Calé la semaine précédente, le rendez-vous devait surtout permettre de parler de son nouveau disque, #JesuispasséchezSo, des cités. Puis, il y a eu la manifestation de Bobigny, en soutien à Théo, victime de violences policières. Sur une vidéo, Sofiane, 30 ans, tente de ramener le calme entre les protestataires et les forces de l’ordre. Il discute des deux côtés, la tension baisse, une attitude responsable et pacifiste saluée. Le voilà propulsé porte-voix des invisibles, tous les médias réclament le rappeur.
Lui, d’entrée, calme le jeu. «Je ne suis pas un leader, je ne suis pas Luther King, je suis autant énervé que les autres mais c’est mieux si on rentre tous à la maison le soir et qu’on ne va pas en garde à vue. J’ai discuté avec le plus gradé, il m’a dit : “Je suis obligé de garder dix mètres de sécurité. Tiens les tiens, je recule les miens, j’ai envie de tirer sur personne aujourd’hui.” J’ai essayé de convaincre les gens de se disperser parce que c’était déjà parti en couilles de l’autre côté.»
Celui qui a aussi donné un concert de soutien à la famille d’Adama Traoré avec d’autres rappeurs continue : «Si demain, je prenais au sérieux les compliments et je rentrais dans ce rôle d’exemple… Si on fouillait ma vie, j’en suis pas un… Porte-parole, ce n’est pas pour moi. Haut-parleur, pourquoi pas.» Coiffure au millimètre, blouson Versace et jean troué, il nous a donné rendez-vous ce mardi matin de la Saint-Valentin à Stains, sur un parking, entre des immeubles bleus et verts, pas très loin du grand Carrefour, le long de la nationale. Il a grandi ici, jusqu’à ses 13 ans, avant de partir au Blanc-Mesnil, à Pierre-Semard, une autre cité du 93. Il pose sur une voiture en réparation, devant une entrée en fumant une cigarette, s’amuse des impacts de balles contre un mur avant de nous emmener à l’Alambra, restaurant grill halal tout proche. Devant une entrecôte raclette sauce roquefort et un carpaccio, il dit : «Adama Traoré, Théo, Zyed et Bouna, c’est tous les jours. C’est des virgules dans un roman, c’est beaucoup plus large. Le problème, c’est qu’on a des cons, ils ont des cons. J’ai croisé des bons keufs, des condés qui ont aidé des mamans, des petits, qui m’ont aidé. Plusieurs m’ont dit que l’histoire de Théo, ils avaient honte. Mais quand Alliance se fout de la gueule du monde, quand l’IGPN dit que c’est un accident alors que le mec s’est fait enfoncer un machin dans le derrière… A un moment, faut reconnaître ses torts.»
A 30 ans, la maturité ? L’impression que Sofiane Zermani, ou Fianso comme tout le monde l’appelle, a entamé une nouvelle vie où pointe, enfin, le succès et, avec, les responsabilités. Ce n’est pas un petit nouveau. Déjà presque dix ans qu’il a sorti son premier album. Il est connu des amateurs pour son flow à l’ancienne, un certain refus de la mode, peu de vocodeur ou d’autotune, de refrains chantés. En 2016, comme d’autres font l’été la tournée des plages, il s’est lancé dans un voyage à travers les plus grosses cités de France. Des clips tournés sur le bitume et des paroles mêlant récits de prisons, trafics et références générationnelles, des noms de joueurs de foot aux Pokémon en passant par Voldemort. Gros succès. Plusieurs millions de vues sur chaque vidéo, des ventes qui approchent le disque d’or et une signature chez Universal.
Sofiane est fier d’avoir eu le droit, en tant que Francilien, de tourner à la Castellane, à Marseille, et d’avoir amorcé une tentative de réconciliation des rappeurs de Seine-Saint-Denis. Sans oublier ce passage aux Mureaux, dans les Yvelines, où un petit jeune crie par hasard à des policiers, lors d’échauffourées, «hé, vos daronnes y boivent du Sprite sa mère», insulte sublime et tautologique, reprise en boucle sur Internet et par la marque elle-même. Cet ensemble forme une géographie et une mythologie passionnante de ces territoires. Stains, «c’est très sombre, c’est la ville du 9-3 avec le plus de morts au mètre carré» ; Clichy-Montfermeil, «ils sont à part, ils se marient entre eux» ; Blanc-Mesnil, Aulnay, Sevran, Bondy, La Courneuve, «tous ces endroits-là, on se connaît, on est dans le même délire».
En tournée, Fianso passe toujours une tête dans la cité du coin, une proximité qui plaît à son public. «Quand tu en viens, tu sais que c’est les clés d’une ville. Le rap s’est éloigné de sa base, alors que dans le discours, il s’est durci. Tu retrouves maintenant les rappeurs dans les clubs et moins dans les cités. Il faut vivre ce qu’on raconte.»
Lui est entre deux. Passé plusieurs fois pas loin de la prison plus jeune après avoir quitté l’école à 16 ans, condamné à du sursis (trafics, agressions, homicide involontaire en voiture), il est marié religieusement depuis onze ans. Sa femme est coiffeuse, deux enfants et un pavillon à Aulnay avec tondeuse, barbecue et trampoline, la vie de papa. Le décalage avec ses clips où des gros bras brandissent des armes l’amuse.
Aîné de six, sa mère est arrivée d’Algérie à la fin des années 60, dans les bidonvilles de Nanterre, et a bossé comme secrétaire chez France Loisirs. A la maison, il y avait des livres. Son père était gardien de chèvres en Kabylie, avant de venir en France en 1981 vendre des vêtements sur les marchés. Le rappeur baisse la voix, la discussion devient plus sérieuse : «Je suis d’une famille de militaires du FLN, meurtrie par ce conflit. L’école de ma ville au bled porte le nom de mon grand-père. Y a ce côté très algérien, mais je suis français aussi. Je ne crache pas sur la France.» Il s’arrête un instant, reprend, plus sûr de lui : «Mes parents sont d’une génération où il fallait être discret. C’est fini tout ça. Le mot intégration est la plus grande insulte qu’on a pu dire à des enfants nés ici. Accepte-moi parce que moi je t’accepte.» Sofiane a peur de toute récupération politique, préfère le principe des listes citoyennes.
Le gars est malin. Il sait s’adapter. Aux sites de rap spécialisés, il ponctue ses phrases de «gros» et de «bonhomme». A nous, l’artiste parle de Molière, de Shakespeare, invoque le Discours de la méthode de Descartes, souligne dans ses chansons les références à Apollinaire et à Brassens, dit qu’il écoute Stromae, Goldman, Renaud, écrit des textes pour Khaled, et rêverait d’être le parolier de Cabrel, «ce voyou de la campagne». «Quand les lecteurs d’un média généraliste voient le contraste entre des sons très durs et un mec qui sait parler correctement, en général, ça plaît. Je veux qu’ils découvrent quelqu’un qui leur donne envie d’écouter de la musique. Ensuite, tu aimes ou pas le son.» 30 ans, la moitié de sa vie : «Avec l’alcool, le bédo, si je vis après 60, c’est du bonus.» Lui qui se dit «croyant mais pas prophète» sait qu’il a perdu du temps, s’est vu trop beau, trop tôt, est passé pendant dix ans pour l’ingérable de service, le talentueux méprisant. Il a compris que pour réussir, il fallait mettre l’esbroufe et les provocations de côté, et, le plus dur, être soi-même et travailler.
21 juillet 1986 Naissance à Saint-Denis.
2008 Album Première Claque.
2011 Liste noire des albums.
Janvier 2017 #JesuispasséchezSo.
9 mars Concert au Nouveau Casino.
2017-02-17 11:00:00
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#voix #désarme #Libération