages qui ont forgé ce qu’il appelle son « identité nomade ». A 83 ans, il a écrit un nouveau roman, Mara qui sortira bientôt aux éditions Gallimard.
Je ne serais pas arrivé là si…
… si je n’avais pas voulu coûte que coûte éviter d’aller faire mon service militaire en Algérie. J’avais 22 ans, et j’étais au bout de mes sursis. Un de mes amis venait d’être envoyé en Algérie, je faisais partie de la prochaine fournée. Alors, à l’été 1962, j’ai décidé de devenir sérieux et d’écrire très vite un roman que j’allais envoyer à un éditeur. Je me disais que ça pourrait me permettre de ne pas être enrôlé. C’était un peu absurde, presque de l’ordre de la superstition.
Comment viviez-vous cette menace de l’enrôlement ?
Beaucoup de jeunes de mon entourage étaient convoqués. Mon père était anticolonialiste, il trouvait que la France ne se comportait pas bien avec ses colonies. Je partageais son opinion. Il était hors de question pour moi d’aller faire la guerre à un peuple qui se battait pour sa liberté. Je considérais que prendre les armes ne relevait en rien d’un « devoir », mais plutôt de se soumettre à un impératif tyrannique. Des garçons que je connaissais s’étaient procuré des pistolets pour se tirer une balle dans le pied, d’autres avaient avalé du savon ou de la caféine pour baver devant le médecin et avoir l’air atrocement malades, d’autres encore jouaient la folie pour se faire réformer. Certains sont partis en Suède pour y échapper.
La France a perdu une partie de sa jeunesse avec cette guerre stupide qui a causé la mort de 500 000 personnes des deux côtés. C’était une période effrayante que l’on a un peu oubliée. Moi, pour éviter d’avoir à partir, j’ai décidé d’écrire un roman. C’était aussi un bon moyen de tromper l’angoisse. Je me suis rendu tous les jours dans le fond d’un café, à Nice, où nous vivions. Comme il faisait très chaud, j’alternais écriture et bains de mer.
Est-ce que cela a fonctionné ?
J’ai surtout eu la chance que de Gaulle sonne la fin de la guerre avec les accords d’Evian. J’ai pu finalement partir à l’étranger comme coopérant. Mais lorsque j’ai eu des problèmes en coopération, des années plus tard, le fait d’avoir publié un roman m’a sauvé la mise. J’étais en Thaïlande et j’avais révélé, dans un article publié dans Le Figaro un trafic de filles achetées dans des villages du nord du pays pour finir dans les bordels de Bangkok. J’étais militaire et, normalement, je n’étais pas censé raconter quoi que ce soit, je devais la fermer. J’ai été renvoyé en France, car j’avais failli à mon devoir de réserve. Ce qui m’attendait, c’était la caserne. Mon statut d’écrivain a été utile : les militaires ont craint que ça fasse du bruit pour rien. Ils ont finalement décidé de commuer ma sanction en m’envoyant au Mexique. Ce pays a été une découverte fondamentale pour moi.
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