“Le purgatoire des vaincus” (Mondadori) de Gianni Oliva raconte l’histoire du camp de Coltano, dans lequel étaient enfermés les prisonniers républicains. Parmi les vétérans de la RSE, des noms comme ceux de Walter Chiari, Raimondo Vianello, Giorgio Albertazzi
«Le Signor Maestro nous a expliqué que les Italiens, puisqu’ils sont les plus rappelés par la Sainte Providence, ont treize commandements. Les dix premiers de la table de Moïse et puis il y a Crois obéir combat». Il est alors surprenant que tant d’enfants des années trente, élevés par des professeurs comme celui-ci dans une école où même le manuel d’Arithmétique-Géographie-Sciences (“Le pas de parade romain est un exemple de mouvement uniforme”) aient été au service de fascisme, se sont-ils jetés tête baissée du côté du Duce dans la république de Salò ?
Non, répond l’historien Gianni Oliva dans le livre Le purgatoire des vaincus (Mondadori), où il explique comment une partie de cette génération s’est retrouvée dans la malheureuse aventure républicaine aux côtés des nazis, auteurs des pires massacres et atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’à être enfermé dans des camps de prisonniers comme celui de Coltano, l’ancien pavillon de chasse des Médicisgrand-ducal puis royal au sud de Pise, connu pour avoir été choisi en 1931 par Guglielmo Marconi pour lancer le signal radio qui alluma les lumières du Christ Rédempteur à Rio de Janeiro.
Une histoire méconnue reconstituée à travers les vicissitudes politiques et humaines de jeunes prisonniers alors inconnus, évidemment étant donné que beaucoup avaient vingt voire quinze ou quatorze ans, des gamins piégés par la rhétorique mussolinienne (« Tu levi la piccola mano,/ con viso di rayonated light. / Tu es cet enfant italien, / que le Duce a rencontré à cheval…») au point de chercher “la belle mort” pourtant destiné à une autre vie. Parfois marqué par une surprenante reconquête morale, culturelle, artistique et littéraire.
Net des souvenirs de quelques nostalgiques, écrit Oliva, « Coltano apparaît surtout comme le miroir de l’égarement idéologique et moral laissé par 1943-45: beaucoup de prisonniers sont des garçons de 1925-26, des adolescents ou un peu plus enflammés par leur éducation fasciste, abattus par la “trahison” de l’armistice, indignés contre le roi et contre Badoglio, qui réagit à leur frustration en prenant le parti de mauvais côté. Il l’a écrit en 1946 dans Sentier du nid d’araignée un antifasciste insoupçonné comme Italo Calvino, partisan garibaldien depuis décembre 1943». Une réinterprétation douloureuse de la guerre dans les montagnes d’un groupe dirigé par un commandant au nom de bataille «Dritto»: «Ce poids du mal qui pèse sur les hommes du Droit, ce poids qui pèse sur nous tous, sur moi, sur toi, cette fureur antique qui est en chacun de nous, et qui se décharge en coups de feu, en ennemis tués, est la même qui fait tirer les fascistes, qui les amène à tuer avec le même espoir de purification, de rédemption ».
Alors, demande l’historien, « quelle est la différence entre le partisan et le soldat de Salò enfermé à Coltano ? Entre le Garibaldien, le Badogliano, l’actionnaire et celui qui s’est enrôlé parmi les parachutistes de la République sociale, comme Dario Fo ? Ou s’est-il porté volontaire pour les Bersaglieri de Mussolini, comme Raimondo Vianello ? Encore une fois Calvino répond: la différence est l’histoire. “Il y a que nous, dans l’histoire, nous sommes du côté de la rédemption, ils sont de l’autre. Chez nous, rien ne se perd, pas de gestes, pas de coups, même les mêmes que les leurs, tu m’entends ? égale à la leur, elle sera perdue, tout sera utile si ce n’est à nous libérer pour libérer nos enfants, pour construire une humanité sans colère, sereine, dans laquelle nous ne pouvons pas être mauvais “.
Et voici de nombreuses histoires de nombreux garçons. De Walter Chiari à Giorgio Albertazzi, d’Ugo Tognazzi à Mauro De Mauro, de Marcello Mastroianni à Enrico Maria Salerno, de Gorni Kramer à Carlo Mazzantini jusqu’à Raimondo Vianello, qui plus de quarante ans plus tard, en 1998, expliquera dans une interview au magazine “Lo Stato” de Marcello Veneziani comment et pourquoi il a fait ce choix, en terminant par une blague : “Je ne nie ni Salò ni Sanremo “.
Lu aujourd’hui, écrit Gianni Oliva, “ses déclarations paraissent simples, sincères, pas du tout choquantes”, mais alors, malgré le fait que le président de la Chambre Luciano Violante avait déjà parlé (scandaleusement) des “garçons de Salò”, ils avéré déstabilisant. Dans l’imaginaire collectif, les Républicains représentaient « le mal absolu». Sur quoi décharger les responsabilités aussi de ceux qui s’étaient épluchés pour Mussolini dans les vingt ans.
Et c’est précisément sur ce point que Le purgatoire des vaincuscitant Rosario Romeo (« La Résistance, œuvre d’une minorité, a été utilisée par la majorité des Italiens pour se sentir exemptés du devoir d’assumer leur propre passé jusqu’au bout ») bat et rétorque : «Quand les manuels et les professeurs nous ont-ils appris que l’Italie avait perdu la guerre ? Pour nous tous, qui avons grandi dans la culture de l’Italie républicaine, la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’est le 25 avril, l’insurrection partisane dans les villes du Nord, les jours radieux de la Libération. La “vulgate” antifasciste a pris la seule expérience de 1940-45 qui nous a mis du bon côté de l’histoire, la Résistance, et l’a transformée en une feuille de vigne derrière laquelle cacher la culpabilité, la coresponsabilité, la honte».
Il suffit de relire les paroles d’Alcide De Gasperi à la conférence de paix de Paris le 10 août 1946. Qui cherche à renverser l’amère réalité : « Le renversement du régime fasciste », dit-il en se référant au 25 juillet 1943, « n’a été possible qu’à la suite des événements militaires, mais le bouleversement n’aurait pas été aussi profond s’il n’avait pas été précédée par la longue conspiration des patriotes qui dans leur patrie et à l’étranger ont agi au prix d’immenses sacrifices…».
Le sens, traduit Oliva, est qu’« il y a eu vingt ans de dictature fasciste qui a dominé les Italiens avec la force de la coercition et a maintenu le pays lié par le fil de la répression et de la peur, et il y a une nouvelle Italie qui, d’abord avec des anti clandestins -le fascisme, puis avec la co-belligérance et la Résistance partisane, a mis fin à la guerre sur le front victorieux» au nom de la nouvelle Italie marquée par les «aspirations humanitaires de Giuseppe Mazzini, les conceptions universalistes du christianisme et les espoirs internationalistes des ouvriers ». Selon les mots de Benedetto Croce, le fascisme n’était qu'”une parenthèse”.
Mais était-ce vraiment comme ça ? L’historien turinois répond : « C’est un remaniement historiquement impropre qui oublie les foules de jeunes en délire le 10 juin 1940 lorsque le Duce annonce du Palais de Venise l’entrée en guerre contre la France et la Grande-Bretagne, mais il est en harmonie avec une large état d’esprit de la population qui, après le printemps 1945, tend à faire disparaître ce qui s’est passé pour retrouver une dimension de normalité». Sans compter avec le passé : «La criminalisation de Salò sert avant tout à acquitter tous ceux qui étaient fascistes jusqu’au 25 juillet et qui pendant les années du régime ont bâti des carrières, reçu des honneurs, fait des fortunes plus ou moins illicites». Un choix qui pèsera, et Dieu sait combien, sur l’histoire à venir…
10 mars 2023 (changement 10 mars 2023 | 21:01)
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