La pénurie de main-d’œuvre et la complexification des services publics nourrissent le cynisme envers l’appareil gouvernemental

La pénurie de main-d’œuvre et la complexification des services publics nourrissent le cynisme envers l’appareil gouvernemental

J’ai deux enfants et jamais, durant toute leur scolarité, je ne me suis préoccupé de savoir si des enseignants qualifiés seraient là pour leur enseigner le français et les mathématiques. Aujourd’hui, certains parents se posent cette question. Est-ce que nous allons nous habituer à cette nouvelle réalité, tout comme nous nous sommes habitués au fait qu’il est pratiquement miraculeux d’obtenir un rendez-vous avec notre médecin de famille dans un délai raisonnable ? Dans mon entourage, les gens deviennent de plus en plus cyniques lorsqu’ils racontent leurs expériences avec les différents ministères et organismes gouvernementaux. Ils se plaignent des attentes interminables, des boîtes vocales à options infinies, des hôpitaux qui exigent encore des fax, des dossiers d’immigration qui ne se débloquent pas… On se demande si on ne nous complique pas volontairement la vie. Et je ne parle même pas de la détérioration de certaines écoles, routes et hôpitaux. Lorsque de plus en plus de citoyens s’adressent aux médias pour régler leurs problèmes avec l’appareil gouvernemental (oui, j’appelle Paul Arcand !), cela signifie qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Est-ce la faute de la pénurie ? Un homme handicapé se voit privé d’un de ses deux bains hebdomadaires auxquels il a droit. C’est une décision du CISSS. Sa mère, une femme de 70 ans qui est l’aidante principale de son fils, prend le relais, au risque de se blesser. Elle ne veut pas que son fils perde sa dignité. C’est l’un des cas rapportés dans le rapport annuel du Protecteur du citoyen, qui est intervenu auprès des instances concernées. Résultat : le deuxième bain a été rétabli. L’année dernière, près de 50 000 personnes ont contacté le Protecteur du citoyen pour toutes sortes de motifs. Et à juste titre : lorsque cette institution intervient, le problème est presque toujours résolu comme par magie. Ne dites pas à Me Marc-André Dowd, protecteur du citoyen, qu’il faut se résoudre à la disparition de services essentiels en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Il rejette cet argument. Lorsqu’un restaurant ferme les mardis et mercredis en raison de la pénurie de main-d’œuvre, on peut parler de fatalité. Mais lorsque nous parlons de services publics de base, surtout pour des personnes vulnérables, cette attitude n’est pas acceptable. En d’autres termes, la pénurie de main-d’œuvre est souvent utilisée comme excuse, mais il y a des limites à blâmer tous les échecs du système sur cela. Éric Bélanger, professeur titulaire au département de science politique de l’Université McGill, observe que la gestion des services gouvernementaux est devenue plus complexe. “Depuis la Révolution tranquille, l’État a pris en charge de plus en plus de missions et a offert de plus en plus de services.” Parallèlement, nous assistons à une bureaucratisation des services publics. “Un appareil entier s’est développé, ce qui rend la prestation de services plus compliquée et difficile”, dit-il. “La pandémie a révélé que nos méthodes n’étaient pas aussi efficaces que nous le pensions”, ajoute M. Bélanger. Nous subissons encore les répercussions de cette crise. Il est possible que cela finisse par s’atténuer, mais nous pourrions aussi nous diriger vers la fin d’un modèle de gouvernance.” Comment en sommes-nous arrivés là ? En plus de la pénurie de main-d’œuvre et de la complexification de l’appareil étatique, il faut également prendre en compte la démission de la population active, qui explique en partie le manque de ressources. Myriam Moore, chercheuse à l’Institut de recherche et d’information socio-économiques, rappelle que la crise que nous traversons était prévisible. La pénurie de main-d’œuvre est un sujet dont nous discutons depuis longtemps. L’Institut de la statistique du Québec et Statistique Canada ne sont pas là pour rien. Nous devons admettre que nous avons manqué de vision,” déclare-t-elle. La pénurie d’enseignants dans les écoles au Québec peut menacer la réussite scolaire des élèves. “Nous avons été compréhensifs envers la SAAQ ou le bureau des passeports, mais lorsqu’il s’agit d’une pénurie d’enseignants dans nos écoles, c’est bien plus grave”, estime Stéphane Paquin, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique. Le problème est, selon lui, que “au Québec, nous n’utilisons pas les données scientifiques, nous ne réfléchissons pas à long terme. Et entre les crises, nous ne nous évaluons pas”. M. Paquin a une bonne connaissance de la société suédoise (oui, encore la Suède!). “Là-bas, dit-il, ils cherchent toujours à s’améliorer. Or, la culture de l’évaluation n’est pas entrée au Québec. Les pouvoirs de notre Vérificateur général sont limités et les commissions parlementaires travaillent dans l’urgence. Le cas classique au Québec est une commission qui repousse les problèmes, et lorsque le rapport est terminé, il est enterré en grande pompe.” Sommes-nous en partie responsables ? Je me suis demandé si cette impression de crise perpétuelle était due, en partie, au fait que nous sommes plus impatients, plus exigeants. “Il est vrai que l’augmentation du niveau d’éducation fait que nous sommes mieux informés et capables de porter des jugements plus sensibles sur l’état de la gouvernance”, note le professeur Éric Bélanger, qui estime que l’environnement médiatique et technologique oblige le gouvernement à rendre des comptes en permanence. “Les citoyens sont plus critiques et il est plus difficile de gouverner”, ajoute-t-il. Guylaine Saucier, présidente du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), est du même avis. “Les progrès technologiques de communication ont tellement progressé ces dix dernières années que nous sommes informés instantanément de tous les problèmes, ce qui ne contribue pas à une perception positive.”

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