2024-11-06 21:03:00
Protégée d’Eluard ayant connu Picasso et Aragon, la résistante était une poète et journaliste. Elle avait consacré sa vie à dénoncer les injustices.
La résistante Madeleine Riffaud est morte à l’âge de 100 ans, a annoncé mercredi son éditeur Dupuis, confirmant une information du quotidien L’Humanité pour lequel elle fut correspondante de guerre.
“Une héroïne s’en est allée. Son legs: tout un siècle de combats”, a salué L’Humanité pour qui elle couvrit les guerres d’Algérie et du Vietnam.
“Elle était un personnage de roman, à l’existence tramée par la lutte, l’écriture, trois guerres et un amour. Une vie d’une folle intensité, après l’enfance dans les décombres de la Grande guerre, depuis ses premiers pas dans la résistance jusqu’aux maquis du Sud-Vietnam”, a souligné le quotidien.
Le 23 août 2024, jour de ses 100 ans, Madeleine Riffaud avait publié le troisième et dernier tome de Madeleine, résistante (éd Dupuis), ses mémoires de guerre en bande dessinée, avec Dominique Bertail au dessin, et Jean-David Morvan au scénario. Ce dernier lui a rendu hommage sur Facebook en publiant une photo d’elle, âgée, posant sur un canapé.
Agent de liaison des FTP
Née en 1924 dans la Somme, cette fille unique d’instituteurs rejoint la résistance à 16 ans. Élève sage-femme à Paris, elle devient agent de liaison avec ses compagnons communistes des Francs-tireurs et partisans (FTP) de la faculté de médecine.
Elle devient “Rainer” – en hommage au poète allemand Rainer Maria Rilke – pour signifier qu’elle “n’est pas en guerre contre le peuple allemand mais contre les nazis”.
Le massacre d’Oradour-sur-Glane, un village de sa jeunesse décimé en juin 1944, provoque son passage aux armes. Le 23 juillet, elle assassine de deux balles dans la tête un gradé nazi sur le pont de Solférino, à Paris.
“Je regrette, d’ailleurs, d’avoir tué cet homme. Tu es là. Tu regardais la Seine. Est-ce qu’on peut être méchant, quand on regarde la Seine? C’était peut-être un type bien. Mais ça… bon, c’est la guerre”, disait-elle.
La résistante se fait presque immédiatement arrêter. Torturée par la Gestapo, elle est condamnée à mort puis déportée. Avec une amie espionne, elle saute du train vers Ravensbrück mais se fait intercepter. Grâce au consul de Suède, elle est libérée le 19 août grâce à un échange de prisonniers, en pleine Libération de Paris.
Rainer reprend le combat: le 23 août, elle contribue à l’arrestation de 80 soldats allemands dans l’attaque d’un train aux Buttes-Chaumont. Elle recevra la Croix de guerre avec palme.
Dépression et tuberculose
Après la Libération, elle veut intégrer l’armée mais n’a pas 21 ans. Son engagement s’arrête là. Sans nouvelle de ses amis déportés, hantée par le souvenir des geôles, elle plonge dans la dépression comme elle le raconte dans On l’appelait Rainer.
Touché par sa détresse, Eluard la prend sous son aile, préface son recueil de poèmes Le Poing fermé (1945). Il l’emmène chez Picasso qui la peint – petit visage déterminé encadré par une chevelure brune et épaisse -, lui présente l’écrivain Vercors.
Tuberculeuse, elle rencontre Pierre Daix, un rescapé de Mauthausen, dans un sanatorium. Ils se marient, ont une fille qui est placée chez ses grand-parents par peur de la tuberculose. Ils se séparent en 1947.
“Un seul métier était indiqué alors, c’était le reportage de guerre auprès des plus souffrants”, confiait-elle une fois devenue une vieille femme quasiment aveugle.
Aide-soignante
Elle débute à Ce soir, journal communiste dirigé par Aragon. Puis pour l’Humanité, elle couvre la guerre en Indochine où Ho Chi Minh la reçoit comme “sa fille”.
Elle part clandestinement en Algérie où elle échappe à un attentat de l’OAS (Organisation de l’Armée secrète). Elle dénonce la torture pratiquée à Paris contre les militants du FLN (Front de libération nationale). Puis elle repart au Vietnam et couvre pendant sept ans la guerre.
À son retour, elle travaille comme aide-soignante dans un hôpital parisien et dénonce dans Les linges de la nuit (1974), vendu à un million d’exemplaires, la misère de l’Assistance publique.
Pendant 50 ans, elle était restée mutique sur ses années de résistance. C’est le résistant Raymond Aubrac qui l’avait secoué dans les années 1990: “Est-ce que tu vas continuer à fermer ta gueule? Tes petits camarades qui ont été fusillés à 17 ans, ça t’est égal que personne n’en parle?”, avait-elle raconté à l’AFP.
Elle avait depuis fait le tour des écoles, répondu aux interviews. “Résister, c’est aimer les gens, ne pas haïr. (…) Si nous, on a tenu, c’est parce qu’au lieu de nous dire, je suis une victime, on s’est toujours dit je suis un résistant, je suis un combattant!”
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