La maladie d’Alzheimer : une perturbation du neurodéveloppement à manifestation tardive

La maladie d’Alzheimer : une perturbation du neurodéveloppement à manifestation tardive

Et si la maladie d’Alzheimer laissait sa marque sur l’embryon ? Khadijeh Shabani et ses collègues de l’équipe “Développement du cerveau” dirigée par Bassem Hassan (Inserm) à l’Institut du Cerveau ont découvert que la protéine précurseur de l’amyloïde (APP) joue un rôle biologique spécifique dans le neurodéveloppement. Elle retarde le début de la neurogenèse, c’est-à-dire la différenciation des cellules souches en différentes lignées de cellules nerveuses. Des perturbations subtiles de ce mécanisme pourraient, chez certains individus, entraîner des vulnérabilités qui ne se manifestent qu’à l’âge adulte après plusieurs décennies de stress biologique. La maladie d’Alzheimer pourrait alors être considérée comme un trouble du neurodéveloppement, avec une manifestation particulièrement tardive.

La neurogenèse dans le cortex cérébral, c’est-à-dire la formation de cellules nerveuses à partir de cellules souches, commence chez le fœtus à partir de 5 semaines de gestation et est presque terminée vers 28 semaines. Il s’agit d’un processus complexe régulé de manière précise. “Chez l’humain, la neurogenèse dure particulièrement longtemps par rapport à d’autres espèces”, explique Khadija Shabani, post-doctorante à l’Institut du Cerveau. “Les cellules souches neurales restent à l’état de cellules progénitrices pendant une période prolongée. Elles ne se différencient que tardivement en cellules gliales, astrocytes ou oligodendrocytes, qui forment l’architecture du cerveau et de la moelle épinière.” Jusqu’à présent, les chercheurs ignoraient comment cet équilibre entre la prolifération des cellules souches et leur différenciation en plusieurs types cellulaires était régulé. Et surtout, s’ils pouvaient être à l’origine de vulnérabilités propres à notre espèce, telles que les maladies neurodégénératives.

Pour mieux comprendre comment notre cerveau se forme pendant cette période critique, les chercheurs de l’équipe “Développement du cerveau”, dirigée par Bassem Hassan à l’Institut du Cerveau, ont mené des recherches. L’APP, chef d’orchestre de la production neuronale, a été examinée de près. “Nous nous sommes intéressés à la protéine précurseur de l’amyloïde, ou APP, qui est exprimée de manière très importante tout au long du développement du système nerveux”, explique Bassem Hassan. “Elle joue un rôle intéressant dans la recherche car sa fragmentation produit les fameux peptides amyloïdes, dont l’agrégation toxique est associée à la mort neuronale observée dans la maladie d’Alzheimer. Nous soupçonnons donc que l’APP pourrait jouer un rôle central dans les premières phases de la maladie.” Dans de nombreuses espèces, l’APP est impliquée dans divers processus biologiques, tels que la réparation des lésions cérébrales, la réponse cellulaire après une privation d’oxygène ou un AVC, ou encore le contrôle de la plasticité cérébrale. Elle est fortement exprimée pendant la différenciation et la migration des neurones corticaux, ce qui suggère un rôle important dans la neurogenèse. Mais qu’en est-il chez l’humain ?

Pour suivre l’expression de l’APP au cours du développement du cerveau humain, les chercheurs ont utilisé des données issues du séquençage de cellules obtenues chez le fœtus à 10 semaines, puis à 18 semaines de gestation. Ils ont observé que la protéine était d’abord exprimée dans 6 types cellulaires, puis, quelques semaines plus tard, dans pas moins de 16 types cellulaires. Ils ont ensuite créé des cellules souches neurales dans lesquelles l’APP n’était pas exprimée grâce à la technique des ciseaux génétiques CRISPR-Cas9, puis ont comparé ces cellules génétiquement modifiées avec les cellules normales. “Cette comparaison nous a fourni des données précieuses”, explique Khadijeh Shabani. “Nous avons observé que en l’absence d’APP, les cellules souches neurales produisaient beaucoup plus de neurones, plus rapidement, et avaient moins tendance à proliférer en tant que cellules progénitrices.” Plus précisément, l’équipe a montré que l’APP était impliquée dans deux mécanismes génétiques clés : la signalisation WNT canonique, qui contrôle la prolifération des cellules souches, et l’activation AP-1, qui déclenche la production de nouveaux neurones. En agissant sur ces deux leviers, l’APP peut réguler la temporalité de la neurogenèse.

Si la perte de l’APP accélère considérablement la neurogenèse chez l’humain, ce n’est pas le cas chez les rongeurs. “Dans les modèles murins, la neurogenèse est déjà très rapide – trop rapide pour que la privation d’APP puisse l’accélérer davantage. On peut imaginer que le rôle régulateur de cette protéine est négligeable chez la souris, tandis qu’il est essentiel dans le neurodéveloppement de notre espèce : pour que notre cerveau se forme, il doit générer d’énormes quantités de neurones pendant une période très longue et selon un schéma bien précis. Des anomalies liées à l’APP pourraient donc entraîner une neurogenèse prématurée et un stress cellulaire important, dont les conséquences seraient visibles plus tard”, propose Bassem Hassan. De plus, les régions du cerveau où apparaissent les premiers signes de la maladie d’Alzheimer sont celles dont la maturation est la plus longue pendant l’enfance et l’adolescence.

Et si la temporalité de la neurogenèse humaine était directement liée aux mécanismes de la neurodégénérescence ? Même si le diagnostic des maladies neurodégénératives est généralement posé entre 40 et 60 ans, les chercheurs estiment que les signes cliniques apparaissent plusieurs décennies après le début du déclin de certaines connexions et populations neuronales. Cette perte de connectivité serait elle-même le reflet d’anomalies présentes à l’échelle moléculaire dès l’enfance, voire plus tôt. De nouvelles études seront nécessaires pour confirmer que l’APP joue un rôle central dans les perturbations du neurodéveloppement qui prédisposent à la maladie d’Alzheimer. Dans ce cas, on pourrait considérer que “ces perturbations conduisent à la formation d’un cerveau qui fonctionne normalement à la naissance, mais qui est particulièrement vulnérable à certains événements biologiques, tels que l’inflammation, l’excitotoxicité ou les mutations somatiques, ainsi qu’à certains facteurs environnementaux tels que l’alimentation, le sommeil, les infections, etc.”, conclut le chercheur. Avec le temps, ces différents stress pourraient entraîner une neurodégénérescence, un phénomène propre à l’espèce humaine et de plus en plus visible en raison de l’augmentation de l’espérance de
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