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Le procès de discrimination à l’embauche contre Adecco France enfin jugé après 22 ans

by Nouvelles
Le procès de discrimination à l’embauche contre Adecco France enfin jugé après 22 ans

Ce procès, elles et ils ont failli perdre espoir. Vingt-deux ans après que l’information judiciaire a été ouverte contre la branche française du géant suisse Adecco pour discrimination à l’embauche, l’affaire sera finalement jugée par le tribunal correctionnel de Paris le 28 septembre. L’agence d’intérim est accusée par d’anciens salariés et des militants antiracistes d’avoir mis en place un système de discrimination basé sur la couleur de peau, à travers le fichier “PR4” qui comportait les noms de 500 intérimaires noirs et la mention “BBR” pour “bleu blanc rouge” – les Français blancs. Ce classement raciste aurait permis à l’agence de répondre aux demandes discriminatoires des clients qui ne souhaitaient pas avoir d’intérimaires noirs dans leurs établissements. Des clients tels qu’Eurodisney, le ministère des Affaires étrangères ou encore la Compagnie des wagons-lits font partie des noms mentionnés dans le dossier, bien que les faits n’aient pas pu être établis pendant la procédure. Le groupe Adecco affirme que “la lutte contre les discriminations est une priorité à tous les niveaux de l’entreprise” et qu’il a pris et continuera à prendre des mesures concrètes dans ce sens.

Assa Koulibaly, 41 ans, une des parties civiles dans cette affaire, déclare : “On avait fourni tous les papiers quand la plainte a été déposée en 2001. On croyait que le procès se tiendrait dans l’année, mais pas vingt ans après. J’ai fini par penser que toute cette affaire serait oubliée.” Depuis que la date de l’audience a été annoncée, cette ancienne intérimaire avoue avoir du mal à dormir. Quand elle s’est inscrite chez Adecco entre 1999 et 2000, elle avait 19 ans et souhaitait travailler comme hôtesse d’accueil. Cependant, elle n’a presque jamais été appelée et a finalement abandonné pour s’inscrire auprès d’une autre agence d’intérim. Depuis, elle est toujours sur ses gardes lorsqu’elle va à un entretien d’embauche ou sur un nouveau lieu de travail. Ses expériences de racisme au quotidien bouleversent sa vie personnelle et elle avoue avoir transmis ce manque de confiance à sa fille de 12 ans, qui pense qu’elle n’est jamais à la hauteur.

Cette affaire a été signalée en décembre 2000 par un ancien stagiaire du service de recrutement de l’agence. Dans un courrier adressé à SOS Racisme, il détaillait le système de classement interne, allant de “PR1” (bonne présentation orale et physique) à “PR4” (Noirs), que l’agence utilisait. Un rapport de l’inspection du travail, transmis au parquet en février 2001, indique que la majorité des 250 intérimaires orientés vers la restauration collective étaient noirs ou arabes. La mention “PR4” était présente dans les dossiers des candidats “de couleur” avant d’être supprimée à la suite de la plainte de SOS Racisme. Selon les inspecteurs du travail, cela était “un aveu implicite (…) de l’existence d’actes discriminatoires à l’embauche”. Trois non-lieux ont été prononcés, mais en 2021, la cour d’appel de Paris a ordonné la mise en examen de la société Adecco France et de deux anciens directeurs. Ces dirigeants ont affirmé que “PR4” était un critère pour les personnes ayant des difficultés de lecture, d’écriture ou d’adaptation au poste. C’est cette justification qui a poussé Prudence, 41 ans, gestionnaire de paie et comptabilité, à se porter partie civile. Elle estime que cela est pire que de reconnaître un comportement raciste car cela signifie qu’ils disent “tu n’es rien, tes études, tout ce que t’as fait avant, ce n’est rien du tout. Ils nous insultent pour se couvrir.” Prudence, originaire de Côte d’Ivoire, a été victime de discrimination alors qu’elle avait 19 ans et travaillait dans des points de vente de sandwichs et cafés des gares de l’Est et du Nord à Paris.

D’autres personnes, comme Jean, 54 ans, ont également été affectées par cette affaire. Il a découvert qu’il faisait partie des 500 personnes du fichier “PR4” en 2016, lors de la réouverture de l’instruction. Pendant six ans, il n’a été proposé que des missions de plonge dans des restaurants d’entreprise. Aujourd’hui, il est agent logistique et attend des réponses de la part de l’agence d’intérim.

Adama, 30 ans, a également été victime de ce système de discrimination lorsqu’il s’est inscrit chez Adecco au début des années 2000. Il avait été informé qu’il ferait des missions de serveur, mais a fini par travailler à la préparation des repas dans des restaurants Flunch. Il a réalisé que le fichier “PR4” était la raison pour laquelle il ne se voyait proposer que des tâches ingrates. Aujourd’hui, il est fonctionnaire et a décidé de se porter partie civile pour protéger ses enfants de ce genre de discrimination.

Trois autres personnes se sont également jointes à la procédure avec l’aide de Me Madou Kone, avocat, estimant qu’il est important que cette affaire fasse jurisprudence. Me Kone critique la durée de la procédure, qui aurait dû être traitée en quatre ans maximum selon le Code pénal. Il souligne que ces victimes ont été affectées non pas par une petite entreprise, mais par une agence d’intérim bien établie.

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