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Roula Khalaf, rédactrice en chef du FT, sélectionne ses histoires préférées dans cette newsletter hebdomadaire.
Le pari d’Emmanuel Macron de convoquer des élections législatives anticipées semble de plus en plus téméraire. Au premier tour, une majorité des électeurs français ont répudié le président et le réformisme centriste qu’il incarne depuis sept ans ; un tiers des votants ont voté pour le Rassemblement national de Marine Le Pen, un parti d’extrême droite, avec un taux de participation exceptionnellement élevé. Un parlement sans majorité absolue reste l’issue la plus probable après le second tour de dimanche prochain. Mais le RN a une chance d’obtenir la majorité absolue – mettant en péril les valeurs de la République française et provoquant des répercussions à travers le continent. Les adversaires du RN pourraient encore être en mesure d’empêcher un tel résultat.
Il n’existe pas de bonnes options pour la France aujourd’hui. Mais la pire serait un gouvernement majoritairement RN. Certains estiment que soumettre le mouvement extrémiste aux réalités du gouvernement le révélerait tel qu’il est. En effet, Macron semblait parier en partie que si cela conduisait à un gouvernement dirigé par le RN, le président serait en mesure de dénoncer ses excès – et les électeurs seraient dissuadés de soutenir Le Pen pour lui succéder en 2027.
Pourtant, malgré les efforts de Le Pen pour « détoxifier » le RN, les électeurs français ne doivent pas se faire d’illusions sur ce qu’il représente. Il est issu du côté obscur de la tradition politique française, dont les instincts sont autoritaires et nationalistes. Il est construit sur des racines racistes ; ses politiques sur l’immigration et la « préférence nationale », qui visent à favoriser les citoyens français par rapport aux étrangers en matière de logement social et d’aide sociale, sont source de division et de racisme.
Jordan Bardella, 28 ans, qui veut devenir Premier ministre du RN, a déclaré la semaine dernière au Financial Times qu’il comptait mener une « bataille culturelle » contre l’islamisme. Lui et Marine Le Pen, qui ont par le passé affiché des sympathies pro-russes, ont fait savoir qu’ils remettraient en cause l’autorité du président en matière de politique étrangère.
L’idéal serait que les centristes de Macron et le Nouveau Front populaire (NFP) de gauche nouvellement formé s’entendent sur un Premier ministre de centre-gauche et empêchent le RN d’accéder au pouvoir. Cela présenterait également des dangers. Le NFP propose également des politiques de dépenses élevées qui risqueraient de faire exploser les finances de la France. Les marchés sont aussi nerveux à l’égard de l’extrême gauche que de l’extrême droite.
Une alliance entre les centristes et l’alliance de gauche pourrait ne pas être en mesure de gouverner efficacement avec Macron. Les électeurs du RN en colère pourraient se sentir ignorés et, comme les partis d’extrême droite prospèrent dans le chaos, cela pourrait ouvrir la porte à Le Pen en 2027. Les risques sont néanmoins moindres que ceux de confier les clés du gouvernement au RN dès maintenant, et un tel résultat permettrait de gagner du temps pour commencer à reconstruire le centre.
Dans les circonscriptions où le RN peut être battu au second tour, les centristes de Macron et le NFP devront agir de manière tactique. Chacun devrait accepter de se retirer des centaines de scrutins à trois où l’autre a de meilleures chances de l’emporter, et appeler leurs partisans à soutenir l’autre camp dans des scrutins à deux tours avec le RN.
Certains, dans le camp de Macron, préconisent, à juste titre, un retrait tactique uniquement face aux adversaires « républicains » – et non pas face à ceux de la France insoumise, le parti d’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon. Anticapitaliste et eurosceptique, Mélenchon a minimisé l’antisémitisme en France. Heureusement, la LFI n’est pas en mesure de prendre le pouvoir à elle seule, mais il faudra se tenir le nez. Sans elle, le RN pourrait avoir suffisamment de soutien pour obtenir une majorité.
L’implosion du macronisme est regrettable pour la France, l’Union européenne et les démocraties occidentales. Le président lui-même porte une grande part de responsabilité : son style autoritaire et certaines réformes nécessaires, quoique impopulaires, ont fait fuir les électeurs, même si les causes du malaise français sont plus profondes. Ces élections ne résoudront pas les problèmes de la France et pourraient même les aggraver. Les responsables politiques doivent néanmoins veiller à ce que ces élections ne mettent pas en péril la démocratie libérale qui règne en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.