Invités par le couple de mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles, Picasso, Dali, Giacometti, Gide, Cocteau, Buñuel ont séjourné à la Villa Noailles à Hyères. Cette maison, aujourd’hui centre d’art, est l’œuvre de l’architecte Robert Mallet-Stevens, inconnu à l’époque et qui réalisait alors son premier ouvrage. Alors, quelle histoire a connu cette splendide demeure d’aristocrates qui a vu passer l’essentiel de l’avant-garde artistique française ? En quoi la villa Noailles, qui fête cette année ses 100 ans, incarne-t-elle la modernité de ces aristocrates ?
Une villa d’avant-garde
Terrasse de la piscine de la villa Noailles à Hyères 1928 – Thérèse Bonney – Villa Noailles
“On est sur la colline du château d’Hyères, face aux îles d’Or. C’est un terrain qui fait à peu près quatre hectares, qui est éclairé toute l’année par la lumière du Sud”explique Jean-Pierre Blanc, directeur de la villa Noailles, quand il nous fait visiter les lieux. Cette maison héliotrope a pour mission de capter au maximum le soleil, une volonté de Charles de Noailles et de son architecte. Cette demeure est “l’une des premières architectures avec des baies vitrées, des baies escamotables qui sont commandées par ailleurs à Jean Prouvé” nous raconte Eléa Le Gangneux, historienne de l’art et spécialiste de la villa Noailles. Des vitraux vont être commandés à Louis Barillet. Theo van Doesburg va réaliser les plans d’une chambre aux fleurs, une pièce destinée à la confection de bouquets et Djo-Bourgeois aménage la salle à manger en 1925. “On peut considérer la villa Noailles comme œuvre d’art totale” nous explique l’historienne de l’art.
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Le luxe de cette maison d’aristocrates ne réside pas dans la taille et les dimensions des pièces, ni dans l’utilisation de matériaux luxueux, mais plutôt dans ses équipements. Chaque chambre, de la taille d’une petite cabine, est équipée de sa salle de bain, ce qui est absolument révolutionnaire à l’époque. Le sol en terrazolith, un matériau qui se coule comme du béton, ajoute une grande douceur au lieu. Eléa Le Gangneux nous dévoile que “l’électricité est intégrée dans la maçonnerie, tout comme les armoires. Un système d’horloges est relié à un mécanisme central. Il y a le téléphone. La villa Noailles est aussi la première maison équipée d’une piscine couverte, d’un squatch, d’une salle de gymnastique, d’un minigolf. Des équipements que nous connaissons aujourd’hui, mais qui, à l’époque, sont totalement révolutionnaires pour tout un chacun, et qui en fait, célèbrent un nouvel art de vivre.” Par exemple, à l’entrée, on peut trouver un photomaton de 1929, donc une preuve supplémentaire de l’enthousiasme des Noailles pour la modernité et la nouveauté.
Des artistes qui façonnent le lieu
Vue du jardin moderne de Gabriel Guévrekian 1928, sculpture en bronze «La Joie de vivre» de Jacques Lipchitz – Thérèse Bonney – Villa Noailles
“Cette maison peut être considérée comme un manifeste de l’architecture au XXᵉ siècle, parce qu’elle s’affranchit de l’état d’esprit du moment, qui est plutôt celui des arts décoratifs” explique Jean-Pierre Blanc. Les Noailles vont n’avoir de cesse, pendant de nombreuses années, de faire aménager les intérieurs et les extérieurs de la villa par des artistes, sculpteurs, peintres, designers. Le jardin cubiste a ainsi été réalisé par Gabriel Guevrekian. Ce jardin, les Noailles l’ont découvert lors de l’exposition des arts décoratifs de 1925 à Paris. Charles de Noailles est très enthousiaste à l’idée de commander un jardin pour Hyères. Charles a noté toutes les places de chaque arbre de son jardin en vrai passionné. “Autant Charles de Noailles s’était occupé de la villa et du jardin, autant Marie-Laure de ce qui s’y passait, des personnalités qui allaient être invitées, des rencontres avec les artistes” explique Pascale Mussard, présidente du lieu.
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Eléa Le Gagneux relate que “les Noailles vont être de véritables mécènes. Ils vont financer des œuvres de toutes disciplines et ne vont pas hésiter à prendre des risques, à se mettre en danger. Ils vont révéler des artistes.” Man Ray y tourne par exemple en 1929 son premier film surréaliste, Les Mystères du château de Dé. Dans la chambre du deuxième niveau, Luis Buñuel aurait écrit le scénario de L’âge d’or. Ce film mythique est commandé, financé et produit par Charles et Marie-Laure de Noailles. Il va faire scandale. Marie-Laure, arrière arrière-petite-fille du marquis de Sade a toujours évolué dans les milieux d’avant-garde et n’a alors pas peur du danger.
La modernité de Marie-Laure de Noailles
Marie-Laure de Noailles (1902-1970) en 1949 © Getty – ©Getty – Photo par Apic
Après la Seconde Guerre mondiale, Charles abandonnera la villa. Il va passer son temps à Grasse à jardiner. La villa Noailles a été conçue pour être orientée plein sud et il n’arrive pas à s’adonner à sa passion. Marie-Laure va réellement s’approprier cette maison. “Cette maison, qui était une résidence d’artiste, va devenir la résidence d’une artiste. Marie-Laure peint frénétiquement. Elle passe sa journée à peindre à la villa Noailles. Le matin, elle réalise ses scrapbooks, qui sont de véritables cahiers qui sont des instantanés d’époque dans laquelle elle va aussi bien découper des articles de journaux que d’y accrocher des photographies de Man Ray au sparadrap” explique Eléa Le Gangneux.
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Marie-Laure de Noailles est beaucoup plus seule que dans les années 30. Il y a encore des artistes qui viennent à la Villa Noailles, mais ce sont plutôt des amis, des gens beaucoup plus proches d’elle. Femme libre, elle sera très proche d’ Igor Markevitch et Oscar Dominguez, entre autres. La villa Noailles devient un refuge de Marie-Laure, dans lequel elle passera la plupart de son temps jusqu’à sa mort. D’après l’historienne de l’art Eléa Le Gangneux, “Marie-Laure est seule, mais se réfugie dans un monde qui est un monde de création. “
2023-06-03 10:00:00
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