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Le naufrage en Grèce : témoignages et colère des proches des disparus

Le naufrage en Grèce : témoignages et colère des proches des disparus

Depuis plus de quatre heures, Khaled attend pour transmettre toutes les informations qu’il détient aux autorités afin de pouvoir dénombrer les disparus et identifier les 78 morts. À côté de lui, assis en tailleur, d’autres réfugiés venus d’Allemagne attendent des nouvelles. Mohammed* témoigne: «Ma femme de 23 ans, ma fille de 4 ans et le frère de ma femme étaient dans le bateau…» Ses yeux se remplissent de larmes. Il fixe le trottoir. Et laisse éclater sa rage: «Les Grecs les ont abandonnés à leur mort!»

Maintenant, la colère s’exprime chez les proches des disparus. Mohammed tient à expliquer pourquoi il lance cette assertion comme une sentence: «J’ai reçu un message d’un rescapé que je connais. Il a confirmé que ma famille était à bord du bateau, mais il m’a aussi expliqué ce qui s’est passé.» Son récit est glaçant. Selon lui, les migrants ont attendu 24 heures entre le moment où ils ont alerté les secours des difficultés rencontrées et leur arrivée. Pour preuve, il tend son téléphone et montre le message vocal reçu sur WhatsApp. Mohammed poursuit: «À peine débarqués, les survivants ont été enfermés. Les autorités ont peur qu’ils parlent…»

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Des visites filtrées

Trois jours après le drame, l’émotion est toujours vive à Kalamata et les questions sont nombreuses. Jeudi, en fin d’après-midi, des centaines d’habitants ont défilé dans la ville du Péloponnèse pour demander «une ouverture des frontières» et un accueil digne pour les réfugiés. Tout est fait pourtant pour tenir ces derniers le plus éloignés possible des regards. À leur arrivée, ils ont été placés dans un hall du port. Vendredi matin, les demandeurs d’asile ont été transférés au camp de Malakasa, entre Athènes et Thèbes. Mais pendant les deux jours passés à Kalamata, ni les journalistes ni leurs proches venus leur rendre visite n’ont pu leur parler. Les autorités grecques ont invoqué différentes raisons: le traumatisme des migrants, leur état de santé, le risque de contagion de maladies… Pourtant, les responsables politiques qui se sont rendus sur place ont pu entrer dans le hall et discuter avec les rescapés, sans porter de masque. Tout le monde se demande pourquoi un tel barrage a été mis en place.

Ahmed est venu chercher son cousin. Il montre la photo que ce dernier lui avait envoyée avant d’embarquer sur le funeste bateau. «J’ai réussi à entrer dans le hall en me faufilant avec un groupe de responsables d’associations», confie le jeune Egyptien débarqué hier d’Italie où il vit depuis ses 2 ans – il en a 20 aujourd’hui. Lorsqu’il est allé dans le hall, il a enregistré le récit d’un survivant. En arabe, le rescapé explique que les gardes-côtes ont mis plus de 24 heures à arriver, puis qu’ils ont utilisé un câble pour remorquer le navire. «C’est alors que l’embarcation a chaviré. Il n’y avait pas assez de monde pour les aider.»

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Retours illégaux en mer

Les autorités grecques et européennes ont-elles agi correctement? Le drame aurait-il pu être évité? À peine cachés, différents responsables d’ONG pointent du doigt la responsabilité de la politique européenne et d’éventuelles défaillances dans les décisions prises. La Grèce, porte d’entrée dans l’Union européenne, est régulièrement critiquée pour sa politique migratoire répressive, qui s’est particulièrement durcie depuis juillet 2019 et l’arrivée de Kyriakos Mitsotakis, le chef de Nouvelle Démocratie, au pouvoir. Des consortiums de journalistes et d’associations ont prouvé l’existence de refoulements, ces retours illégaux en mer. Un mur a été construit au nord du pays, au niveau du fleuve Evros, afin de bloquer le passage des migrants. Cependant, au moins 27 000 hommes, femmes et enfants ont perdu la vie en Méditerranée depuis 2014. Plus de 1000 ont disparu depuis le début de l’année en Méditerranée centrale, un record depuis 2017. Ces chiffres ne prennent pas en compte les naufrages invisibles, survenus sans témoins.

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Mercredi, la présidente de la République, qui avait posé devant le mur érigé à la frontière de l’Evros, a été huée par plusieurs habitants lors de sa visite dans ce port du Péloponnèse. «Ce terrible naufrage doit être un appel à l’action», a déclaré Eftychia Georgiadi, directrice des programmes de l’International Rescue Committee (IRC) en Grèce, dénonçant «l’échec de l’UE à développer des voies légales de migration». Elle accuse l’UE de «fermer la porte aux personnes en quête de protection».

L’ancien Premier ministre Alexis Tsipras, leader de l’opposition, a dénoncé une «politique migratoire qui transforme la Méditerranée et nos mers en cimetières marins». Il a ajouté qu’il était nécessaire de protéger «nos frontières nationales et européennes», tout en donnant «la priorité à la protection de la vie humaine». De manière évidente, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Selon différentes sources, plus d’une cinquantaine de personnes auraient déjà signalé la disparition de proches qui étaient à bord du bateau. Sur le port de Kalamata, plusieurs membres des familles des migrants font les cent pas, le visage ravagé par le chagrin. Ils réalisent peu à peu que dans cette mer Ionienne qui fera le bonheur des touristes cet été, l’un des leurs a disparu.

*Prénom connu de la rédaction

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