Jusqu’au 11 février, le Théâtre Poche à Genève présente “Le pays lointain” de Jean-Luc Lagarce dans une mise en scène trépidante et festive de Mathieu Bertholet. Une réussite au parfum vintage des années 1990.
Où est-il ce “Pays lointain”? D’abord loin de Paris où aura vécu frénétiquement son auteur Jean-Luc Lagarce, entre écriture, jeu et drague. Probablement à Héricourt, en Haute-Saône, pas loin du Jura, terre d’industrie et d’agriculture, la France profonde ou celle d’en bas. C’est là que vivent ses frères et soeurs, parents, nièces et neveux. Celles et ceux qu’il a négligés ou qui ne pouvaient plus le comprendre, qui ne pouvaient pas savoir ce qu’il vivait et surtout ce qui le consumait désormais.
Jean-Luc Lagarce est décédé à 38 ans, quelques jours à peine après avoir achevé son “Pays lointain”. C’était en 1995. Malade du sida, il était un mort en sursis, un condamné qui noircissait le papier dans une dernière pulsion de vie. Comédien, dramaturge, metteur en scène, il lutte alors contre la maladie à coup de textes enfiévrés.
Une lettre d’outre-tombe
L’auteur n’est plus, ses textes lui survivent bien, au théâtre comme au cinéma. Ainsi “Les solitaires intempestifs”, “Juste la fin du monde” (rappelez-vous Gaspard Ulliel, Vincent Cassel, Léa Seydoux et Marion Cotillard réunis par Xavier Dolan) ou encore “Derniers remords avant l’oubli”.
On peut voir “Le pays lointain” comme une lettre d’outre-tombe, une adresse à ses proches dont il n’était plus si proche, quoique. C’est aussi une sorte de bilan personnel, égrenant la (longue) liste de ses amants. Avec un constat: l’amour, le vrai, celui avec un A majuscule, lui faisait peur.
Il y a plusieurs manières de le raconter, ce “Pays lointain”. La plus commune est grave, sentencieuse, déclamée telle une tragédie antique ou une harangue politique. Elle peut s’étaler sur quatre heures jusqu’à l’épuisement.
Une pulsion de vie
Sur la scène du Théâtre Poche jusqu’au 11 février, au souffle de mort imminente, Mathieu Bertholet préfère la pulsion de vie. Ses années 1990 revisitées sont celles des clubs, du new beat et de l’eurodance, du poppers à sniffer et des tatanes à semelles compensées. Dans une scénographie de cordages (imaginée par Sylvie Kleiber pour l’entier de la saison du théâtre) qui évoque autant les liens familiaux que la déco d’une boîte, les cinq membres de la troupe du Poche jouent une foule de personnages avec la cadence folle d’un Chaplin dans “Les Temps modernes”.
“Le pays lointain”, mise en scène signée Mathieu Bertholet. [Chloe Cohen – Le Poche]
Le texte de Lagarce fuse, déborde et sprinte dans un joyeux chaos de déclarations d’amour, d’engueulades, de règlements de compte et de rabibochages en catastrophe. Il faut un sacré souffle pour entretenir ce feu-là, deux heures durant. Raphaël Archinard, Pierre-Isaïe Duc, Louka Petit-Taborelli, Lisa Veyrier et Lucie Zelger n’en manquent pas, tout en courant se changer à vue dans des tenues zippées qui fleurent bon les années MC Hammer et autres Mylène Farmer.
Et Lagarce, alias Louis le narrateur? Il est là, lui aussi. Sous la forme d’une vidéo dans une vieux téléviseur à tube cathodique. En son temps, Lagarce avait lui-même tenu un journal face caméra. Au Poche, effet rétro garanti avec un impassible Mathieu Bertholet arborant sur petit écran moustache et coupe mulet vintage. Peu à peu, son image se brouille, le dialogue entre lui et le plateau s’effiloche. Pourtant vivant, Louis n’est déjà plus là. Tout juste un mort en sursis.
Thierry Sartoretti/ld
“Pays lointain”, mise en scène de Mathieu Bertholet, Théâtre Poche, Genève, jusqu’au 11 février 2024.
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