2024-03-09 09:46:24
Plus tout à fait enfants, pas encore ados, ils seraient dans une période transitoire marquée par la recherche d’autonomie et d’indépendance, l’exploration de leurs intérêts et la création de leur propre identité. Mais d’où vient ce concept et que représente-t-il réellement ?
Une invention marketing bien ficelée
Né dans les années 40 aux États-Unis, le terme tweens n’a pas de fondements psychologiques ou physiologiques et est une pure création marketing. Là où un nouveau public cible semble s’être démarqué par son potentiel de consommateur, un nouveau terme a pris place pour désigner ce nouveau segment de marché au pouvoir d’achat de plus en plus important. Il sera alors repris par la psychologie comme sujet d’étude, connu également sous le nom de “préadolescence” ou “adonaissance”.
Fin des années 90, le terme se popularise chez nous et devient un sujet sociologique ainsi qu’une cible marketing redoutable: vêtements, accessoires, beauté, médias, nouvelles technologies et loisirs, on nous présente les tweens comme des êtres à part, une sorte d’hybride mi-enfant mi-ado aux besoins très spécifiques. Une démonstration brillante de ce que le marketing est capable de proposer en termes de solutions aux besoins qu’il a lui-même créé à l’origine. Pratique.
Construction mentale ou réalité ?
Mais alors, est-ce que les tweens existent ? Décrits comme des êtres en transition, ils sont définis par des traits attribués tant à l’enfance qu’à l’adolescence: ils peuvent être passionnés de jeux vidéo et de réseaux sociaux tout en appréciant encore faire un tour à la plaine de jeux ou jouer aux Lego et aux poupées. Leur consommation médiatique serait également variée, allant des dessins animés à la téléréalité en passant par les réseaux sociaux.
“La société a cette fâcheuse tendance à vouloir catégoriser toujours plus les individus et à leur coller des besoins et comportements spécifiques, décrypte Bruno Humbeeck (UMons), pédopsychologue, chercheur et auteur d’une quarantaine de livres sur l’éducation et la famille. Les périodes de la vie, comme l’enfance et l’adolescence, ne sont pas figées, que ce soit dans le temps ou dans leurs attributs. Ajouter une nouvelle catégorie intermédiaire, qui du reste n’est qu’une construction mentale sans véritable sens, ne fait qu’ajouter davantage de flou.”
Car si dans les sociétés traditionnelles le passage de l’enfance à l’adolescence est marqué par des rites clairs, cela n’est plus le cas dans le monde occidental. “Avant, certains événements marquaient la transition entre ces différentes étapes de la vie d’un individu: communion, service militaire, départ de la maison familiale pour aller travailler à 18 ans… Aujourd’hui, ces transitions sont devenues des périodes plus molles, plus lentes et longues, dépendant des chemins que l’on prend dans sa vie. On se sent donc obligé de bricoler des appellations pour soi-disant clarifier la situation, alors qu’elles ne sont pas clairement identifiables et que les codes utilisés pour les décrire ne sont pas définis. Bientôt, on parlera de prépréadolescence… et puis quoi ?”
Mettre dans des cases
L’évolution d’un individu n’est pas le passage d’une case à une autre, mais une évolution complexe sans contours distincts ni ruptures nettes. “Passer de l’enfance à l’adolescence se fait progressivement, et chaque adolescent garde une part d’enfant en lui, comme l’adulte qui aura lui aussi son enfant et son ado intérieur. Chacun évolue différemment.”
Si l’enfance et l’adolescence sont certes deux périodes de la vie assez différentes, elles restent étroitement liées, et le chemin entre les deux, que l’on appelle la puberté, est davantage marqué par des changements physiologiques (hormones, changements physiques…) ; cette transition, biologique, est finalement la seule dont il faudrait tenir compte.
“Le terme puberté n’est plus vraiment utilisé de nos jours, alors que c’est elle qui marque ce passage d’un enfant vers l’adolescent. La préadolescence, où quel que soit le terme à la mode, parle davantage de changements comportementaux inhérents au développement de l’individu. Mais puisqu’il est propre à chacun, pourquoi vouloir le catégoriser et lui coller des étiquettes ?“, interroge Bruno Humbeeck.
Le pédopsychologue poursuit: “Il est évident que l’enfant va passer par des étapes, demander de plus en plus d’indépendance, commencer à évoluer et à gagner en maturité. Cette période arrive pour chacun à des moments différents et ne se passe pas de la même façon. Énormément de choses entrent en jeu: la famille dans laquelle il évolue, s’il a des frères et sœurs, sa personnalité et son caractère, son entourage, les événements de la vie. Pour certains, ce sera très doux et progressif, pour d’autres, il y aura des périodes plus compliquées. Le plus important est de l’accompagner sans lui assigner des comportements attendus, sans quoi ceux-ci finiront par effectivement se réaliser parce qu’on les aura inconsciemment provoqués.“
Du reste, accompagner son enfant reste crucial. “Être dans le contrôle ne sert à rien ; il faut rester attentif et bienveillant, pour l’accompagner dans toutes ces étapes en répondant à ses préoccupations. Lui rappeler qu’on est là, qu’on le comprend. C’est une période d’opportunités pour encourager à l’autonomie, la créativité et l’apprentissage.”
“L’évolution d’un enfant et les multiples crises qu’on y associe sont souvent bien moins terribles qu’on ne le pense, et plus on les attend, plus on les provoque inconsciemment. Tous ces termes, ce sont des concepts inventés par les adultes. Laissons les enfants grandir et arrêtons d’anticiper !”
Parmi ses nombreux paradoxes, notre société actuelle encourage à sortir des cases tandis qu’elle en crée de nouvelles. Et si au lieu de catégoriser les jeunes, on les accompagnait simplement dans cette formidable aventure qu’est la vie ?
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