La vie et la mort des sans-abri : une réalité méconnue

La vie et la mort des sans-abri : une réalité méconnue

Il s’agissait d’un homme de quarante ans. C’est tout ce que l’on sait, trois jours après la découverte d’un corps inanimé sur un trottoir de la rue Gray à Ixelles. L’autopsie a révélé, contre toute attente, qu’il n’est pas mort d’hypothermie (ni de l’intervention d’un tiers).

À l’arrivée des températures négatives, la presse s’est intéressée à la question des sans-abri et aux dangers que le froid représente pour eux. Pourtant, selon plusieurs acteurs sociaux, dans la rue, on meurt autant en été qu’en hiver. “Chaque année, on dénombre environ 70 décès à Bruxelles”, note Chris Vandenhaute, policier de l’équipe Herscham, une brigade spécialisée dans le sans-abrisme.

Un corps sans nom, c’est rare

La découverte d’un corps sans vie sur le trottoir n’est que le début d’une procédure complexe. Lorsqu’une personne décède dans la rue, quelles que soient les circonstances, le parquet doit se saisir du dossier en parallèle à un travail d’identification. “Neuf fois sur dix, on peut facilement identifier la personne”, avance Chris Vandenhaute. “Chaque fois que nous entrons en contact avec une personne dans la rue, nous établissons une fiche (avec son nom et sa date de naissance) que nous lui donnons, ce qui permet de l’identifier facilement. Si une personne décédée n’a pas cette fiche, soit l’équipe Herscham, soit le secteur associatif la reconnaît.” C’était notamment le cas pour le sans-abri de la rue Gray, inconnu de l’équipe Herscham mais identifié par un travailleur social d’Ixelles.

En 2022, le collectif des morts de la rue (de l’ASBL Diogènes) a recensé 78 décès. Si les recherches sur le terrain sont inefficaces, la police compare alors les empreintes du défunt à sa base de données. “En neuf ans, j’ai dû enterrer deux ou trois personnes sous X, maximum”, assure Florence Servais, membre du collectif.

Enterrement retardé, mais digne

Une fois l’identification faite, se pose la question des rites funéraires. Des recherches sont alors menées pour retrouver la famille, mais ne sont pas toujours fructueuses.

À noter que, lorsque quelqu’un décède dans la rue et que personne ne se manifeste, c’est à la commune de prendre en charge l’inhumation, “mais ce n’est pas toujours facile, car le parquet ne peut pas toujours nous donner toutes les informations”, concède la commune d’Ixelles. “En général, les communes laissent le temps aux proches de se manifester. Cela prend facilement trois semaines ou un mois avant qu’il y ait un enterrement”, estime Florence Servais.

Dans 35,9 % des cas connus par le collectif, la famille prend en charge les obsèques. Dans 34,6 % des cas, c’est la commune qui s’en occupe : on appelle alors les défunts des “indigents”, et leur sépulture n’est alors en place que pour cinq ans. Un hommage collectif est également organisé chaque année à la fin du mois de mai à l’hôtel de Ville de Bruxelles. Pour rendre un peu plus de dignité, le collectif des morts de la rue organise une cérémonie (33 en 2022) avec les proches du défunt, ceux avec qui il partageait le pavé et les travailleurs sociaux qu’il connaissait. En 2022, 20 rapatriements ont également été organisés par le collectif.

Ironie morbide, dans 7,7 % des cas, le défunt, malgré sa situation précaire, avait suffisamment de ressources financières pour payer lui-même ses obsèques. “C’est souvent une somme qu’ils accumulent pour pouvoir payer une garantie locative, par exemple”, explique Florence Servais.

Dans le square de la Putterie, où de nombreux sans-abri plantent leur tente, un arbre rend hommage à ceux qui meurent dans la rue, chiffre qui, comme ceux qui y vivent, tend à augmenter.

Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest

Leave a Comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.