Les citadins manifestent contre la hausse des prix du logement et la gentrification croissante, le samedi 4 novembre 2023 à ZurichImage : CLÉ DE CLÉ
La Suisse est touchée par une pénurie de logements. Les personnes à revenu élevé évincent de plus en plus les classes inférieures et moyennes de leurs lieux de résidence. Qui est responsable de cette situation? Philippe Koch, chercheur en urbanisme, propose des réponses et des solutions.
A Zoug, on trouve des loyers atteignant 7700 francs par mois, avec des logements loués à prix élevé pour des raisons fiscales, laissant peu de place pour les Suisses moins fortunés. Ce canton urbain, proche de Zurich, semble exclure les moins riches de la communauté.
Cette situation révèle de manière aiguë la disparité entre riches et pauvres dans les villes suisses, particulièrement à Zoug. Le politologue Philippe Koch, originaire de Zoug, observe depuis vingt ans le paysage urbain suisse et partage son point de vue sur la situation.
Qui est le plus touché par cette crise du logement?
Une étude récente de l’EPFZ montre que ce sont principalement les femmes, les personnes issues de l’immigration et celles à bas revenu qui sont évacuées. Ce sont pourtant ceux qui font tourner les villes et les communes: chauffeurs de bus, vendeurs, postiers, aides-soignantes. Ce phénomène est observé à l’échelle mondiale depuis les années 1980.
A propos de Philippe Koch
Philippe Koch est politologue et professeur de recherche urbaine à la Haute école des sciences appliquées de Zurich (ZHAW). Il a grandi à Inwil, dans le canton de Zoug. En privé, il milite pour un urbanisme respectueux du climat au sein du comité directeur de l’organisation environnementale «Umverkehr», indépendante de tout parti politique et spécialisée dans la politique des transports.
Quels impacts cette crise du logement a-t-elle sur la société?
Elle conduit à une division et une polarisation des espaces, mettant en difficulté surtout ceux qui ont du mal à faire entendre leur voix politiquement. Soit parce qu’ils n’ont pas le droit de vote, soit parce qu’ils ne peuvent pas s’engager politiquement.
L’aide-soignante se demande parfois comment elle tient le coup. Entre le manque de personnel soignant au travail, la recherche d’un logement en période de crise, et s’occuper de sa fille de deux ans, elle n’a pas le temps d’y penser.
En Suisse, de telles histoires brutales sont malheureusement fréquentes, révélant l’ignorance et l’arrogance de certains politiciens face aux problèmes réels des gens.
Philippe Koch, professeur de recherche urbaine à la ZHAW.Image : zvg
Les partis et politiciens sont-ils responsables de cette misère?
Oui, particulièrement dans le cas du canton de Zoug où la situation du logement est le résultat d’une décision politique délibérée de la bourgeoisie majoritaire qui a réduit systématiquement la taxation du capital, favorisant les personnes fortunées et les sociétés réalisant l’essentiel de leur chiffre d’affaires à l’étranger.
La crise du logement ne touche-t-elle que le canton de Zoug?
Non, nous assistons à l’exclusion de certaines couches de la population des villes suisses, à Bâle, Genève, Zurich, Lausanne, soulignant que ce n’est pas une pénurie générale de logements en Suisse. Ceux prêts à payer un loyer élevé trouvent toujours facilement un logement.
«Nous sommes confrontés à une crise du logement touchant un segment spécifique de la population»
Qui sont les plus touchés?
Les classes inférieures et maintenant de plus en plus la classe moyenne, voire supérieure à Zoug.
Face aux commentaires disant «que les gens n’ont qu’à aller vivre ailleurs», que répondriez-vous?
Il est légitime de se demander si seul le pouvoir d’achat devrait déterminer le lieu de vie. Le logement a des implications diverses, notamment au niveau politique et social, posant la question d’un droit à habiter un endroit précis et dans quelles conditions.
Le capitalisme repose sur l’argent. Pourtant, se loger est un besoin fondamental, pas un bien de luxe.
Effectivement. Depuis les années 1950, le sol est vu comme un investissement plutôt qu’une ressource essentielle pour le bien commun, favorisant la spéculation immobilière plus que les besoins des habitants.
Des manifestations contre la politique du logement axée sur le rendement ont également eu lieu à Bâle en 2019.Image : CLÉ DE CLÉ
Quelle était la cause de la pénurie de logements dans les années 1980 et a-t-elle été résolue depuis?
A l’époque, la pénurie de logements a suivi le crash du secteur immobilier, avec l’arrêt de la construction en Suisse. Contrairement à aujourd’hui, la pénurie des années 1980 se concentrait principalement dans les centres, pouvant être résolue en construisant en périphérie.
Donc, en créant des logements dans les agglomérations.
Exact. Cependant, aujourd’hui, il est nécessaire de construire davantage de logements dans les zones déjà habitées, posant des défis pour les quartiers existants face à la densification.
«Tous les habitants des anciens bâtiments à loyers abordables se retrouvent sans logement et ne peuvent se permettre les nouveaux logements construits.»
Cela aggrave la pénurie de logements alors que les habitants évacués cherchent à leur tour un logement. La pénurie des années 1980 était loin d’être aussi étendue que celle d’aujourd’hui.
Le conseiller fédéral Guy Parmelin a présenté un «plan d’action contre la pénurie de logements». Peut-il résoudre la crise?
C’est positif que la question du logement soit abordée au niveau fédéral. Depuis les années 1960, la Confédération a peu agi en matière de logement, laissant l’affaire aux communes et aux particuliers. Le plan d’action est donc un progrès.
Cependant, sem…