La peur du silence : quand les artistes hésitent à prendre la parole

La peur du silence : quand les artistes hésitent à prendre la parole

Temps de lecture: 4 min “Nous avons marché ensemble, pleuré ensemble, chanté ensemble… Votre silence fait mal.” Quelques jours après l’attaque terroriste en Israël, la chanteuse Keren Ann s’interroge dans un message posté sur ses réseaux sociaux: “Pourquoi est-ce si difficile pour vous de nous soutenir?” Même cri du cœur du producteur et animateur Arthur sur son compte Instagram: “À mes amis artistes, comédiens, chanteurs. Humoristes, sportifs […] Ne restez pas silencieux, arrêtez d’avoir peur. […] Votre silence les tue une seconde fois.” Depuis les terribles événements en Israël et à Gaza, les personnalités ayant pris la parole publiquement dans les médias ou sur leurs réseaux sociaux semblent fébriles et marchent sur des œufs. Au point que sur BFMTV, un sujet a même été consacré à “ces stars que l’on entend moins pour Israël”. Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article! Je m’abonne Aujourd’hui, peu nombreux sont les artistes à prendre la parole et à s’en sortir indemnes. Pour preuve: le faire pour en expliquer les causes dans cet article n’a pas donné envie à grand-monde, les personnes contactées admettant une forme d'”intimidation” et de «silence».
La peur? Celle du “shitstorm” (tempête de merde) sur les réseaux sociaux ou ailleurs, qui pourrait entacher leur santé mentale comme leur carrière. L’humoriste Tanguy Pastureau s’en est ému sur X (ex-Twitter) : “Pourquoi les célébrités ne s’engagent pas pour les victimes du terrorisme en Israël? Réponse: moi qui suis si peu connu et qui l’ai fait, je reçois 500 messages/jour de haine et je perds, je le sais, une partie de mon public.” Shitstorms en pagaille De telles traînées de boue adviennent même sur des sujets dérisoires. Pour une phrase anecdotique sur “Les Lacs du Connemara” de Michel Sardou, Juliette Armanet a vécu un été mouvementé. Qualifier cette musique d'”immonde” et la décrire comme “de droite” dans une interview lui a valu une tempête médiatique sans précédent. “Les gens qui sont silencieux et cachés font plus de bruit et sont plus entendus que les gens qui parlent à découvert et qui se dévoilent.” Vincent Lindon, acteur Justine Triet, réalisatrice de la Palme d’or 2023 Anatomie d’une chute en a fait les frais, jusqu’au plus haut sommet de l’État. Dans son discours de victoire à Cannes, la réalisatrice fustigeait ce “gouvernement néolibéral” l’accusant d’une “marchandisation de la culture” en mettant aussi sur la table la réforme des retraites. Plusieurs mois après, la Première ministre Élisabeth Borne ne l’a toujours pas digéré, “vexée”, intime à Justine Triet de “réfléchir à son rapport à la réalité”. Dernier exemple, la chanteuse Izia Higelin, qui imaginait Emmanuel Macron en piñata géante lors d’un concert et a vu une de ses dates de représentation être annulée. De la censure “Les médias sociaux ne sont pas un lieu pour des discussions nuancées […] je préfère généralement garder mes propos pour des conversations sérieuses avec des personnes en face-à-face” écrivait sur Instagram Asaf Avidan après les attaques en Israël. Sur sa publication d’un carré noir, sous un texte émouvant, il a même empêché l’écriture de commentaires. Axel Bauer a attendu plusieurs jours avant de prendre la parole sur son compte Instagram: “J’ai tardé à m’exprimer car il m’a fallu du temps pour dépasser la sidération, vu la brutalité des actes.” Et puis, est-ce le rôle de l’artiste? Invité sur France Inter Vincent Lindon s’interrogeait sur le sien: “Aujourd’hui, c’est un peu difficile, ma position. Je fais partie de la confrérie du spectacle, est-ce que je suis légitime pour parler de ça?” “Notre travail est de soutenir l’artiste quoi qu’il arrive.” Émilien Évariste, attaché de presse dans le secteur de la musique Un peu plus loin dans cette interview –d’une grande sagesse et qui va bien plus loin–, il pointait aussi du doigt les réseaux sociaux, “un des cancers de cette civilisation” qui “font que les gens qui sont silencieux et cachés font plus de bruit et sont plus entendus que les gens qui parlent à découvert et qui se dévoilent”. L’artiste Declan McKenna, de retour avec un nouvel album en 2024, admet que ses anciennes prises de position (sa chanson “Brésil” dénonçait la corruption au sein de la FIFA) ou “l’influence oppressante des médias de droite” ne lui donnent pas envie de s’engager à nouveau: “Je n’ai pas renoncé à cet aspect de ma personnalité mais je ne veux pas que ça me définisse éternellement” admet-il. Son entourage reconnaît aussi que c’est une question de santé mentale. Parole claire, parole forte Émilien Évariste, attaché de presse au sein du label de musique Because, se rend bien compte que la prise de parole “a changé ces dernières années. Elle est moins directe et frontale.” Il faut dire que quand elle l’est, le harcèlement en ligne peut être légion. Ça a été le cas avec Christine and the Queens: “J’en ai assez que ma page soit devenue le réceptacle d’un trolling aussi réducteur, problématique, sexiste et puis surtout particulièrement déchaîné”, exprimait l’artiste dans une vidéo. Émilien et l’ensemble de la maison de disques ont accompagné Christine and the Queens face à ce torrent de haine en publiant un communiqué de soutien, plutôt que de lui dire de ne pas s’en préoccuper. “C’est quelque chose qu’on n’a pas contrôlé ni censuré. Notre travail est de soutenir l’artiste quoi qu’il arrive” explique-t-il. Le travail consiste aussi à filer un petit coup de main aux artistes si besoin est, par exemple en faisant appel à des coachs en communication pour aider les aider “à rendre leur parole plus claire et plus forte”. Notamment parce que contractuellement, l’artiste peut avoir une liberté totale sur ses réseaux. Évariste Émilien résume ainsi cette peur du shitstorm: “La prise de parole peut heurter les gens dans une époque où tout est contrôlé.” Alors, certains le montreront peut-être davantage en chanson que sur les réseaux sociaux, continuant ainsi la longue (et belle) lignée des “chansons de protestation” ces chants contestataires et engagés.
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