2024-03-06 02:00:00
Qui aime le désert ? Des tas de cadavres sont finalement brûlés dans le désert. Les cadavres produits vers la fin de “Dune” de Denis Villeneuve sont éliminés par ceux qui les ont causés, l’armée d’occupation Harkonnen, dès le début de la suite directe – “Part Two” – à l’aide de lance-flammes. Du frêne noir sur du sable jaune vif, la brutalité de l’occupation et la netteté des contrastes, tout y est.
Mais la vie dans le désert ne se limite pas à la guérilla et à l’élimination des déchets, elle a aussi son côté mignon. Ma scène préférée dans « Dune : Part Two » montre un gros plan d’un campagnol du désert (amélioré numériquement pour avoir l’air « extraterrestre »). Cela ressemble presque à une citation du classique documentaire animalier de Disney “The Living Desert”, James Algar, 1953. Une ombre immense plane soudain sur la gerbille initialement intrépide. L’ombre d’un vaisseau spatial Harkonnen s’approchant pour atterrir. Bien entendu la gerbille s’éloigne. La perspective de la caméra passe immédiatement à un plan moyen. Le vaisseau spatial, dont l’ombre occupe une grande partie de la zone désertique du cadre, flotte au-dessus du sol et suggère la lourdeur si typique des films de Villeneuve avec leur mélange singulier de thérapie de choc et de maussade. Les lois de la gravité ne s’appliquent pas excessivement aux astronautes de « Dune », mais la gravité de la conception suggestive de l’image s’applique encore plus.
Le fait que les vaisseaux spatiaux ressemblent ici plus à des roches flottantes qu’à des moyens de transport est représentatif de la nature statique, pour ne pas dire sculpturale, de ces films. La souris du désert qui surgit de l’ombre constitue un contraste bienvenu. Il y a une évasion de cette lourdeur, de ces instants fugitifs. Malheureusement, ils ne sont pas très courants.
Souris et ombre massive dans le désert : L’épopée pastorale caractérise une équivalence entre l’âme et le monde paysager. Tout comme dans la peinture romantique ou dans les westerns (du moins comme le décrit le critique Bernard Dort, cité dans une note de « L’image du mouvement » de Gilles Deleuze). L’âme en jeu dans les deux films “Dune” est celle du Muad’Dib, de la réincarnation de T. E. Lawrence, du “Sauveur blanc”, du Messie – Paul Atréides (Timothée Chalamet). Les lecteurs du roman de Frank Herbert (1965) savent que la trame du récit est formée par les notes du journal, une chronique commentée, pour ainsi dire, de la princesse Irulan (Florence Pugh), fille de l’empereur de l’espace toujours régnant (Christopher Walken). Dans l’adaptation cinématographique, il y a des voix off de la princesse qui font allusion à cela. Le texte dit à propos du Messie : « Il était mystique et guerrier, monstre et saint, renard et agneau innocent, chevaleresque, impitoyable, moins qu’un dieu mais plus qu’un humain. »
La sainteté et la bêtise, la vertu et la bêtise ont souvent formé des alliances productives. Comme on le sait, la religion et ses images fantasmagoriques (évoquées dans « Dune » par la drogue bleue, l’épice) viennent aussi, curieusement, souvent du désert. Il s’agit inévitablement de religion, de sa division en fondamentalistes, hérétiques, castes sacerdotales, agnostiques, etc. Ce sont des passages douloureusement longs, des déserts d’initiation et d’intrigues politiques.
Puisque cette religion, si l’on suit la logique de l’histoire, est une religion qui a été littéralement née (et pas seulement au sens nietzschéen) et qui a été, pour ainsi dire, inoculée aux habitants rebelles du désert par une caste conspiratrice de prêtresses, son les abus politiques sont pratiquement inhérents à ses origines.
C’est le premier problème du Messie et de son entourage immédiat : il est à la fois un accident et un produit de la reproduction. La seconde est de nature fondamentale : « l’imperceptibilité » (Hans Blumenberg) du Messie. Il doit agir en secret. Plus c’est discret, plus c’est efficace. Il a donc besoin de disciples amusants, comme le guerrier Fremen Stilgar (Javier Bardem), suffisamment humoristiques pour suivre la logique du déni : seul le Messie feint la modestie de ne pas être le Messie. C’est un peu comme “La vie de Brian des Monty Python”. Vous ne pouvez tout simplement pas dépasser cette coupe ou le bleu profond des yeux de Spice (aussi bleus que les yeux de Peter O’Toole dans “Lawrence of Arabia”). L’humour de Stilgar sauve des parties du film aussi efficacement que sa religion.
L’imperceptibilité du Messie conduit aussi à la formule de base de l’efficacité idéologique : on sait que quelque chose ne se comporte pas comme on le prétend, on le pense quand même et on se comporte en conséquence.
La coïncidence de l’ordre de visionnage faisait que je ne pouvais comprendre “Dune : Deuxième partie” que comme un complément au film “L’Empire” de Bruno Dumont, que j’avais eu l’occasion de voir une semaine plus tôt en compétition à la Berlinale. On voit des gens en apparence normaux (des acteurs amateurs) dans un village côtier un peu délabré de Normandie. Ils se comportent soudain comme s’ils étaient les protagonistes d’une guerre éternelle se déroulant dans l’univers « Dune » et/ou « Star Wars ». Donc assez bizarre. Les vaisseaux spatiaux y sont d’anciens modèles architecturaux (cathédrales gothiques ou parcs baroques) et ne nient pas qu’ils aient été volés. La grande guerre intergalactique finit par imploser « dans un trou noir » et ne laisse que quelques décombres dans les jardins de devant. “L’Empire” est la description appropriée de l’état du cinéma au vu des ravages de “Dune”. Comparé à ce morceau, « L’Empire » n’est bien sûr qu’une petite souris. Et le cinéma en général, comme le notait le grand critique Serge Daney au début des années 1980, est presque un désert esthétique.
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