La diplomatie du Vatican envers la Chine : stratégie ou chaos ?

L’accord du Vatican avec la Chine sur la nomination des évêques devrait être renouvelé dans les prochains mois.

Alors que ce projet reste entre les mains de la Secrétairerie d’État, le pape François a ces derniers mois lancé des appels plus personnels à Pékin, lui-même et par l’intermédiaire de son « envoyé spécial pour la paix », le cardinal Matteo Zuppi.

Mais ces différents volets de la diplomatie papale forment-ils un fil conducteur commun, un ensemble cohérent de priorités et d’objectifs pour les relations du Vatican avec la Chine ? Ou fonctionnent-ils de manière isolée, donnant à Pékin un avantage par le biais de la confusion romaine ?

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Presque depuis le dernier renouvellement de l’accord entre le Vatican et la Chine en 2022, sa prolongation éventuelle pour une période supplémentaire de deux ans a été considérée comme inévitable.

Conclu pour la première fois en 2018, l’accord visait à faire émerger l’Église catholique clandestine en Chine, offrant aux catholiques une certaine tolérance de la part des autorités de l’État tout en réconciliant les évêques de l’Association catholique patriotique chinoise, soutenue par le Parti communiste, avec Rome.

L’accord devait également permettre à Rome et à Pékin de collaborer plus facilement sur la nomination de nouveaux évêques, permettant ainsi de pourvoir les dizaines de sièges vacants sur le continent.

Considéré à l’aune de ces trois objectifs, l’accord s’est avéré, au mieux, un succès mitigé au cours des six dernières années.

Loin de bénéficier de la tolérance des autorités de l’État, les évêques et les prêtres qui ont refusé de prêter serment affirmant la suprématie du Parti communiste sur les affaires de l’Église ont été harcelés, arrêtés et, dans certains cas, ont tout simplement « disparu ».

D’autre part, la réconciliation des évêques de l’APCC avec Rome, y compris ceux consacrés sans mandat papal, a été un succès, du moins dans la mesure où elle s’est produite : Rome a déclaré que ces évêques n’étaient plus irréguliers.

Cela étant dit, le rôle du Saint-Siège dans la gouvernance de l’Église locale n’est toujours pas formellement reconnu dans les réglementations juridiques de l’Église approuvées par l’État, et les évêques supérieurs de l’APCC ont exercé un niveau d’autonomie par rapport à Rome impensable ailleurs – y compris en effectuant leurs propres transferts entre diocèses.

Quant à la nomination des nouveaux évêques, le taux de consécration est resté modeste, au mieux. Plus problématique est la mécanique même de l’implication de l’État chinois dans le processus, avec une série d’évêques nommés et installés par décret unilatéral du Parti communiste, parallèlement à des nominations convenues d’un commun accord.

Encore plus problématiques, d’un point de vue ecclésiologique, ont été les mesures prises par le Parti pour réorganiser les structures de l’Église, supprimant des diocèses et en érigeant de nouveaux sans reconnaissance romaine.

Étant donné les progrès limités, voire régressifs, de l’accord sur ses propres termes supposés – apporter la stabilité institutionnelle à l’Église en Chine et prévoir la consécration licite de nouveaux évêques – il semble difficile d’argumenter de manière crédible en faveur de son succès, et encore moins de son renouvellement.

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Pourtant, depuis plusieurs années, le Secrétariat d’État du Vatican a clairement indiqué que le renouvellement de l’accord Vatican-Chine était essentiellement une formalité et une conclusion acquise d’avance, même si ses hauts diplomates en ont parlé dans des termes de plus en plus francs et tristes.

Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État, et l’archevêque Paul Gallagher, chef de la diplomatie du Vatican, ont tous deux clairement affirmé que le pape François était totalement engagé en faveur du renouvellement de l’accord entre le Vatican et Pékin, malgré les violations apparentes de ses normes. Et en tant que service diplomatique du pape, le secrétariat du Vatican va nécessairement suivre la politique papale choisie.

Mais, même en tenant compte de l’enthousiasme personnel du pape pour cet accord, il semble clair que celui-ci ne sera pas renouvelé pour ses propres objectifs déclarés. Il semble plutôt que le renouvellement de l’accord Vatican-Chine soit devenu une sorte de concession régulière de Rome à Pékin dans le cadre de la poursuite par le Vatican d’objectifs plus vastes.

La question urgente semble être : ces objectifs sont-ils cohérents ou atteignables ?

Ces derniers mois, le cardinal Parolin s’est montré très clair quant à l’objectif stratégique plus vaste, longtemps caressé par le Vatican, de rétablir une présence permanente du Vatican sur le continent chinois.

Sensible à l’opinion du gouvernement chinois selon laquelle la religion est une force extérieure dangereuse contre le régime du Parti communiste – une opinion qui motive sa répression de la religion à la fois sur le continent et de plus en plus à Hong Kong – le cardinal a articulé une vision pour une « diplomatie sans diplomatie » et une volonté de rendre l’Église en Chine plus chinoise comme voie pour faire progresser son travail missionnaire.

Ces deux évêques ont été traités à leur arrivée avec scepticisme dans certains coins de la presse catholique, étant perçus comme des agents potentiels du PCC, mais tous deux ont fini par faire un geste raisonnablement manifeste d’indépendance en dépassant la durée de leur visa de sortie de Chine.

Mais si la rhétorique de « pas de diplomatie » de Parolin pourrait rendre l’approche de Pékin plus acceptable, la réalité est que la Chine continuera à considérer le Vatican, d’abord et avant tout, comme un acteur diplomatique et l’Église comme une force potentiellement séditieuse.

Dans ces conditions, la patience de Rome face aux violations flagrantes de la souveraineté interne de l’Église pourrait être considérée comme une sorte de tolérance pragmatique, plutôt que comme une simple acceptation impuissante. Mais toute avancée institutionnelle permanente, comme l’établissement d’une sorte de délégation apostolique sur le continent, nécessitera probablement une concession diplomatique tout aussi permanente – très probablement la rupture des liens entre le Saint-Siège et Taiwan, un problème auquel Taipei est depuis longtemps attentif.

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Si l’on considère uniquement le niveau des négociations formelles, il est peu probable que Rome ou Pékin soient suffisamment directs dans leurs discussions limitées et hors scène pour suggérer un échange aussi explicite d’objectifs diplomatiques.

Dans le cas de Pékin, il est probable que se montrer trop désireux de perturber les liens formels entre le Saint-Siège et Taiwan, au point d’offrir une tête de pont physique au Vatican sur le continent, serait considéré comme une démonstration de faiblesse par rapport à Rome.

Pour le Vatican, à l’inverse, même l’idée crédible qu’il soit prêt à céder son soutien à Taiwan en échange d’un gain symbolique sur le continent le ferait paraître dangereusement impitoyable dans ses machinations diplomatiques – amenant les prélats d’Asie du Sud-Est qui ont été publiquement hostiles à la Chine, comme le cardinal Charles Muang Bo de Birmanie et le cardinal Ignatius Suharyo Hardjoatmodjo de Jakarta, à se demander exactement combien (et avec qui) Rome pourrait être prête à négocier pour progresser avec Pékin.

Mais si aucune des deux parties ne semble susceptible d’atteindre ses objectifs diplomatiques les plus concrets avec l’autre, du moins dans un avenir prévisible, quels sont exactement les enjeux actuels ?

L’année dernière, le pape François a annoncé qu’il avait chargé le cardinal italien Matteo Zuppi d’être son envoyé personnel pour la paix, à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine. Depuis, Zuppi a élargi son rôle à l’échelle mondiale, en s’étendant au-delà de la crise ukrainienne pour englober d’autres zones de tension, comme le Moyen-Orient.

Le cardinal dispose d’une telle latitude dans son rôle d’envoyé personnel du pape qu’il a déjà effectué des voyages à Moscou, Kiev, Washington, en Cisjordanie et à Pékin.

Les missions itinérantes de Zuppi ont donné à de nombreux membres du département diplomatique du Vatican le sentiment qu’il était devenu de facto un pôle alternatif du pouvoir diplomatique à Rome, menant des négociations et tenant des pourparlers sans en référer au département d’État.

Et compte tenu de ses contacts directs réguliers avec les responsables du ministère chinois des Affaires étrangères, il semble plus que probable que Zuppi soit devenu un canal alternatif de négociations entre le Vatican et la Chine. Bien qu’il ne soit possible que de spéculer sur les « autres » sujets dont il aurait pu discuter la semaine dernière avec Li Hui, il est extrêmement probable qu’il aurait à nouveau mentionné le désir pressant du pape François de se rendre lui-même en Chine, ce que le pape a également répété la semaine dernière.

Le rôle unique de Zuppi et l’ambition un peu plus modérée de François de se rendre en Chine pourraient constituer un front alternatif intéressant et viable pour les progrès du Vatican avec la Chine, et un front dans lequel les propres ambitions de la Chine pourraient être plus facilement prises en compte.

Sous la présidence de Xi Xinping, la Chine a clairement exprimé sa volonté de rééquilibrer l’ordre géopolitique mondial vers un monde plus multipolaire, dans lequel Pékin représente un contrepoids égal à Washington.

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Pour la Chine, l’invasion russe de l’Ukraine a été une occasion de renforcer son influence dans les affaires occidentales, en se présentant à la fois comme un allié potentiel et un frein à la Russie. Au-delà, la Chine a dépensé des sommes considérables, financières et diplomatiques, pour renforcer son influence via l’initiative « Belt and Road ».

Dans nombre de ces régions et de ces théâtres diplomatiques, le Vatican reste une voix influente – et son traitement de la Chine comme point de référence nécessaire dans la diplomatie mondiale constitue une victoire réelle et relativement facile à réaliser pour Pékin.

La question est de savoir si Zuppi est conscient de cela et coordonne ses efforts avec le département du cardinal Parolin dans une sorte d’approche diplomatique à plusieurs volets envers la Chine, ou s’il agit sans aucun égard réel pour les efforts diplomatiques plus formels ailleurs au sein du Vatican.

Si c’est le cas, les intentions du pape François concernant le travail du cardinal deviennent cruciales.

Si le pape poursuit effectivement une stratégie délibérée à deux voies avec la Chine, il s’agirait d’un pari diplomatique à très gros enjeux, ordonnant de fait à son propre département d’État de perdre du terrain et de perdre la face dans les négociations sur le statut de l’Église institutionnelle en Chine, dans l’espoir d’une victoire de soft power sous la forme d’un voyage papal en Chine continentale.

Laissant de côté la question de savoir dans quelle mesure cet objectif est réalisable, les bénéfices qu’un tel voyage pourrait rapporter dépendraient en grande partie des ambitions personnelles du pape François.

Il est possible que François espère une sorte de moment diplomatique déterminant, une sorte d’ouverture nixonienne de la Chine à l’Église, en pariant sur son charisme personnel pour gagner les apparatchiks du parti aux objectifs à long terme de la Secrétairerie d’État.

Bien sûr, il est également possible que le pape espère une arrivée plus évangélique et transformatrice en Chine, quelque chose dans le modèle du retour de saint Jean-Paul II en Pologne en 1979 – souvent considéré comme ayant donné naissance au mouvement Solidarité et à la chute éventuelle du communisme dans ce pays.

Si tel est le cas, et s’il y parvient, François pourrait devenir une figure marquante, au même titre que son prédécesseur.

Mais il est aussi possible que François ne poursuive aucune stratégie cohérente. Il pourrait plutôt considérer la Chine comme un problème trop vaste pour être résolu par une seule idée ou un seul plan.

Si tel est le cas, Francis, Zuppi et Parolin pourraient se retrouver tous dépassés à la table diplomatique, dépensant séparément les quelques jetons dont ils disposent pour jouer jusqu’à ce que la maison prenne tout.

2024-08-20 00:01:08
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