Par Marie Lemaistre
Publié le
2 Avr 24 à 19:48
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Ils sont venus en nombre manifester leur « soutien » à leurs collègues sauveteurs en mer depuis les stations de Bretagne et de Normandie. Mardi 2 avril 2024 s’est ouvert au tribunal du Havre (Seine-Maritime) le procès de cinq personnes, dont un bénévole de la SNSM, après le naufrage en quelques secondes du chalutier Breiz lors de son remorquage, le soir du 14 janvier 2021.
En raison d’une avarie de barre, l’équipage du Breizrattaché au port de Saint-Vaast-la-Hougue, avait demandé une assistance d’urgence au large de Port-en-Bessin (Calvados), peu avant 19 heures ce soir-là.
Un navire qui a sombré en moins d’une minute
Les conditions météorologiques annoncées en baie de Seine étaient alors très mauvaises. Finalement, le navire a sombré peu après 23 heures 30. L’embarcation a probablement subi un fort mouvement d’un bord à l’autre durant le remorquage, autrement appelé roulis, puis aurait pris une lame de travers, entraînant leur perte.
Le jour du naufrage, le patron de pêche était un jeune marin de 27 ans. Il était accompagné de deux matelots de 26 et 19 ans. Leurs corps avaient été retrouvés le lendemain des faits lors d’opérations de sauvetage.
Parmi les cinq prévenus, le capitaine du canot de la SNSM sorti porter secours au coquillier pour le ramener vers Ouistreham est poursuivi pour négligence et faux dans un document de bord.
Près de 80 bénévoles ont fait le déplacement aux côtés de quelques marins-pêcheurs et de proches de marins.
En faisant notre travail on se retrouve au tribunal, ce n’est pas normal. On a tous une épée de Damoclès au-dessus de la tête. On est responsable d’une expédition maritime quand on sort en mer même en tant que bénévole, tous les patrons peuvent se retrouver devant un tribunal un jour ou l’autre.
Pierre*Retraité de la marine marchande venu de Ouistreham, bénévole à la SNSM depuis 24 ans
Pour Pierre, les bénévoles « ont fait tout ce qu’il fallait », « c’est un enchainement qui a fait que », soupire-t-il. « Ce n’est pas leur place d’être là », ajoute son camarade Thomas*. Pour lui, ainsi que plusieurs de ses collègues, cette affaire « fait du mal au bénévolat ».
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Isabelle, femme de marin, est venue avec sa sœur de Ouistreham également, en soutien « on est une grande famille, pour nous la SNSM c’est nos héros », confie-t-elle.
Deux témoins entendus dans la journée
L’ouverture de ce procès était également très attendue par les proches des trois jeunes marins originaires du Nord-Cotentin ayant péri lors de cette opération au large du Calvados. Par la voix de leurs conseils, celles-ci ont fait valoir notamment leur « recherche de vérité ».
Après 1 heure 30 d’attente, et un premier cafouillage ayant conduit à un changement de salle, en raison du trop grand nombre d’auditeurs, l’audience du tribunal maritime s’est toutefois ouverte sous la menace d’un nouveau renvoi.
Après celui d’octobre 2023, la nouvelle demande a été formulée devant les magistrats par la défense du co-armateur du bateau, auxquels se sont associés certains avocats. Elle s’est fondée sur l’attente des conclusions d’une expertise judiciaire sur la stabilité initiale du navire, présenté sur le plan civil à la demande du président du tribunal judiciaire de Caen.
Le procureur de la République du Havre s’y est montré défavorable. Le tribunal l’a finalement rejetée, estimant que « l’expertise ordonnée par le tribunal judiciaire de Caen n’apparaît pas essentielle » pour apprécier ce dossier pénal.
Les bénévoles sont venus de plusieurs stations de la Normandie et de la Bretagne en soutien. (©ML/76actu)
Au moins deux témoins devaient être entendus par le tribunal lors de cette première journée d’audience devant le collège formé de deux assesseurs maritimes en plus des juges professionnels.
Plusieurs failles décelées dans le dossier
Durant la matinée, le directeur d’enquête, le Major Jean-Philippe Travaillard, commandant de surveillance du littoral à Caen, a pu s’exprimer sur les résultats de ses investigations, rappelant toutes les failles entourant ce dossier.
L’absence de qualification nécessaire pour au moins deux personnels navigants, en premier lieu, le jeune marin, bel et bien enregistré comme patron de pêche, pourtant non titulaire du brevet professionnel ni d’une dérogation nécessaire pour naviguer. « Il se trouvait en situation d’infraction », indique l’expert. Le plus jeune matelot, débauché par son frère, ne possédait pas non plus le certificat requis.
La vétusté du bateau a également été au centre d’une attention particulière. Construit en 1979, le navire avait rencontré des problèmes de stabilité, d’étanchéité et d’appareil à gouverner dans les mois précédant le naufrage. Le précédent équipage avait démissionné peu avant Noël en raison d’un incident lors d’une manipulation de la drague sur ce même bateau. Différents manquements au niveau de l’entretien du navire ont aussi été confirmés par différents marins embarqués.
« On a eu des témoignages disant que le navire n’était pas sécurisant sur l’eau », indique l’enquêteur de la gendarmerie maritime.
Le permis de navigation de ce navire polyvalent au chalut et à la drague avait été renouvelé sans que le poids des dragues ne soit évalué. « Il était en condition de surpoids à vide », indique l’expert auditionné qui pointe « des anomalies au niveau de la gestion du dossier et de la sécurité du navire ». En outre, ce jour-là, la charge de ce petit bateau (moins de 12 mètres) était très importante, pas loin de 800 kilos, au-delà du poids autorisé.
Un procès de plusieurs jours
Côté sauveteur en mer, les opérations de sauvetage ont été lors de premières auditions décrites comme n’opposant aucune difficulté. Mais à l’exploitation de tous les échanges radio entre le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross), la SNSM et le Breizil s’avère que « le remorquage a été ponctué de nombreux incidents ».
Le patron du Breiz a adressé pas moins de six alertes dont quatre durant le remorquage au canot, qui manifestement a été exécuté à une vitesse excessive. Les informations du journal de bord correspondantes sont erronées.
De même, l’heure de début du convoi a été rallongée par rapport à la réalité. En réalité, 3,17 minutes ont suffi à entreprendre le remorquage, sans un temps suffisant « pour entreprendre l’analyse » de l’environnement ou du comportement du bateau avant remorquage, pointe le Major. Le manque de veille, du fait, notamment, de l’absence de fonctions attribuées clairement sur le canot de la SNSM et l’absence de coordination entre les deux navires ont également été relevés.
Il se trouve également que « le canot a emprunté un itinéraire assez dangereux pour un navire et surtout pour un convoi », ajoute l’enquêteur, décrivant un passage dans une zone aux courants et remous très importants. La balise a également permis de mettre en évidence deux changements « brusques » de cap effectués par le canot quelques minutes avant le naufrage.
Le procès doit durer jusqu’au vendredi 5 avril.
*Les prénoms ont été modifiés
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2024-04-02 20:48:22
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