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La chute d’Embracer Group : quand l’ogre vidéoludique perd son appétit

by Nouvelles
La chute d’Embracer Group : quand l’ogre vidéoludique perd son appétit

La semaine dernière, Embracer a cédé son joyau, le studio Gearbox Entertainment (Terres frontalières), à Take-Two pour 460 millions de dollars, signe du déclin d’un projet pharaonique tenté par le groupe suédois.

C’est sans doute l’une des plus mauvaises affaires du jeu vidéo. Racheté pour 1,3 milliard de dollars en 2021 par Embracer Group, Gearbox Entertainment change déjà de propriétaire, sans avoir véritablement vu un jeu apparaître sous ses nouvelles couleurs. Pour 460 millions de dollars, il passe sous bannière américaine en rejoignant le giron de Take-Two.

Voilà le dernier rebondissement dans l’histoire de l’ambitieux groupe suédois, né en 2007 sous le nom de Game Outlet Europe – changé en Embracer Group en 2019 – avec l’objectif de devenir un ténor mondial du jeu vidéo. Pour cela, Embracer avait mis au point une stratégie méticuleuse, faite de rachats de studios à gogo, dont certains de renommée internationale (THQ Nordic, Eidos Montréal, Crystal Dynamics, Deep Silver, Saber Interactive, Koch Media – devenu Plaion -, Gearbox…), de levées de fonds monumentales, d’investissements tout aussi importants.

Celui qui voulut être un ogre

Entrepreneur-né, son patron Lars Wingefors veut réussir son pari, en optant souvent pour des méthodes à contre-courant de l’industrie. Et pour cela, il applique le même principe que celui qu’il a mis en place depuis ses premiers pas dans l’entrepreneuriat à 13 ans: il achète d’occasion pour faire fructifier et revendre ensuite. Ainsi, il fonde à 16 ans en 1993 son entreprise de vente de jeux, Nordic Games, qu’il revendra à Gameplay Suède pour 7 millions d’euros à la fin des années 1990.

Son aventure dans l’industrie débute véritablement en 2009 lorsqu’il choisit de racheter un petit distributeur en déroute et d’éditer des jeux low cost, notamment Nous chantons sur Nintendo qui connaîtra un certain succès. Il acquiert JoWooD Entertainment, profite de la mort de THQ pour racheter ses licences et fonder THQ Nordic. La machine est lancée.

Entre 2010 et 2020, Embracer se construit un empire plein de promesses, faisant tomber dans son escarcelle des licences aussi connues que Île Morte, Borderlands, Tomb Raider, Deus Ex. A son apogée, le groupe cumule plus de 115 studios de développement répartis dans 10 groupes. En quelques années, il passe de 374 salariés à plus de 7000.

Embracer s’offre aussi des studios surprises comme Coffee Stain (Simulateur de chèvre, Valheim) en 2018 ou Warhorse Studios (Kingdom Come : Délivrance) et Jalon (Hot Wheels déchaînés) l’année suivante.

Embracer passe pour un groupe qui a du flair. Il signe le français DigixArt (Route 96), Royaumes 3D (Duc Nukem) et Slipgate Ironworks (Coureur fantôme). Le suédois est sur tous les fronts et propose tous les styles de jeu pour attirer un maximum de joueurs. Il multiplie les paris et les premiers sont gagnants, notamment en relançant des franchises déjà connues, en reboutiquant des jeux aux succès déjà éprouvés. Du neuf avec de l’occasion en somme.

Le retour de Lara Croft est acté avec Amazon, tout comme les droits sur l’oeuvre Le Seigneur des Anneaux. Début 2023, le groupe dépasse alors les 17.000 salariés, multipliant les annonces de jeux. Une croissance gargantuesque, une ambition démesurée. Même les analystes s’inquiètent de voir Embracer Group devenir un géant aussi vite. Son cours est multiplié par 30 en 5 ans, sa valeur grimpe de 70%.

Grandeur et décadence… ou stratégie

À se voir trop beau, Embracer s’est sans doute brûlé les ailes. À dépenser au-delà de ses capacités aussi. Car le projet a soudainement paru n’être qu’autant d’hameçons jetés à l’eau pour voir si les idées prenaient: acheter des studios et leurs projets de jeux pour voir ce qui séduisait les joueurs et s’en débarrasser en cas du contraire. Le Covid ayant contribué à retarder de nombreux projets de jeu, rien n’a tourné favorablement.

Embracer essuie alors une dette de plus de 1,5 milliard de dollars et les désillusions s’accumulent: annulation de jeux, dépenses trop élevées et Savvy Gaming Group, ambitieux investisseur saoudien désireux de mettre un pied dans le jeu vidéo, qui renonce finalement à un investissement de 2 milliards de dollars. Le château de cartes s’écroule peu à peu, avec en point d’orgue une baisse radicale en bourse (-40%). L’état de grâce est passé pour le groupe qui doit revoir tout son plan d’action.

Lars Wingefors veut avant tout rassurer ses actionnaires et ce, avant la fin mars 2024, clôture de l’exercice fiscal. Il va alors tout mettre en branle pour remettre son groupe à flots financièrement au détriment de son idéalisme vidéoludique. “Nous créons une base solide pour l’avenir avec un profil financier amélioré et une structure plus rationnelle, tout en tirant parti du potentiel de notre portefeuille diversifié,” déclarera-t-il.

Dès le mois de juin 2023, le plan de restructuration est lancé avec plus de 1 380 personnes évincées, dont près de 1200 développeurs. En quelques mois, l’ogre scandinave se déleste de 8% de ses salariés, mais ça ne suffit pas à renflouer les caisses. Embracer envisage alors la vente à la découpe de sa galaxie de studios, en ferme certains, dont Volition (Saints Row), et annule près d’une trentaine de jeux pas encore annoncés, alors qu’il en promettait 234 d’ici 2026.

Part importante du projet, Saber Interactive (Warhammer 40 000, Star Wars : remake des Chevaliers de l’Ancienne République, Star Trek : Infinite) et ses 3800 salariés répartis dans 32 studios amorcent un mouvement d’autonomie grâce à un groupe d’investisseurs privés pour 500 millions de dollars, là où Embracer avait versé 150 millions pour se l’offrir (jusqu’à 525 millions potentiellement en fonction des performances). Saber Interactive retrouve son indépendance et part avec ses 38 projets de jeux en cours, mais abandonne la licence Métro gérée par son studio 4A Games qui reste chez Embracer.

C’est désormais l’autre mastodonte du groupe, Gearbox Software, symbole de la volonté d’Embracer de s’asseoir à la table des plus grands, qui quitte le navire pour un nouveau port d’attache, 2K. Il déleste aussi Embracer de 1540 salariés.

Autrefois symbole d’une industrie en pleine expansion, Embracer Group en est aujourd’hui celui d’un mal-être du secteur et l’expression de tous ses déboires. En près d’un an, le suédois a liquidé une partie de ses actifs, mais s’est bien gardé d’éliminer des licences qui, bien exploitées, pourraient lui rapporter encore gros à l’avenir. Si Gearbox et Saber ont obtenu leur liberté, ce n’est pas sans y laisser quelques plumes au passage. L’avenir dira si la tactique d’Embracer était la bonne : mettre de l’argent avant des idées et compter sur le talent de ceux dans lesquels on investit.
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