L’avenir de la santé depuis l’espace: entretien avec le directeur de l’ESA

L’avenir de la santé depuis l’espace: entretien avec le directeur de l’ESA

Dans un monde où les frontières entre les sciences deviennent de plus en plus poreuses, les matières se conjuguent. Ce fut salon Health from Space (littéralement, la santé depuis l’espace) qui s’est déroulé pendant deux jours à Cannes. L’occasion d’échanger avec l’Autrichien Josef Aschbacher, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA).

Cannes occupe une belle place dans le spatial européen…

Notamment par la présence de Thales Alenia Space(1), qui fait partie des quatre plus grandes entreprises spatiales. Ma venue à Cannes ne se limite pas aux conférences mais elle est aussi l’occasion d’assister à plusieurs réunions au sein de Thales entre l’industrie et l’ESA. L’occasion de se pencher sur l’avenir et l’ensemble des programmes que nous menons avec Thales, de l’observation terrestre à l’exploration, en passant par les télécoms et la navigation…

Quelles sont les relations entre le spatial et la santé?

Nous travaillons depuis de nombreuses années avec l’industrie pharmaceutique et le domaine de la santé. C’est un secteur qui a un potentiel énorme, mais les retombées commerciales ne sont pas pour tout de suite. Nous sommes en pleine phase de recherche et développement, et ce pour encore quelques années. Certains paramètres, comme la microgravité, permettent de produire des médicaments très différents, que l’on ne pourrait pas produire sur Terre précisément à cause de la gravité.

Les astronautes mènent différentes recherches…

Il y a différentes façons d’envisager la recherche médicale dans l’espace. Nos astronautes, par exemple, sont également des sujets de recherche. Ce sont des êtres vivants faits de muscles, d’os, leur vue change de façon significative dans l’espace. Cela signifie que la microgravité a un impact clair sur le corps humain, et nous menons des recherches actives sur ce phénomène. Le but étant de mieux protéger nos astronautes sur l’ISS (Station spatiale internationale, ndlr), mais également dans la perspective d’un retour sur la Lune et, dans de nombreuses années, vers Mars.

Produire des médicaments dans l’espace soulève la question des quantités produites…

Dans le futur, nous pouvons imaginer l’assemblage d’un grand laboratoire spatial. Les capacités de transport dans l’espace sont en train d’augmenter fortement, par l’arrivée d’Ariane 6 par exemple, mais également via certains partenaires, probablement extra-européens. Il nous faudra trouver comment répondre à l’échelle européenne afin de rester compétitifs.

Vous travaillez actuellement sur la mini-navette spatiale automatisée “Space Rider” ainsi que sur un “Cargo” de ravitaillement…

En effet, ce sont deux véhicules très différents. “Space Rider” est beaucoup plus petit et n’a pas vocation à s’arrimer sur l’ISS. Il volera dans l’espace pendant quelques semaines, permettant de se retrouver en microgravité et de procéder à différentes expériences avant de retourner sur Terre. Le “Cargo” sera, de son côté, capable d’embarquer quelques tonnes de matériel afin de s’arrimer à l’ISS et de les y déposer avant de repartir sur Terre avec un autre chargement. Deux véhicules attendus à l’horizon 2028.

Comment se répartit le budget mondial du spatial?

Au sein du budget global du spatial, d’environ 500 milliards d’euros, les fusées, les satellites, le hardware et la station spatiale représentent moins de 10%. Les 90% restants sont consacrés à la budgétisation, la commercialisation, l’exploitation, etc. Bien sûr, ces équipements sont très onéreux, mais la vaste majorité du budget total est consacrée à son utilisation!

La construction d’une station spatiale européenne est-elle envisageable?

À l’heure actuelle, je ne nous vois pas construire un tel ouvrage, mais nous tourner davantage vers différents partenariats avec l’industrie. Laquelle construirait une station spatiale dont nous payerions le droit d’usage d’une grande partie de la structure. La raison est essentiellement financière, puisqu’une telle construction est très onéreuse. L’idée serait donc de partager les coûts. L’Europe a été un partenaire privilégié de longue date sur l’ISS, en activité depuis plus de vingt ans et au moins jusqu’à la fin de la décennie. Nous en avons eu un usage très profitable, avec l’envoi de nombreux astronautes notamment Thomas Pesquet, mais aussi beaucoup de recherches menées à son bord.

Ici, à Cannes, Thales Alenia Space construit une partie de la future station spatiale orbitale lunaire Gateway. La Lune est-elle la clé de l’avenir du spatial?

Plus de la moitié des infrastructures de Gateway seront fabriquées en Europe. La Lune est un objectif clair pour l’avenir. Aujourd’hui, l’Europe a différentes activités qui la concernent. En premier lieu, certains projets majeurs en direction de la Lune sont prévus. À l’image d’Argonaut, un gros transporteur capable de convoyer 1,5 tonne de matériel vers la Lune. Cet atterrisseur lunaire devrait être opérationnel à l’horizon 2031. Autre projet intéressant, Moonlight, une constellation de satellites de navigation et de télécommunication sur la Lune et en orbite autour de celle-ci afin de faciliter le travail des astronautes. Nous espérons un développement de l’activité économique lunaire, et cela ne peut se faire sans navigation et sans communication.

De quelle manière?

Il faut prévoir un certain nombre de possibilités. De l’industrie minière, de l’extraction d’eau, de la production d’hydrocarbures, il y a un grand nombre d’activités économiques envisageables, mais il faudra en explorer le sous-sol pour le découvrir. L’autre volet sera bien sûr d’amener des astronautes sur la Lune. Dans cette optique, nous travaillons très bien avec la Nasa dans le cadre du programme Artemis. La Nasa a l’intention d’y parvenir avant la fin de la décennie, la Chine a déclaré vouloir envoyer des taïkonautes sur la Lune à l’horizon 2030, l’Inde souhaite disposer de sa propre station spatiale avant 2035 et envoyer des astronautes sur la Lune avant 2040. Tout cela se développe très vite, en dehors de l’Europe. La question est de savoir ce que l’Europe va faire, mon devoir et de faire en sorte que nous soyons bien positionnés. Notre budget spatial représente le quart de celui de la Nasa, ce sera donc un vrai challenge! Nous sommes d’ailleurs les meilleurs du monde en termes de système de navigation et de captation de données d’observation terrestre grâce aux programmes Galileo et Copernicus! L’espace est particulièrement stratégique et il nous faut faire particulièrement attention à ne pas rester sur le carreau!

Quelles sont vos attentes pour la future Ariane 6?

L’idée est que plusieurs lancements soient possibles pour une seule et même fusée. Il faut aussi qu’elle soit capable de convoyer “Cargo”, cela faisait d’ailleurs partie de son cahier des charges. Ce sera un bon engin, qui devrait faire ses débuts dans l’été 2024, nous croisons les doigts!

Quelle place pour l’intelligence artificielle dans le spatial?

Nous y avons déjà recours dans quelques domaines. C’était d’ailleurs mon emploi précédent quand j’étais directeur du programme d’observation jusqu’en 2020! À l’ESA, nous avons été les premiers à intégrer une puce d’intelligence artificielle dans un satellite d’observation terrestre Phi-Sat-1 initié en 2017. Nous avons entraîné cette intelligence artificielle à détecter un ciel avec ou sans nuage. Il est possible de repérer les feux de forêts, le trafic ferroviaire, ce que vous voulez! Pour l’exploration, l’IA a également son utilité. Parce que plus vous allez loin, plus le temps pour pouvoir communiquer entre votre satellite et la Terre s’allonge. Le recours à l’IA dans le satellite est nécessaire puisque la communication en temps réel n’est plus possible. L’IA sera également utilisée lors de l’envoi du satellite Hera autour d’un astéroïde en octobre 2024 pour le mesurer, puisque des décisions doivent être prises sur place afin d’éviter tout risque de collision. Le temps d’envoyer et de recevoir confirmation des commandes de direction serait bien trop long et rendrait l’opération impossible.

1. Lire en pages France/Monde, les difficultés que rencontre l’entreprise.

#Nous #travaillons #depuis #nombreuses #années #avec #lindustrie #pharmaceutique #domaine #santé #jour #des #médicaments #seront #produits #dans #lespace
publish_date] pt]

Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest

Leave a Comment

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.