La schizoïdie : entre détachement et souffrance interne

La schizoïdie : entre détachement et souffrance interne

Il est difficile de trouver une définition satisfaisante de la schizoïdie, car elle semble être intimement conflictuelle. C’est l’étymologie qui donne un aperçu de la racine grecque du mot schizo, skhizein, qui signifie fendre. Ainsi, la personne schizoïde serait coupée en deux… Le trouble de la personnalité schizoïde, anciennement connu sous le nom de trouble de la personnalité antisociale, se caractérise par un détachement et un désintérêt général omniprésents dans les relations avec les autres. Les schizoïdes expriment peu d’émotions, affirment les manuels. À cette définition théorique, un peu glaçante, il faudrait ajouter l’expression « en apparence » après avoir rencontré Maxime. Car si le schizoïde semble placide, il souffre intérieurement de l’isolement que provoque son détachement. Le « oui » est toujours accompagné du « non », le désir de l’absence de volonté… « J’ai un côté apathique. Je manque d’envie de faire les choses, pour à peu près tout. J’aime peu de choses et ce que je n’aime pas, je l’esquive », raconte le jeune homme de 30 ans.

Le DSM, la bible des maux psychologiques et psychiatriques, affirme que la schizoïdie est « rare en pratique clinique ». Parce qu’elle ressemble à une profonde dépression et qu’elle est difficile à distinguer de certains troubles autistiques. « À 17 ans, on m’a diagnostiqué un syndrome d’Asperger », assure d’ailleurs Maxime. « Je n’étais pas très convaincu et j’ai bien constaté, en participant à quelques groupes de parole, que, si nous partagions des difficultés sociales, nous n’avions pas les mêmes comportements, les personnes autistes et moi. Et je comprenais les codes sociaux, pas elles », résume-t-il.

Enfant, Maxime se sentait très seul. « Mes premiers souvenirs, en CE1, ne sont pas joyeux. J’étais très en retrait, j’attendais que les autres viennent vers moi. Je parlais peu, je réagissais physiquement, donc je me battais pas mal ». Arrive le collège et « la peur des autres ». Les quelques repères qu’il se construit pendant ces quatre années disparaissent quand il entre en seconde, dans un nouveau lycée. « Je ne connaissais personne, je l’ai mal vécu. Je me suis renfermé encore plus. Je ruminais beaucoup, j’étais mentalement très absent ». Certains élèves s’en sont pris à lui. « C’étaient beaucoup de moqueries, du rejet. Quand j’essayais de manger avec d’autres, ils refusaient ». Une solitude quotidienne.

Pour impressionner ses camarades autant que pour doper son énergie, Maxime commence à voler dans les magasins. « Je faisais ça à la pause déjeuner, pour faire comme certains, et pour impressionner les autres. Sur le moment, c’était très satisfaisant, et après les vols, j’avais l’impression d’être plus concentré en classe ». L’adrénaline, le carburant des kleptomanes, l’a poussé à quelques compulsions. Comme la consultation de sites pornographiques et les jeux vidéo.

Après le bac, le jeune homme s’oriente sans conviction vers un BTS de comptabilité et gestion. Il n’y trouve aucun intérêt et arrête en cours d’année. Le jeune homme reste chez lui, laisse passer le temps. Le vide en lui, toujours aussi prégnant, le pousse avec ses parents à chercher de l’aide.

Un psychiatre lui parle de schizoïdie… « Au début je n’étais pas convaincu. Certes, je me reconnaissais dans certains traits, la face immergée de l’iceberg. Être introverti, avoir peu de plaisir dans les activités collectives » mais ce trouble est résumé à l’excès en absence d’affects. « J’ai fait beaucoup de recherches, aujourd’hui encore je trouve de nouvelles choses sur l’étendue des signes, la schizoïdie est très mal jugée », estime-t-il. Même les six semaines passées dans un centre de diagnostic à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, n’ont pas permis aux spécialistes de se faire un avis ferme. « Ils m’ont donné des neuroleptiques dont un qui m’a donné des idées suicidaires. J’allais très mal. Les médicaments ont des effets secondaires, que les médecins minimisent toujours. Au bout des six semaines, ils ne voulaient pas me laisser sortir, mes parents ont dû intervenir. J’ai été orienté vers un psychiatre qui connaît le trouble schizoïde. Il m’a donné mon premier traitement antidépresseur, qui a fonctionné ».

Aujourd’hui, Maxime est suivi par une psychiatre, pour renouveler son ordonnance, et par une psychologue. Son état est stable. Mais il doit vivre avec ses troubles. « Dans l’ensemble, ce n’est jamais terrible. L’angoisse surgit à tout moment, à cause d’une frustration ou de l’ennui. Je manque de motivation, je suis souvent triste, et j’ai un sentiment de vide », dit-il. Aucune mimique pour décrire la profondeur de ce vide qu’on devine abyssal, car pas un geste n’accompagne jamais les paroles de Maxime. Le visage et les épaules baissés, il lui arrive de frotter son nez à plusieurs reprises, seule expression corporelle de non-dits qui surgissent.

Inscrit dans une école de graphisme en alternance, Maxime doit trouver l’entreprise qui lui permettra de valider son cursus. « J’aimerais pouvoir faire mes preuves mais je ne décroche pas d’entretien, même auprès d’entreprises adaptées » aux personnes souffrant d’un handicap reconnu, ce qui est son cas. « Quand on est schizoïde, on ne cherche pas à faire bonne impression, on veut juste être vrai, mais la société demande aux gens de se vendre. C’est un état d’esprit qui ne m’apporte que de la frustration ». Idem pour les morceaux de rap qu’il écrit et qu’il enregistre en studio à ses frais. « J’aimerais bien avoir du succès en tant que rappeur mais ce que je fais me prend quelques heures par semaine, pas un job à 35 heures, et je ne veux ni me conformer aux desiderata d’une maison de disques ni plonger dans ce milieu hyperconcurrentiel ! » Rien que d’y penser, la fatigue s’abat.

« Je croise des gens mais je ne parle à personne »

« Je suis très fatigué, avoue-t-il. Avoir un handicap, c’est avoir le sentiment d’être abandonné, que les gens ne peuvent rien faire pour vous parce que vous ne correspondez pas aux attentes, parce que je ne rentre pas dans les cases ». Sa voix ne trahit ni regret ni colère, juste un constat. Aimerait-il, un jour, rentrer dans les cases, lui demande-t-on. « Oui et non. Oui par facilité, non par anticonformisme », répond-il.

Le trentenaire vit comme un coq en pâte chez ses parents. Son père est à la retraite. Sa mère travaille essentiellement de la maison. « On ne passe pas beaucoup de temps ensemble, ils préfèrent sortir. On partage nos repas – j’adore manger mais je déteste cuisiner, flemme ! – et parfois une promenade, ça me fait du bien de marcher ». Maxime se rend à la salle de sport deux fois par semaine. « Je vois des gens mais je ne parle à personne ».

Maxime n’a qu’une amie, avec qui il parle sur Instagram. « Elle vit en Tunisie, on parle de choses profondes, c’est plus facile pour moi en virtuel ». Si le jeune homme a eu des petites amies, il ne parle pas « d’histoires d’amour ». « Les ruptures, ça fait mal, mais on s’habitue », lâche-t-il sur un ton morne. Il aimerait vivre une belle histoire, avec une amoureuse « jeune et timide », parce qu’il se sentirait « plus à l’aise avec elle ». Il ne veut pas se marier ni avoir d’enfant. « Je suis assez misanthrope et pas très optimiste, donc je n’ai pas particulièrement envie de perpétuer l’espèce humaine. Et puis je n’aime pas les responsabilités ».

Flemme ? Avec son jogging, son sweat et ses baskets, Maxime a l’air d’avoir 15 ans. « C’est l’âge que j’ai l’impression d’avoir », confesse-t-il. Vieillir lui fait peur, et cette question est la première, et la seule, à lui arracher un vrai grand sourire. « Je ne veux pas paraître vieux, c’est pas attirant, tranche-t-il. Je ne suis pas le plus drôle et pas le plus sociable, donc si je peux plaire physiquement, c’est bien ».
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2023-12-10 15:00:00

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