2024-02-28 09:55:47
- Ferran Grau
- Éditorial d’Angle
- 164 pages / 18 euros
Quel prodige, quelle compétence, quel défi d’écrire un livre comme celui-ci ! Inventer un dialecte, une langue vivante et parfois incompréhensible, une langue qui éclaire un monde nouveau contre toutes les voix qui chantent la fin du catalan, la mort de la langue de la rue, l’impossibilité d’écrire une histoire sur les couches inférieures de la société qui est « réaliste » en catalan. Assez de pessimisme ! Sans faire de bruit, sans demander la permission, faites en sorte que Ferran Grau ait écrit un livre qui restera. Il y a de nombreux romans chaque année, mais très peu offrent une perspective aussi radicalement nouvelle que celle-ci.
Qu’est-ce que hyper rage? Bon, quelques choses : tout d’abord, un hommage à L’orange mécanique d’Anthony Burgess, le roman qui a inspiré Kubrick pour une de ses œuvres d’art, le film qui est gravé dans de nombreuses rétines : Alex et ses amis, le drogues, vêtu d’un blanc rigoureux et buvant du lait, distribuant des gaufrettes partout dans un Londres dystopique et hyperviolent. Mais c’est aussi l’élaboration littéraire libre d’un des crimes restés dans la mémoire des Barcelonais : celui du distributeur automatique de la rue Guillem Tell, dans le quartier de Sant Gervasi, où une femme sans abri a été brûlée vive par le des flammes que trois garçons du quartier ont allumées un peu parce que oui. Ou peut-être pour plusieurs raisons. C’est sans aucun doute le moteur qui s’est déclenché dans le cerveau de Ferran Grau il y a quelques années, lorsque, pour des raisons professionnelles, il a eu des contacts avec les responsables des événements. Incapable de s’en sortir la tête, et avec la lecture de la traduction du texte de Burgess par Jordi Arbonès comme d’un phare lumineux, Grau ne s’est arrêté qu’à inventer un discours comme Burgess a inventé le nadsat donner la parole au groupe de skinheads qui a envahi les rues de Barcelone il y a vingt ans avec le désir de blesser quelqu’un : un pauvre, un migrant, une femme qui dormait entre des cartons. Celui qui représentait une altérité qu’il fallait annuler, vexer, humilier dans une sorte de cérémonie macabre d’affirmation de soi adolescente.
Un discours sophistiqué et ludique
Et quel discours a inventé Ferran Grau ! Quelle chose sophistiquée et ludique, créée à l’image et à la ressemblance du roman anglais : il y a des mots inventés qui sonnent comme des pierres, certains qui font rire, d’autres qui sont de la pure poésie. pantoufle c’est dormir confortable C’est une drogue, grève, frapper. N’ayez pas peur de vous y plonger : la compréhension écrite est exigeante, mais le livre possède un glossaire. Et la narration est si électrique et si subtile, et en même temps c’est la retransmission pure et transparente des faits, que l’impulsion d’en savoir plus sur Ludo, Xapa et Uri surmonte toutes les difficultés.
La voix est celle de Ludo, tout est raconté à la première personne, et un des mérites de l’auteur est de nous faire presque identifier à ce fils (de pute) issu d’un mariage bourgeois, sans caractéristiques particulières. Il n’est jamais présenté comme une victime, c’est un bourreau, mais c’est quelqu’un que le système est incapable de réinsérer, de guérir ou de racheter. L’évolution vécue par le personnage est décrite sous une forme millimétrique, élégante et précise. Il y a un arc moral, et il n’est pas toujours orienté dans la direction la plus évidente : au-delà de l’expérience carcérale, Ludo est quelqu’un qui a des regrets, mais c’est aussi quelqu’un sans avenir. La dernière partie du roman, la plus difficile de toutes, est celle où l’option linguistique, l’expérience de laboratoire qui ne se limite pas à l’invention du vocabulaire, mais qui se tourne également vers toute une série de chansons populaires et de références culturelles et télévisuelles catalanes, des œuvres de la manière la plus subtile et la plus accablante, en évitant les justifications psychologiques, sociologiques ou politiques. C’est un roman qui joue tout, celui du langage, comme seul outil pour expliquer l’inexplicable, et qui en sort vainqueur.
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