Le roman de Sibylle Grimbert « Le dernier de son espèce »

Le roman de Sibylle Grimbert « Le dernier de son espèce »

2023-10-04 23:51:57

«Prosp était devenu son médecin et prestataire», dit-on un jour. On peut lire ailleurs : « C’est certainement grâce à son caractère courageux que Prosp s’est remis de ses blessures, y compris psychologiques. » Un peu plus tard : « Prosp a pleuré. » Il faut maintenant savoir que Prosp n’est pas un être humain, mais un oiseau est. Plus précisément, un grand pingouin. Cette espèce incapable de voler est considérée comme éteinte depuis le milieu du XIXe siècle. Deux spécimens ont été tués en 1844 sur l’île d’Eldey, au sud-ouest de l’Islande. Ils ont réalisé la dernière tentative de reproduction fiable et documentée de l’espèce. Huit ans plus tard, un individu aurait été aperçu près de Terre-Neuve. Depuis, l’oiseau n’est jamais réapparu nulle part.

L’auteure et éditrice française Sibylle Grimbert a consacré un roman historique au grand pingouin, « Le dernier de son espèce », qui, compte tenu du principe, aurait pu échouer à certains égards : le zoologiste Gus se rend en Islande et découvre comment les marins sauvages parmi le pour provoquer un massacre des grands pingouins qui y vivent, pêche un des oiseaux hors de l’eau, le ramène chez lui, l’appelle Prosp (abréviation de Prosperous), le mène régulièrement en laisse à la mer, change de résidence avec lui , l’étudie, l’aime, ressent pour lui et finalement l’aime tellement que la vie quotidienne ne tourne qu’autour de l’animal, ce qui fait souffrir sa femme et ses enfants.

Quelque chose d’inexact, de bâclé

Grimbert décrit tout cela sur un ton élégamment traduit en allemand par Sabine Schwenk, qui met également en avant les aspects de l’intrigue qui auraient vite pu devenir une leçon pour des auteurs moins avertis. Cela inclut, par exemple, des considérations sur la différence anthropologique, c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle il existe une différence fondamentale entre les humains et les animaux. Le narrateur personnel de Grimbert communique ce qui se passe, mais laisse continuellement l’événement passer à travers le filtre perceptuel de Gus.

Sibylle Grimbert : « La dernière du genre ».  Roman.


Sibylle Grimbert : « La dernière du genre ». Roman.
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Image : Éditions Eisele

Quand on dit que le pingouin souffre de blessures psychologiques, quand on parle de « chagrin » et de « honte » d’un animal humilié, il ne s’agit pas d’une humanisation naïve de la part de l’auteur. Au contraire, grâce à l’instance narrative choisie, cela nous rapproche de l’attitude du protagoniste. Le contenu dépend de la forme. Dans le monde représenté, la situation est inversée : si le contenu de la vie de Gus manque, le protagoniste se déforme. Si sa femme et Prosp ne sont pas là, « il y avait quelque chose d’imprécis, de bâclé dans chacun de ses pas ; il avait l’impression d’être inachevé.

Aucune raison pour une philosophie morale emballée de manière esthétique

Le narrateur énumère régulièrement des catégories qui pourraient être utilisées pour décrire la constellation des personnages. Par exemple, Gus et Prosp ne sont pas liés l’un à l’autre par « amour ou amitié », ni par « aucune forme de consentement secret ». Non, Gus s’est senti responsable. » Ce qu’il ne veut pas admettre au départ devient une certitude au fil du livre : le grand pingouin est en train de disparaître. Notre planète, estime le héros, est un « lieu d’abondance » et « l’harmonie du monde vivant n’a permis à rien de s’éteindre ici sur terre ».

Cette vision perd de sa naïveté dès qu’on considère que l’action commence en 1834, à l’époque où Darwin voyageait encore à bord du Beagle. « De l’origine des espèces » a été publié en 1859 ; Gus et ses contemporains n’ont donc aucune idée que l’évolution existe. La question de savoir si une espèce peut disparaître à jamais est un débat mené principalement par les paléontologues dans la première moitié du XIXe siècle.

Le thème du roman vous invite à l’utiliser comme plateforme argumentative pour une bonne cause. Les humains détruisent la terre, exploitent des zones entières et sont responsables de la sixième extinction massive. Horrible, certes, mais ce n’est pas une raison pour une philosophie morale emballée de manière esthétique. L’auteure se garde bien d’utiliser son récit au service d’une cause dans laquelle son propre langage, tout aussi sobre et emphatique, serait contaminé par le langage commun de l’indignation. À cet égard, le texte de présentation est erroné lorsqu’il souligne que le roman est un « commentaire émouvant sur l’un des débats les plus importants de notre époque ».

Toutefois, cela ne signifie pas que le personnel se comporte de manière indifférente ou ne se soucie pas de l’environnement. L’ensemble du livre est une réflexion sur le rôle de l’homme dans la nature, sur la possibilité de voir le monde à travers les yeux d’un oiseau, sur la communication et le langage des grands pingouins, sur l’esprit des animaux qui, selon les différentialistes, est essentiellement différente de celle de l’homme, à laquelle les assimilationnistes s’opposent et prétendent que toute différence est purement quantitative. « Le dernier de son espèce » regorge de questions sur la philosophie animale, et pourtant sa lecture ne donne jamais l’impression d’assister à un séminaire. Plus touchant, plus malin, en somme : un roman sur la relation entre les humains et les animaux ne pourrait guère être meilleur.

Sibylle Grimbert : « La dernière du genre ». Roman. Traduit du français par Sabine Schwenk. Eisele Verlag, Munich 2023. 256 pages, couverture rigide, 23 euros.



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