La duplication 3D sur les plateaux de cinéma : Les figurants inquiets d’être “utilisés sans le savoir”

Un fond vert, une multitude de clichés… La technologie de duplication 3D se répand de plus en plus sur les plateaux de cinéma. Les acteurs s’inquiètent d’être “utilisés sans le savoir” et de contribuer au déclin de leur profession, déjà menacée par l’avènement de l’intelligence artificielle. Il est presque 2 heures du matin en cette fin août. Vêtu comme un bourgeois du XIXe siècle, Lucien participe au tournage du prochain film “Le Comte de Monte-Cristo”, une superproduction de Pathé basée sur l’œuvre d’Alexandre Dumas. Après plus de quatre heures de tournage, le groupe de figurants dont il fait partie peut faire une pause. Somnolant, l’acteur est abordé par un photographe. Habitué à poser en costume, Lucien joue le jeu. Cette fois, il doit avoir un visage neutre devant un écran vert. “Des autocollants avaient été collés, il me les indiquait en me disant : ‘Regarde ce point-là’. Il m’a également demandé de lever les bras.” Ces poses inhabituelles suscitent suffisamment d’inquiétude chez Lucien pour qu’il interroge le photographe : “Il m’a répondu que c’était pour créer des doublures numériques, pour les effets spéciaux. J’ai demandé si c’était pour ce film. Il m’a assuré que oui.” Lucien craint davantage d’être “utilisé sans le savoir” et découvre que la “copie 3D” pourrait être utilisée dans d’autres films. Selon lui, une dizaine d’autres figurants ont participé à cette séance sans avoir été informés de la “véritable utilisation de ces images”. Astrid raconte avoir vécu la même expérience lors du tournage d’un biopic sur le général de Gaulle, également produit par Pathé. Après une journée de travail de quatorze heures sous la pluie, lorsque les décors commencent à être démontés, les figurants sont informés qu’il leur reste des choses à faire. Une petite tente blanche avec un appareil photo est désignée, derrière laquelle se trouve un écran vert, raconte l’actrice. Selon elle, les responsables sur place s’assuraient que tout le monde y passe. Astrid accepte, mais s’étonne d’être photographiée debout, les bras écartés horizontalement. “Au sol, il y avait une croix et on devait pivoter à 360 degrés autour, le visage immobile, les pieds écartés”, observe cette ancienne graphiste en reconversion. “Quand on demandait à quoi ça allait servir, les responsables de la figuration nous répondaient que c’était pour créer une foule plus nombreuse. Mais il fallait aller les voir et leur demander.” L’actrice a ensuite exigé que les images soient effacées. “Je me disais : ‘Maintenant qu’ils m’ont créée en 3D, ils vont pouvoir me mettre absolument partout'”, explique-t-elle. Près de deux mois après le tournage, elle n’a toujours pas reçu de garantie de la production. Pathé confirme que des scans ont bien été réalisés lors des tournages du film “De Gaulle” et du “Comte de Monte-Cristo” afin de créer des foules plus importantes, sans préciser combien de figurants ont été numérisés de cette façon. Sur une autre production, Olivier a également été “scanné” sans en avoir été informé au préalable. Pour les besoins d’une série diffusée par une plateforme américaine, il a été convoqué en septembre 2022 pour une “séance d’essayage d’époque”. Il devait être habillé, maquillé et coiffé selon les besoins du tournage. “Ils m’ont dit : ‘Suivez-nous au scan’. Quatre ou cinq autres figurants attendaient déjà dans cette salle sombre. Deux techniciens américains nous ont mis tour à tour sur une croix et 250 appareils photo nous ont flashés simultanément, bras baissés, puis levés pendant 30 secondes, avant que nous soyons remerciés”, se souvient-il. Sur le moment, Olivier n’a rien dit, mais avec une année de recul, il considère le manque de transparence comme “problématique”. “Il n’y a aucune communication”, déplore-t-il. L’absence de transparence est également ce qui frappe Nathalie de Médrano, membre de l’Association des chargés de figuration et de distribution artistique. Cette professionnelle, chargée de recruter des figurants, affirme avoir été contactée dès le mois de juin par des figurants ayant été scannés. En quatre mois, l’association a recueilli une douzaine de témoignages similaires à ceux de Lucien, Astrid et Olivier. “Ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est qu’il n’y a aucune communication de la part des productions. Elles présentent cela comme quelque chose d’acquis, de normal et de naturel”, déclare-t-elle. Les producteurs du film “Le Comte de Monte-Cristo” ont utilisé cet argument pour répondre à Lucien, qui demandait la suppression des images. “La prise de photographies devant un fond vert, comme cela a été fait avec vous, est une technique très courante en matière d’effets spéciaux dans la préparation et le tournage des films”, explique l’un des producteurs dans un e-mail consulté par Franceinfo. “Ces photographies sont réalisées dans le seul but de créer des effets visuels pour augmenter l’importance des foules en arrière-plan des scènes du film (…), dans lesquelles aucun visage n’est utilisé ni identifiable à l’écran.” “Cela fait des années que cette technique est utilisée.” “Il y a de nombreux films où cela se fait”, confirme Antoine Moulineau, superviseur des effets visuels chez Light, une société qui intervient notamment sur le prochain film “Napoléon” de Ridley Scott. Il utilise lui-même cette technique depuis au moins 1999. Grâce à la numérisation des silhouettes de 300 figurants, la société d’Antoine Moulineau peut en créer 50 000, assure-t-il. Ce spécialiste des effets spéciaux confirme toutefois que ces doublures numériques peuvent être utilisées dans d’autres films, comme le redoutent les figurants interrogés par Franceinfo. Dans ce cas, selon lui, les acteurs auraient beaucoup de mal à se reconnaître à l’écran car les visages sont peu identifiables et les vêtements sont “échangés” d’une silhouette à l’autre pour “apporter de la variation” dans la foule. Un membre de la production chez Pathé admet qu’il faut être “plus transparents sur la manière dont ces images sont utilisées et stockées et
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