Lorsque l’on pense aux coulisses du football, on pense aux “Femmes de footballeurs”. Cependant, “La fièvre” n’a rien à voir avec le glamour de la série britannique. Le ballon rond n’est qu’un prétexte pour expliquer comment, à partir du dérapage d’un joueur racisé, une guerre civile pourrait embraser la France.
Un soir de remise de prix, tout le gratin du football français est réuni avec l’idée de récompenser le meilleur joueur de l’Hexagone, Fodé Thiam (Alassane Diong). Alors que la soirée arrive à son terme sans que l’intéressé n’ait glané le moindre trophée, il dérape et y va d’un violent coup de tête adressé à son entraîneur, accompagné de l’insulte: “Sale toubab!”
La vidéo de l’incident tourne en boucle sur les réseaux sociaux. Il n’en faut pas plus pour que la fachosphère s’emballe et crie à l’acte raciste antiblanc commis par un joueur racisé. En face, les indigénistes tentent aussi de récupérer politiquement le fait divers.
Spécialiste en gestion de crise
Dans le club de foot du joueur, le Racing, l’incompréhension demeure. Pour gérer l’affaire, une entreprise spécialisée en gestion de crise entre en piste. Sam (Nina Meurisse), communicante de talent, prend les choses en main. Elle interdit formellement au président du club (Benjamin Biolay) et à tous les concernés de réagir publiquement.
Il faut d’abord scruter les réseaux sociaux, passer à la loupe les unes des journaux et réagir en conséquence, décider qui envoyer sur les plateaux télé, organiser une conférence de presse et publier un communiqué en temps voulu. La rareté étant le moteur du désir, lorsqu’une annonce du club sortira, elle aura plus de poids qu’une publication lâchée à la va-vite et noyée dans la masse.
Souffler sur les braises
La stratégie est à peine définie qu’une voix sort de la mêlée et ne cesse d’attaquer. Marie Kinsky (Ana Girardot), polémiste humoriste flirtant avec l’extrême droite, profite de l’aubaine pour attiser la haine. Les deux femmes, Sam et Marie, ex-collègues, vont se livrer un combat sans merci à distance pour orienter une opinion publique largement influencée par les médias et les réseaux.
Après l’excellente série “Baron noir” portée par Kad Merad, l’auteur Eric Benzekri se penche au chevet des fractures identitaires qui divisent la société française. Dans un contexte agressif sur le sujet, il écrit un scénario malin, très bien documenté et parvient en six épisodes haletants à démontrer comment un sujet tabou tel que la vente libre d’armes à feu en France peut s’inviter dans le débat public sans que personne ne s’en offusque.
La manipulation des masses
À partir d’un coup de boule d’un joueur de foot, il suffit donc de manipuler les masses grâce au net, à la télé, à la presse. La seule contre-attaque possible est de changer d’espace passionnel, de sortir du racisme pour déplacer l’incident sur le plan sportif, un simple différend entre entraîneur et joueur. Pas facile!
Dans un premier temps, “La fièvre” fonctionne comme “Scandale”, dans lequel l’avocate Olivia Pope, au service de la Maison-Blanche, passe son temps à désamorcer des bombes à chaque épisode. Ici, Sam doit régler des crises nouvelles, trouver des solutions en même temps qu’elle doit régler sa propre crise existentielle: HPI, mère célibataire, trop lucide, dépressive, elle parvient à renvoyer dos à dos racistes et racisés, deux clans ayant recours aux mêmes méthodes et suivant la même logique.
Toute polémique est bonne à prendre
Tous deux ne cherchent qu’à augmenter leur fichier client. La règle en politique consiste en effet à le faire croître pour occuper une place prépondérante dans le débat public. Toute polémique est ainsi bonne à prendre et tant pis si la bataille est perdue, tant que le nombre de sympathisants augmente.
Si sur le fond “La fièvre” est une démonstration brillante, sur la forme Ziad Doueiri, le réalisateur de “Baron noir” n’est pas en reste. Pour cette série tournée comme un thriller, il peut s’appuyer sur un casting remarquable, notamment Ana Girardot, alias Marie la narcissique, devenue une dangereuse fasciste sans doute par opportunisme. Populisme et racisme sont les mamelles d’un séisme à venir qu’elle encourage, instrumentalisant son public, en particulier des hommes politiques, pour parvenir à ses fins.
Philippe Congiusti/mh
“La fièvre” de Ziad Doueiri, série en six épisodes à voir sur Canal+ et sur MyCanal depuis le 18 mars 2024.
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