C’est l’histoire d’une chute brutale, d’une ambition fauchée. Homme fort de la droite en Seine-Saint-Denis durant vingt ans, Jean-Christophe Lagarde est désormais un baron déclassé. Le député qu’on croyait inamovible a été emporté par la vague mélenchoniste qui a déferlé en juin dernier sur le 93. Battu par Raquel Garrido et empêtré dans des affaires, le patron de l’UDI a aussi dû se résoudre à quitter, en octobre, la présidence du parti qu’il dirigeait depuis 2014.
Lui que la loi sur le non-cumul avait contraint à céder son écharpe de maire de Drancy en 2017 à sa femme Aude Lagarde (UDI) n’est donc plus que son 11e adjoint. Il y a un an, Jean-Christophe Lagarde envisageait une candidature à la présidentielle. En politique, l’ascension est souvent lente, le déclin parfois soudain.
Dernier revers en date : la relaxe, ce lundi, de la journaliste Ève Szeftel. L’ex-député — qui devrait faire appel — poursuivait en diffamation l’autrice du livre « Le Maire et les Barbares », pour des propos tenus lors d’une interview à la radio. Cet ouvrage paru en 2020 évoquait la gestion de la mairie de Bobigny par l’UDI et ses liens supposés avec des islamistes.
En septembre, il a aussi été placé en garde à vue dans l’enquête sur les fausses accusations du « Point » visant le couple de députés LFI Raquel Garrido et Alexis Corbière. Dans ce dossier, le journaliste Aziz Zemouri avait identifié des proches de Jean-Christophe Lagarde comme ses sources. Il a déposé plainte pour « abus de confiance » contre l’élu, qui ne fait pas l’objet de poursuites à ce stade. Mais l’un de ses anciens collaborateurs a lui été mis en examen.
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Le 7 décembre, un autre rendez-vous judiciaire l’attend : le tribunal de Paris rendra son délibéré dans l’affaire de l’emploi fictif présumé de sa belle-mère, qui fut son assistante parlementaire. Le parquet a requis un an de prison avec sursis et cinq ans d’inéligibilité.
Une épée de Damoclès qui explique en partie son retrait à la tête de l’UDI. « Il y a toujours une corrélation entre le sort d’un responsable politique et le mouvement dont il a la charge », observe Hervé Marseille, le sénateur des Hauts-de-Seine qui lui a succédé. « Jean-Christophe est assez intelligent pour savoir s’il devait rester ou non », ajoute Ludovic Toro. Le maire de Coubron, président de la fédération UDI du 93, insiste sur le caractère « provisoire » de la décision de son « ami », dont il loue « la fidélité absolue ».
Ni l’un ni l’autre ne s’étendent sur les ennuis de Jean-Christophe Lagarde et les accusations de clientélisme dont il fait l’objet. « Dès 2010, lorsque j’ai été parachuté par Nicolas Sarkozy pour les régionales, il y avait du ronron à son sujet, comme pour beaucoup d’élus », confie Bruno Beschizza (LR), devenu maire d’Aulnay-sous-Bois en 2014. Au grand dam d’un Lagarde « qui souhaitait rester l’homme fort de la droite en Seine-Saint-Denis et exprimait clairement le fait qu’il ne souhaitait pas que je sois élu, se souvient l’ex-policier. Il défendait une liste UDI contre moi, et l’assumait. »
Politiquement proches, les deux hommes n’ont pourtant noué aucune affinité. L’ex-secrétaire général du syndicat Synergie dispose pourtant d’un réseau étoffé dans la maison police. « Sur toutes ses affaires judiciaires, il ne m’a jamais demandé de conseils », assure Bruno Beschizza, qui se remémore ainsi un entretien en mars 2021 en préfecture. Jean-Christophe Lagarde venait de passer une journée en garde à vue après avoir été interpellé de nuit en possession d’armes à son domicile. « Il était avec moi avant et après le rendez-vous et il a complètement cloisonné cette histoire, se rappelle-t-il. C’est tout à son honneur. D’autres n’hésitent pas à m’appeler pour savoir si j’ai des copains prêts à rendre service. »
Décrit comme manœuvrier, l’élu de Drancy est aussi « un homme de parole », assurent en chœur Ludovic Toro et Bruno Beschizza. « Mais jusqu’à la poignée de main, il faut vérifier s’il ne t’a pas piqué un doigt », rapporte sous couvert d’anonymat un élu qui le pratique régulièrement. Le même relaye aussi sa propension à se vanter régulièrement de disposer de contacts bien informés dans la police.
Jean-Christophe Lagarde peut-il rebondir après une telle année ? Ses proches insistent sur sa capacité de résilience. « C’est un battant, et l’élu qui connaît le mieux la Seine-Saint-Denis », estime le maire de Coubron, qui le voit bien se représenter aux législatives en cas de dissolution. Patron des LR dans le 93, Philippe Dallier parle, lui, d’un homme « qui bosse jour et nuit (…) et je ne parierai pas un kopeck sur le fait que sa carrière est terminée. Ce n’est pas quelqu’un qui se laisse abattre par la difficulté. »
Hervé Marseille se souvient du jeune Jean-Christophe Lagarde, la vingtaine, résolu à conquérir les terres communistes du 93 : « Et pour être sincère, les gens étaient dubitatifs. Il fait partie de ces militants qui ont montré que rien n’était inéluctable. C’est quelqu’un qui a beaucoup travaillé, qui a réussi à rassembler. On s’était habitué à le voir gagner, donc certains n’imaginaient plus le voir perdre. Mais c’est la vie politique. »
Contacté lundi, Jean-Christophe Lagarde n’a pas souhaité s’exprimer sur les procédures en cours, bien qu’il envisage déjà de « faire appel » si l’inéligibilité était prononcée contre lui le 7 décembre. Concernant l’enchaînement des coups durs en 2022, l’élu assure « ne pas être suffisamment naïf pour croire à la coïncidence », considérant avoir été simultanément une cible pour l’extrême gauche et le pouvoir en place.
« Le fait de vouloir incarner un centre droit indépendant était devenu très gênant et je constate que cela arrange beaucoup de gens que je n’ai plus été en capacité d’exercer mes fonctions de président de l’UDI », poursuit celui qui estime qu’Emmanuel Macron souhaitait « le faire battre » pour rallier à lui le parti.
L’élu considère « qu’en trois mois, on a voulu faire de [lui] le pire de ce que la politique française peut produire (…) Quand des forces contraires ont décidé de vous lyncher et d’utiliser tous les moyens médiatiques pour le faire, cela ne sert à rien d’expliquer la vérité car personne n’est prêt à l’entendre. C’est donc la justice qui pourra me la rendre, mais le vide de tout cela va se révéler. Je suis quelqu’un de patient. Et je suis quelqu’un que l’on ne fera pas taire. »
2022-11-23 11:00:00
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